31/01/2021 les-crises.fr  10 min #185025

Avril Haines, nouvelle directrice du Renseignement américain, confirmée au Sénat

Source :  Consortium News, Medea Benjamin, Marcy Winograd

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le choix de Biden est celui d'une meurtrière par drone ayant joué un rôle clé dans la dissimulation du programme américain de torture, écrivent Medea Benjamin et Marcy Winograd.

5 décembre 2015 : Avril Haines, deuxième à partir de la droite, et d'autres aides à la sécurité nationale rencontrent le président Barack Obama. (Maison Blanche, Pete Souza)

Première avocate du président Barack Obama au Conseil national de sécurité de 2010 à 2013, puis directrice adjointe de la CIA de 2013 à 2015, Haines est l'archétype du loup déguisé en mouton. Elle est l'affable assassin qui, selon Newsweek, serait convoquée au milieu de la nuit pour décider si un citoyen de n'importe quel pays, y compris le nôtre, doit être carbonisé par une attaque de drone américain dans un pays lointain du grand Moyen-Orient.

Haines a également joué un rôle clé dans la dissimulation du programme américain de torture, appelé par euphémisme du nom de « techniques d'interrogatoire améliorées, » qui comprenait des arrosages à répétition, des humiliations sexuelles, la privation de sommeil, l'aspersion des prisonniers nus avec de l'eau glacée et des injections rectales d'eau.

Pour ces raisons, entre autres, les groupes d'activistes CODEPINK, Progressive Democrats of America, World Beyond War et Roots Action ont lancé - en vain - une campagne demandant au Sénat de rejeter sa désignation.

Ces mêmes groupes ont mené des campagnes fructueuses pour dissuader Biden de choisir deux autres candidats bellicistes pour des postes cruciaux de politique étrangère : Michele Flournoy, secrétaire d'État à la défense, et Mike Morell, directeur de la CIA, spécialiste de la torture.

En 2015, alors que Haines était directeur adjoint de la CIA, des agents de la CIA ont illégalement piraté les ordinateurs de la Commission sénatoriale du Renseignement pour contrecarrer l'enquête du comité sur le programme de détention et d'interrogatoire de l'agence d'espionnage.

Haines a passé outre le propre inspecteur général de la CIA en ne sanctionnant pas les agents de la CIA qui ont violé la séparation des pouvoirs prévue par la Constitution américaine. Selon John Kiriakou, ancien lanceur d'alerte de la CIA, elle a non seulement exonéré les pirates informatiques de toute responsabilité, mais leur a même décerné la Career Intelligence Medal [Médaille honorant la carrière d'un membre du renseignement, NdT].

Le rôle de la rédaction

Et ce n'est pas tout. Lorsque le rapport exhaustif de 6 000 pages sur la torture de la commission sénatoriale du Renseignement fut enfin terminé, après cinq ans d'enquête et de recherche, Haines s'est chargée de le remanier pour nier le droit du public à en connaître tous les détails, réduisant le document à un résumé de 500 pages, lourdement caviardé d'encre noire.

Page 45 du rapport caviardé de la commission sénatoriale du renseignement sur la torture de la CIA.

Cette censure va au-delà de la simple « protection des sources et des méthodes ». Elle a évité à la CIA d'être mise en difficulté, tout en assurant son propre avancement professionnel.

De plus, Haines a soutenu l'apologiste de la torture Gina Haspel en qualité de directrice de la CIA sous Trump. Haspel dirigeait une prison secrète en Thaïlande où la torture était régulièrement infligée. Haspel a également rédigé le mémo ordonnant la destruction de près de 100 cassettes vidéo documentant les tortures infligées par la CIA.

Comme l'a déclaré David Segal de Demand Progress à CNN :

« Haines a le triste record d'avoir couvert à maintes reprises la torture et les tortionnaires. Son insistance pour des expurgations massives du rapport sur la torture, son refus de sanctionner le personnel de la CIA qui a piraté le Sénat et son soutien véhément à Gina Haspel - qui a même été encensée par la Maison Blanche sous Trump, les Démocrates s'opposant presque unanimement au candidat alors nommé à la tête de la CIA - devraient être interrogés au cours du processus de confirmation. »

Ce constat a été repris par Mark Udall, sénateur démocrate membre de la commission des renseignements lorsque celle-ci a terminé le rapport sur la torture.

