25/01/2021 tlaxcala-int.org  10min #184726

Le nouveau gouvernement Us sera encore plus blackrockisé que les précédents

 Werner Rügemer

Cela avait commencé avec Obama, cela n'a nullement cessé sous Trump. Et Biden est depuis longtemps le lobbyiste invisible du plus grand paradis fiscal du monde. « Amerika first » par d'autres moyens.

Sous le regard de Roosevelt, l'ex-président Barack Obama le 22 octobre 2014 avec Katie Beirne Fallon, Directrice des Affaires législatives, et Brian Deese, ancien Directeur adjoint du Bureau du Management et du Budget. Photo : Maison Blanche/Pete Souza

À peine fut-il clair que Joe Biden avait gagné l'élection présidentielle aux USA qu'il embarqua Brian Deese sur son bateau : le chef du Département pour l'investissement durable international de la société d'investissement US Black Rock devient économiste en chef du Président. Le patron de BlackRock Lawrence Fink est en effet le porte-parole du capital mondial occidental pour « l'économie durable ». Et « l'économie durable » doit aussi devenir la marque de fabrique du nouveau gouvernement.

Puis a suivi la deuxième nomination : Wally Adeyemo. Il était conseiller en chef du Président Obama pour les relations économiques internationales. Il est ensuite passé chez BlackRock en tant que chef de bureau de Fink, et est depuis 2014 président de la Fondation Obama. Il doit maintenant devenir sous Biden secrétaire adjoint au Trésor

Puis a suivi la troisème nomination : Michael Pyle. Sous Obama, il était responsable des relations financières internationales au sein du secrétariat au Trésor (ministère des Finances). Puis il est devenu le patron de la stratégie d'investissement globale chez BlackRock. Et le voilà à présent économiste en chef de la vice-présidente Kamala Harris.

Ainsi fonctionnent les chaises musicales de la démocratie du capital US : de BlackRock au gouvernement, du gouvernement à BlackRock et vice versa - et on recommence.

Biden : lobbyiste du plus important paradis fiscal du monde

De 1973 à 2009, Biden a été sénateur de l'Etat fédéral du Delaware. Dès 29 ans, alors qu'il était avocat d'affaires, il avait brigué ce poste, et il l'a conservé pendant 35 ans.

Ce mini-État d'à peine un million d'habitants est le plus grand paradis fiscal de l'Occident sous direction US : le nombre des sociétés-boîtes à lettres est au moins deux fois plus élevé que le nombre d'électeurs inscrits. Pratiquement toutes les grandes banques et entreprises des USA ont là leur siège légal et fiscal - ou celui de leurs filiales.

Les boîtes à lettres sont gérées ici chez des agents fiduciaires qui gagnent bien leur vie : c'est là l'industrie essentielle du Delaware. Des dizaines de milliers d'entreprises et de banques du monde entier, de l'Ukraine, l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne au Mexique ont aussi leur siège légal ici.

La liste des participations de la Deutsche Bank montre à elle seule plusieurs douzaines de sociétés-boîtes aux lettres à Wilmington, la petite capitale du petit « Luxembourg des USA », comme on appelle souvent le Delaware.

Dans le mini-État - si central pour l'UE - du Luxembourg règne Son Altesse Royale le Grand-Duc Henri, de la dynastie Luxembourg-Nassau. Dans le Delaware, règne le clan Biden avec à sa tête le Sénateur Biden. Son fils Beau Biden est devenu ici, sans avoir trop à se fatiguer, procureur général. L'autre fils, Hunter Biden, agit comme actif spéculateur financier, entre autres en Ukraine - au besoin, Papa Biden est intervenu aussi en sa faveur sur place, à Kiev.

Joe Biden a été en dernier lieu subventionné pour ses batailles électorales par les grandes entreprises numériques comme Alphabet/Google, Microsoft, Amazon, Apple, Facebook, Netflix, mais aussi par JP Morgan Chase, Blackstone et le clan Walmart. Mais des entreprises du Delaware ont aussi soutenu leur influent sénateur, parmi elles, la Société de cartes de crédit MBNA et John Hynansky, qui vient d'Ukraine et domine l'exportation des SUV Premium en Ukraine. (1)

Comme sénateur à Washington, Biden a toujours voté en faveur d'importantes dérégulations du secteur financier avec les Républicains. Grâce à l'aide de son sénateur, le Delaware s'est affirmé comme un des plus importants paradis fiscaux du monde. Relève aussi de ce contexte une législation de la gouvernance des entreprises extrêmement « libérale » (une responsabilité extrêmement restreinte) et une justice assortie.

