Si l'Amérique du Nord reste encore forte, c'est désormais à travers le seul pouvoir hors de contrôle des firmes privées transnationales de la Big Tech de Silicon Valley soutenue par le Parti démocrate. La société, pour sa part, part en lambeaux.
Ceux qui se réjouissent de la censure de Trump et de ses soutiens par des compagnies privées, en dehors de toute légalité (voir les explications de Régis de Castelnau), devraient se méfier : nos sociétés libérales occidentales modernes, d'où toute charpente doctrinale commune a été bannie depuis des siècles au nom des libertés individuelles, ne tiennent que par le respect du droit en tant que seul arbitre légitime des griefs des uns et des autres. Quand le droit est envoyé aux oubliettes comme aux USA actuellement, la société, que plus rien ne structure, peut s'écrouler comme un château de cartes - et le recours à la force devient la seule issue possible pour ses dirigeants. Pour le dire autrement, quand le droit abdique son rôle de régulateur, la loi du plus fort prend sa relève.
Le retour à « l'Amérique d'avant Trump » est impossible. Et bien malin qui peut prédire où sa course folle s'arrêtera, et jusqu'à quel point son gouvernement se « fascisera » pour rester en place.
Par Nebojsa Malic
Paru sur RT America sous le titre The American Empire has fallen, though Washington may not know it yet
Vouloir revenir en arrière et restaurer l'Empire américain comme il était avant la présidence de Donald Trump est une mission impossible. C'est déjà une chose du passé - et la prise d'assaut du Capitole américain n'a été que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.
Mais ne me croyez pas sur parole. « Si l'ère post-américaine a une date de début, c'est presque certainement aujourd'hui », a soutenu nul autre que le chef du Council on Foreign Relations - acronyme CFR, le principal think tank de défense de l'Empire à Washington - après la prise d'assaut du Capitole, mercredi, par plusieurs centaines de partisans de Trump qui protestaient contre la certification de l'élection de Biden.
« Plus personne dans le monde n'est susceptible de nous voir, de nous respecter, de nous craindre ou de dépendre de nous de la même manière qu'avant », a déploré le président du CFR, Richard Haas.
(Tweet, 6 janvier : « Nous voyons des images que je n'aurais jamais imaginé voir dans ce pays - dans une autre capitale, oui, mais pas ici. Plus personne dans le monde n'est susceptible de nous voir, de nous respecter, de nous craindre ou de dépendre de nous de la même manière. Si l'ère post-américaine a une date de début, c'est presque certainement aujourd'hui. »)
Bien sûr, alors même que Haas parlait, le secrétaire général de l'OTAN tweetait sur les « scènes choquantes » à Washington et exigeait que l'élection de Joe Biden « soit respectée ». Les dirigeants britannique et français ont suivi le mouvement, tout comme l'Organisation des États américains. La Turquie a « exprimé son inquiétude ». Le Canada et l'Inde ont fait de même.
Même le Venezuela s'est mis en marche, condamnant les « actes de violence » à Washington et la « polarisation politique » aux États-Unis, tout en exprimant l'espoir que les Américains « puissent ouvrir une nouvelle voie vers la stabilité et la justice sociale ».
(Tweet : COMMUNIQUÉ - Le Venezuela exprime sa préoccupation face à la violence qui se déroule à Washington ; il condamne la polarisation politique et espère que le peuple américain pourra ouvrir une nouvelle voie vers la stabilité et la justice sociale)
Gardons à l'esprit que les États-Unis ont refusé de reconnaître le président ou le parlement élu du Venezuela, et tenté depuis deux ans d'installer un « président intérimaire » non élu à la place, tout en appelant ça « démocratie ». Bien que l'administration Trump ait mené cet effort, les Démocrates - qui sont maintenant sur le point d'avoir le pouvoir absolu aux États-Unis - ont suivi le mouvement.
De même, la seule fois où l'establishment républicain et la « résistance » démocrate se sont unis presque à l'unisson a été pour passer outre le veto de Trump sur le financement annuel du Département de la défense, dont le texte, cette année, comprenait une disposition qui l'empêchait, lui ou tout futur président, de retirer des troupes des sempiternelles guerres américaines à l'étranger sans l'approbation préalable du Congrès.
L'engagement envers l'Empire est général dans les fonds boueux du « marécage » de Washington, comme Trump avait coutume de l'appeler.
« Nous voyons des images que je n'aurais jamais imaginé voir dans ce pays - dans une autre capitale, oui, mais pas ici », a déclaré Haas.