« Si notre pays veut tourner la page sur le chapitre sombre de notre histoire qu'a été le programme de torture de la CIA, nous devons cesser de nommer et de confirmer ceux qui ont dirigé ce terrible programme et ont contribué à le dissimuler. »

Une autre raison pour laquelle la nomination de Haines devrait être rejetée, est son soutien à la prolifération des drones tueurs. Il y a eu un effort concerté des anciens collègues d'Obama pour faire passer Haines pour une personne modérée qui essayait de protéger les civils. Mais selon l'ancien lanceur d'alerte de la CIA John Kiarikou, Haines a régulièrement approuvé les attentats de drones qui ont tué non seulement des terroristes présumés, mais aussi des familles entières, y compris des enfants, qui sont considérés comme dommages collatéraux. C'est Avril qui a décidé qu'il était légal de « carboniser quelqu'un du ciel », a déclaré Kiriakou.

« La modeste espionne... a permis des meurtres télécommandés et a utilisé un épais feutre noir pour masquer les tortures de la CIA. »

Lorsque les groupes de défense des droits de l'Homme ont dénoncé le recours inconsidéré d'Obama aux exécutions extrajudiciaires, notamment l'hypothèse selon laquelle tous les hommes d'âge militaire se trouvant dans la zone de frappe étaient des « combattants ennemis » et donc des cibles légitimes, Haines a été recrutée pour cosigner une nouvelle « directive politique présidentielle » visant à renforcer la réglementation. Mais cette nouvelle « directive », publiée le 22 mai 2013, a continué à brouiller la distinction entre civils et combattants, en normalisant les assassinats ciblés et en réfutant dans les faits la présomption d'innocence qui a été le socle du droit civil pendant plus de 800 ans.

Le manuel du drone, « PROCÉDURES D'APPROBATION DES ACTIONS DIRECTES CONTRE LES CIBLES TERRORISTES SITUÉES EN DEHORS DES ÉTATS-UNIS ET DES ZONES D'ACTIVITÉ », indique en page 1 que « toute action directe doit être menée légalement et entreprise contre des cibles légitimes », mais les directives ne font jamais référence aux lois internationales ou nationales qui définissent quand les exécutions extrajudiciaires en dehors d'une zone de guerre active sont autorisées.

En page 4, les directives relatives aux frappes de drones permettent d'engager des actions meurtrières contre ceux qui ne sont pas des « cibles de grande valeur », sans expliquer les critères que la CIA utilise pour identifier quelqu'un comme une menace imminente pour la sécurité des États-Unis.

À la page 12, les co-auteurs, dont Haines, ont édité les exigences minimales du profil d'un individu « nommé » pour une action meurtrière. Le terme même de « nommé » suggère un effort pour édulcorer l'assassinat ciblé, comme si la cible de l'attentat à la bombe était recommandée pour un poste au sein du cabinet présidentiel américain. [Remarque : vous pourriez (de manière quelque peu sarcastique) mettre « [sic] » après la première utilisation du mot « nommé »].

Page 12 des directives de Haines sur les exécutions extrajudiciaires. Les données de profil requises pour les personnes « nommées » pour une action létale sont expurgées.

En outre, les directives elles-mêmes ont souvent été totalement ignorées. La directive stipule, par exemple, que les États-Unis « privilégient, par principe, la capture des personnes soupçonnées de terrorisme comme option préférable à une action meurtrière » et que l'action meurtrière ne devrait être entreprise « que lorsque la capture d'un individu n'est pas possible ».

Mais l'administration Obama n'a rien fait de tel. Sous le président George W. Bush, au moins 780 personnes soupçonnées de terrorisme ont été capturées et jetées dans le goulag américain de Guantanamo. Les directives de Haines interdisent le transfert à Guantanamo, les suspects ont donc été simplement carbonisés.

Les directives exigeaient « la quasi-certitude que les non-combattants ne soient pas tués ou blessés », mais cette exigence a été régulièrement violée, comme l'a montré le Bureau of Investigative Journalism.

