17/02/2021 reseauinternational.net  4 min #185721

Stratfor réchauffe les douleurs fantômes de l'Empire ottoman

par Alexandre Lemoine.

Habituellement, les gens entendent plus volontiers ce qui est agréable à entendre. Comme l'illustre parfaitement le pronostic de l'agence militaire américaine Stratfor présenté sur la chaîne nationale turque TR1, selon lequel d'ici 2050 la Turquie renforcera significativement sa présence dans plusieurs régions.

D'après sa carte, d'ici 2050 la Turquie élargira considérablement la zone de son influence dans plusieurs directions à la fois. Ainsi, les analystes ont prédit qu'Ankara parviendra à renforcer ses positions dans plusieurs régions au sud de la Russie, notamment en Crimée, au Kouban, en Kalmoukie, dans la région d'Astrakhan et dans les républiques du Caucase du Nord.

La Géorgie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan, plusieurs territoires du Kazakhstan, de l'Ouzbékistan et du Turkménistan, ainsi que des territoires de la Grèce et des républiques autoproclamées du Donbass devraient se retrouver sous l'influence turque. De plus, d'après les experts, il faut s'attendre au renforcement des positions de la Turquie dans les pays du Golfe, en Égypte et en Libye.

En novembre 2020, le président turc Recep Tayyip Erdogan a parlé du leadership de la république dans le nouvel ordre mondial. Selon lui, son pays possède les capacités nécessaires pour élargir sa puissance et influence dans le nouvel ordre politique et économique.

En juin 2020, il a été annoncé que l'état-major des forces armées turques élaborait un plan d'invasion en Grèce et en Arménie. Le premier a été baptisé Çaka Bey en hommage à l'émir de Seljuk Çaka Bey, dont la flotte a conquis au XIe siècle en mer d'Égée les îles Lesbos, Chios, Samos et Rhodes. Le second a été baptisé Altay en hommage au général Fahrettin Altay, qui commandait l'un des corps pendant la guerre turque pour l'indépendance.

Selon les prévisions des experts américains, entre autres, le Turkménistan, les régions occidentales du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan devraient « se dissoudre » dans la Turquie.

C'est loin d'être un secret pour les habitants de l'Asie centrale que leur région joue un rôle majeur dans la construction de ce qu'on appelle le « monde turc » lequel, d'après Ankara, doit représenter au moins un espace économique, culturel et militaro-technique commun, à défaut d'être un État allié.

À cet effet, la Turquie a mis en place tout un réseau d'associations d'intégration, de Türksoy (Organisation internationale pour la Culture turque) aux fondations pour la réalisation de projets sur le territoire du Grand Touran. Il n'y aurait rien de mal dans l'aspiration des peuples parents de développer leur coopération si l'on ne savait pas comment le « monde turc » est perçu par le gouvernement turc.

Derrière les multiples « arbres » d'attraction sous la forme d'investissements, de coopération militaire, de festivals et d'établissements scolaires, on oublie facilement la « forêt » du néo-ottomanisme.

Par ailleurs, encore au début des années 1990, la Turquie a exprimé le désir de « diriger » les anciennes républiques de l'URSS. Le premier ministre turc Süleyman Demirel déclarait que son pays avait une perspective unique de « déterminer l'avenir politique des républiques musulmanes de la CEI ». Alors que l'ancien patron de l'Agence turque de Coopération et de Développement (TIKA) spécialement créée à cet effet, Abdulhaluk Çay, disait que « la République turque était un successeur du grand Empire ottoman et devait créer une alliance avec l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Kirghizistan et le Turkménistan ».

Ce qui présente sous un tout autre angle les multiples exemples d'usage de la « soft power » par Ankara dans les pays d'Asie centrale. Les autorités des pays de la région pourraient découvrir soudainement que des milliers de leurs militaires, agents, soldats, imams, transmetteurs, ingénieurs et enseignants formés en Turquie sont devenus turcs.

Naturellement, Recep Erdogan, inspiré par les succès de l'armée azérie au Haut-Karabakh, a apprécié les pronostics de Stratfor. Tout comme les stratèges américains qui aiment bien créer des fantômes d'une Grande Asie centrale, d'un Grand Moyen-Orient et ainsi de suite, tout en réchauffant les douleurs fantômes d'anciens empires.

Mais vont-ils plaire aux pays d'Asie centrale, qui ont été si facilement rayés de la carte du monde par ces « prévisionnistes » ?

source :  observateurcontinental.fr

 reseauinternational.net

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