Ce lapsus sur l'« exceptionnalisme américain » signifie que des militants soutenus par les États-Unis peuvent prendre d'assaut les parlements des « régimes » que Washington n'aime pas et veut « changer », mais lorsque des Américains se rebellent contre leur propre gouvernement, qu'ils estiment agir de manière illégitime, c'est inacceptable.
Si ce qui s'est passé mercredi n'était pas vraiment une « révolution de couleur », l'optique en était certainement assez proche pour que le monde entier en prenne note. Il serait cependant faux de rejeter la faute de la disparition de l'Empire américain sur l'« insurrection » du Capitole, alors qu'elle n'a été que le dernier domino à tomber.
Encore une fois, ne me croyez pas sur parole - Ishan Tharoor, chroniqueur du célèbre Washington Post, a écrit jeudi que pour « beaucoup de gens à l'étranger, la vision des États-Unis comme un phare doté d'une influence morale et une autorité mondiales est déjà mille fois morte ».
(Tweet : Pour beaucoup de gens à l'étranger, la vision des États-Unis comme un phare doté d'une influence morale et une autorité mondiales est déjà mille fois morte. Pour d'autres, cette vision a toujours été une illusion censée occulter les coups d'État orchestrés par Washington et les régimes militaires clients qui ont défini leur politique nationale pendant des décennies ».)
Pour certaines de ces personnes, a poursuivi Tharoor, cette vision a « toujours été une illusion destinée à occulter les coups d'État machinés par Washington et ses régimes militaires clients ». Certes.
Les Démocrates et leurs alliés néocons ont passé les quatre dernières années à blâmer la politique « L'Amérique d'abord » de Trump, déplorant qu'il agisse unilatéralement, qu'il s'oppose à ses « alliés » et qu'il crée un « vide de leadership » dans le monde. Ce sont également les points de discussion de la nouvelle administration.
Sauf qu'ils ont clairement oublié les événements de janvier 2020, lorsque Trump a ordonné l'assassinat par drone du général iranien Qassem Soleimani. Il n'y a eu aucune protestation des « alliés » des États-Unis - ou plutôt, devrions-nous dire, de leurs vassaux. Au lieu de cela, ils se sont alignés avec un empressement étonnant.
Trump avait en fait pleinement adopté l'Empire américain, il avait simplement renoncé aux fictions polies que l'Amérique du Nord avait utilisées, au fil des décennies, pour se faire passer pour autre chose que ce qu'elle est.
Ironiquement, la mobilisation de l'ensemble de l'establishment politique américain contre Trump (à commencer par le « Russiagate » et le cirque de « l'impeachment » après l'appel téléphonique à l'Ukraine ; puis les émeutes sur la « justice raciale » dans tout le pays, et, au passage, la politisation des confinements) a fait exploser la plupart des fables qui soutenaient l'hégémonie américaine, tant au niveau national qu'à l'étranger.
Vous vous souvenez de l'« État profond », qui était censé être une théorie du complot trumpienne ? Pourtant, son existence a été confirmée lors des audiences de « l'impeachment », un ancien directeur de la CIA en a ouvertement fait l'éloge, et les révélations d'un complot du FBI visant à piéger le général Flynn ont levé tout doute sur sa réalité.
La guerre des grands médias contre Trump, rejoints plus tard par les plateformes de réseaux sociaux - la censure de l'histoire pourtant exacte de l'ordinateur portable d'Hunter Biden, juste avant les élections, n'en étant que l'exemple le plus flagrant - a également été notée dans le monde entier. En fin de compte, ils ont interdit à Trump d'accéder à toutes les plateformes de réseaux sociaux alors qu'il était encore en fonction, même s'il avait déclaré qu'il partirait paisiblement.
Au fond, l'ensemble de l'establishment américain était tellement consumé par le désir d'envoyer Trump au bûcher qu'ils ont coupé l'échafaudage de l'Empire pour l'utiliser comme bois à brûler.
Dans un discours récent, Joe Biden s'est engagé à « reconstruire, rendre sa place à l'Amérique dans le monde » en tant que pays qui « se fera une fois de plus le champion de la liberté et de la démocratie ». C'est une tâche colossale, de la même sorte que remettre un génie dans sa bouteille, ou recoller les morceaux d'Humpty Dumpty.
Ironiquement, la seule chose qui pourrait réparer le prestige américain dans le monde serait de rassembler les fragments de la République américaine, presque irrémédiablement brisée par quatre années de « Résistance » à Trump. Mais comme cela impliquerait une certaine prise de conscience et un examen de conscience sincère, cela reste, dirons-nous par euphémisme, très peu probable.
Traduction et note d'introduction Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia
Illustration Pete Linforth / Pixabay