Des mots vides sur papier

Les directives de Haines stipulent également que les États-Unis respecteront la souveraineté des autres États, n'entreprenant des actions meurtrières que lorsque les autres gouvernements « ne peuvent ou ne veulent pas » faire front à une menace pour les États-Unis. Les États-Unis ont à peine consulté les gouvernements sur le territoire desquels ils lançaient des bombes et, dans le cas du Pakistan, ils ont ouvertement défié le gouvernement.

En décembre 2013, l'Assemblée nationale du Pakistan a approuvé à l'unanimité une résolution contre les attaques de drones américains au Pakistan, les qualifiant de violation de « « la charte des Nations unies, des lois internationales et des normes humanitaires », a déclaré l'ancien Premier ministre pakistanais Nawaz Sharif :

«L'utilisation de drones est non seulement une violation continue de notre intégrité territoriale, mais elle est aussi préjudiciable à notre détermination et à nos efforts pour éliminer le terrorisme de notre pays. »

Mais les États-Unis ont ignoré les requêtes du gouvernement élu du Pakistan.

Un drone MQ-9 Reaper roule sur une piste d'atterrissage en Afghanistan. (U.S. Air Force, Brian Ferguson)

La prolifération des assassinats par drones sous Obama, du Yémen à la Somalie, a également violé la loi américaine, qui permet au seul Congrès d'autoriser un conflit militaire. Mais l'équipe juridique d'Obama, dont faisait partie Haines, a contourné la loi en insistant sur le fait que ces interventions militaires relevaient de l'Authorization for the Use of Military Force de 2001 (AUMF, Autorisation d'utilisation de la force militaire), loi adoptée par le Congrès pour cibler l'Afghanistan au lendemain des attaques du 11 septembre. Cet argument spécieux a permis l'utilisation abusive et incontrôlée de cette AUMF de 2001 qui, selon le Congressional Research Service, a été invoquée pour justifier l'action militaire américaine au moins 41 fois dans 19 pays.

En outre, les directives n'exigent même pas que la CIA et les autres agences participant au programme de drones notifient au président, le commandant en chef, qui doit être tué lors d'une frappe de drone, sauf lorsque la personne ciblée est un citoyen américain ou lorsque les agences en charge ne peuvent se mettre d'accord sur la cible.

Il existe de nombreuses autres raisons de rejeter Haines. Elle préconise l'intensification de sanctions économiques paralysantes contre la Corée du Nord qui sapent une paix négociée, et un « changement de régime » - élaboré par un allié des États-Unis - qui pourrait rendre une Corée du Nord effondrée susceptible d'être victime de vols terroristes de son matériel nucléaire ; elle a été consultante chez WestExec Advisors, une société qui exploite des relations d'initiés au sein du gouvernement pour aider les entreprises à obtenir des contrats du Pentagone ; et elle a été consultante chez Palantir, une société d'extraction de données qui a facilité les déportations massives d'immigrants par Trump.

Mais le seul bilan de Haines en matière de torture et de drones devrait suffire pour que les sénateurs rejettent sa désignation. Cette espionne discrète - qui a débuté à la Maison Blanche comme conseillère juridique au Département d'État sous Bush en 2003, l'année où les États-Unis ont envahi l'Irak - pourrait faire plus penser et ressembler à votre professeur d'université préféré qu'à quelqu'un qui a permis des meurtres à distance ou qui a manié un épais feutre noir pour dissimuler la torture de la CIA.

[Pourtant, le Sénat a bel et bien confirmé Haines à son poste. Une décision qui remet très rapidement en question les ambitions de l'administration Biden, qui promettait de rétablir la transparence, l'intégrité et le respect du droit international...NdT]

Medea Benjamin est cofondatrice de CODEPINK for Peace et auteur de plusieurs livres, dont Inside Iran : The Real History and Politics of the Islamic Republic of Iran et Drone Warfare : Killing by Remote Control [La guerre des drones : tuer à distance, NdT]

Marcy Winograd, des Progressive Democrats of America, a été déléguée du DNC 2020 [Comité national démocrate, NdT] pour Bernie Sanders et a cofondé le Caucus progressiste du Parti démocrate de Californie. Coordinatrice du CODEPINKCONGRESS, Marcy Winograd est le fer de lance de l'appel du Capitole aux partis pour mobiliser les partenaires et les votes en faveur de la paix et de la législation sur la politique étrangère. Suivez la sur Twitter : @marcywinogrand

Source :  Consortium News, Medea Benjamin, Marcy Winograd

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