Bien sûr, le conglomérat mondial BlackRock, qui participe au gouvernement à Washington, a aussi son siège légal à Wilmington/Delaware.

BlackRock, acteur d'« America First»

BlackRock est un gros actionnaire dans quelque 18 000 entreprises, banques et prestataires de services financiers aux USA, dans l'UE, en Grande-Bretagne, Asie et Amérique Latine. BlackRock qui, en trois décennies, a atteint le rang de plus grand organisateur de capitaux de l'Occident sous conduite US, récolte et investit avant tout le capital des super-riches.

On peut devenir client à partir d'environ 50 millions de dollars US qu'une famille d'entrepreneurs ou même un cadre supérieur indépendant a sur son compte. Cet investisseur promet des gains plus élevés qu'on ne peut en gagner dans une entreprise ordinaire. BlackRock (toujours compris, ici et dans la suite, comme le plus important représentant de ce nouveau genre d'investisseur) « génère » ces gains supérieurs grâce à une combinaison de diverses pratiques.

- BlackRock n'a aucun guichet bancaire ni aucun rapport public avec la clientèle. Les super-riches font leurs virements de façon directe. C'est pourquoi l'appareil de management de BlackRock ne compte, pour les huit billions (8 000 milliards) de dollars US de capital qu'il gère, que 16 000 employés - tandis que la Deutsche Bank, pour même pas un centième de ce capital, doit entretenir 87 000 employés, ce qui réduit ses profits.

L'ex-ministre des Affaires étrangères US John Kerry avec Brian Deese, ancien conseiller principal de la Maison Blanche, et Jon Finer, chef de cabinet du ministère des Affaires étrangères, en 2015, pendant une conversation par téléphone avec le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Photo : Maison Blanche/Pete Souza

- Ensuite, BlackRock est le plus gros organisateur des sociétés boîtes aux lettres. Le capital des super-riches sera placé, pour chacun en particulier, dans une société boîte aux lettres spéciale, dans le paradis fiscal approprié à chaque cas, Delaware, Îles Caïman ou Luxembourg. Ces investisseurs sont en même temps anonymisés, devenant sans nom et invisibles pour le public, les services des finances et le contrôle fiscal.

C'est ainsi qu'environ 5% des actions du conglomérat du lignite RWE sont répartis sur 154 sociétés boîtes aux lettres dans une douzaine de paradis fiscaux, sous des noms comme BlackRock Holdco 4 LLC, BlackRock Holdco 6 LLC, etc. BlackRock non seulement se rend lui-même coupable d'évasion fiscale, mais offre la possibilité de le faire : sur le plan légal, c'est de la complicité. (2)

- Puis, Blackrock gère avec ALADDIN la plus grande installation robotisée pour la collecte et l'exploitation des données financières et économiques. En l'espace de quelques nano-secondes, les valeurs et évolutions des valeurs de toutes les actions et autres titres dans toutes les bourses du monde sont saisies et mises en jeu pour l'achat et la vente.

En tant que copropriétaire de 18 000 entreprises - par exemple, en Allemagne, de Wirecard -, parmi lesquelles tous les grands groupes du numérique comme Amazon, Google, Apple, Microsoft et Facebook, copropriétaire aussi des deux plus importantes agences de notation Standard&Poor's et Moody's,, BlackRock peut donc, en tant que plus grand initié, avoir accès le plus rapidement à certaines données - avant les autres spéculateurs.

En outre, BlackRock, en tant que gérant des avoirs des super-riches occidentaux, ne se soucie pas de la santé des économies nationales. L'appauvrissement des États, même des USA et de l'Allemagne, par l'évasion fiscale organisée, continue. Même l'UE reste impuissante contre ce fléau voire s'en montre complice.

De plus, les entreprises dans lesquelles BlackRock investit comme copropriétaire - en Allemagne, pratiquement tous les groupes cotés en bourse - sont "restructurées" pour faire des profits, réduites, vendues à la découpe (comme actuellement chez ThyssenKrupp), fusionnées (comme chez Bayer-Monsanto), avec destruction de postes de travail, externalisations, etc. En tant que gros actionnaire d'Amazon, Fink, le chantre de l'économie durable, ne s'est encore jamais exprimé contre l'ennemi des syndicats et organisateur des bas salaires Jeff Bezos.

On soutient souvent, pas seulement du côté de lobbyistes comme Friedrich Merz, mais aussi à gauche, qu'avec cinq pour cent d'actions, comme chez RWE, Blackrock ne peut pas faire passer en force des décisions. Mais si, mais si, car, avec BlackRock, la règle c'est toujours que, dans des montages variables, une douzaine de d'organisateurs de capitaux similaires, eux aussi actionnaires, comme Vanguard, State Street, Amundi, Norges, Wellington, Fidelity, Capital Group... se donnent le mot.

Le gouvernement US sous Biden apparaît ainsi comme le gouvernement des super-riches aussi bien traditionnels que nouveaux. C'est là une minorité capitaliste égoïste et radicale de peut-être un à deux pour cent de la population des USA Bien sûr, BlackRock représente aussi les intérêts du capital de minorités semblables dans d'autres États importants comme la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la France, la Suède, l'Espagne, le Mexique : elles ont toutes placé leur capital libre chez BlackRock & Co.

Obama, Trump, Biden : tous avec BlackRock !

En 2008, le Président Obama avait chargé BlackRock de régler la crise financière : quelle banque, quelle compagnie d'assurances, quel conglomérat devait être sauvé - ou non.

BlackRock empocha pour cela une rémunération de centaines de millions. Mais la consécration officielle par l'État était encore plus importante ; en faisait partie l'investiture comme conseiller de la plus grande banque centrale du monde occidental, la Federal Reserve Bank. Ce fut le coup d'envoi de l'ultime ascension vers l'augmentation annuelle de dix pour cent du capital collecté et placé qui est aujourd'hui de huit billions de dollars US.

De même la nomination de BlackRock comme Conseiller de la Banque Centrale Européenne BCE et, finalement, en 2020, comme Conseiller de la Commission Européenne à Bruxelles pour la nouvelle formule de rénovation capitaliste ESG :Environnement, Social, Gouvernement. (3)

Mais sous Trump non plus, BlackRock n'était absolument pas déconnecté. Depuis mars 2020, et en tant que Conseiller de la Réserve Fédérale, BlackRock gère le « Programme d'aide contre le Coronavirus », de même que les 750 milliards du « Programme de reconstruction Corona » des USA. On parlait de Fink, le patron de BlackRock, comme Ministre des Finances de Hillary Clinton. Mais quand le vainqueur des élections, Trump, diminua fortement les impôts pour les entreprises, l'opportuniste Fink chanta ses louanges : « Trump est bon pour l'Amérique ».

BlackRock est une composante active d'« Amerika first », quel que soit celui des deux partis monopolistes des USA qui gouverne.

Notes

  1. Joseph DiStefano : Joe Biden's Friends and Backers Come Out on Top - at the Expense of the Middle Class, The Nation 7.11.2019
  2. Werner Rügemer  : Les capitalistes du XXI e siècle), p. 27 et suivantes
  3. Voir aussi  blackrocktribunal.de

 publish-books.tredition.de:443

 tredition.de

 Werner Rügemer

 Les Capitalistes du XXIème siècle

 La montée en puissance des nouveaux gestionnaires financiers. Un résumé généralement compréhensible

 Tredition, 2020 376 pages ISBN: 978-3-347-15729-3  14,99 €

Manifestation contre les plans de privatisation des retraites du gouvernement Macron, Paris, 17 décembre 2019. BlackRock a participé activement à ces plans

Le siège parisien de BlackRock après une action de militants du climat le 10 février 2020. Photo Jerome Gilles/NurPhoto via Getty Images

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  heise.de
Publication date of original article: 17/01/2021

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