20/02/2021 les-crises.fr  6 min #185842

États-Unis : Nouvelles tensions après l'annonce d'exercices de guerre conjoints avec la Corée du Sud

Source :  Consortium News, Ann Wright

Traduit par les lecteurs du site Les Crises

Ann Wright explique que Blinken, plutôt que de reconnaître le caractère dangereux de ces exercices, a critiqué leur suspension comme étant un geste d'apaisement envers Pyongyang.

2012 : Un soldat sud-coréen informe le général d'armée Martin E. Dempsey, président de l'état-major interarmées américain, des points d'intérêt de la zone démilitarisée. (DoD, D. Myles Cullen)

L'un des défis de politique étrangère les plus épineux auxquels l'administration Biden devra faire face est une Corée du Nord dotée de l'arme nucléaire. Les pourparlers entre les Etats-Unis et la Corée du Nord sont au point mort depuis 2019, et la Corée du Nord continue de développer son arsenal d'armes, dévoilant récemment ce qui semble être son plus grand missile balistique intercontinental.

En tant que colonelle de l'armée américaine à la retraite et diplomate américaine avec 40 ans d'expérience, je ne sais que trop bien combien les actions de l'armée américaine peuvent exacerber les tensions qui mènent à la guerre.

C'est pourquoi l'organisation dont je suis membre, Veterans for Peace, fait partie des centaines d'organisations de la société civile aux États-Unis et en Corée du Sud qui demandent instamment à l'administration Biden de suspendre les prochains exercices militaires conjoints États-Unis-Corée du Sud.

En raison de leur ampleur et de leur nature provocatrice, les exercices annuels communs États-Unis-Corée du Sud sont depuis longtemps un point critique de tensions militaires et politiques accrues dans la péninsule coréenne.

Ces exercices militaires sont suspendus depuis 2018, mais le général Robert B. Abrams, commandant des forces américaines en Corée, a renouvelé l'appel à la reprise intégrale des exercices de guerre conjoints. Les ministres de la Défense des Etats-Unis et de la Corée du Sud ont également convenu de poursuivre les exercices communs, et Antony Blinken, candidat au poste de secrétaire d'Etat de Biden, a déclaré que les suspendre avait été une erreur.

Plutôt que de reconnaître que ces exercices militaires conjoints ont de fait augmenté les tensions et provoqué des représailles de la part de la Corée du Nord, Blinken a critiqué la suspension des exercices y voyant un signe d'apaisement vers la Corée du Nord.

Et malgré l'échec de la campagne de « pression maximale » de l'administration Trump contre la Corée du Nord, sans parler des décennies de tactiques américaines basées sur la pression, Blinken insiste sur le fait qu'il faut encore plus de pression pour parvenir à la dénucléarisation de la Corée du Nord. Dans une interview à CBS, Blinken a déclaré que les Etats-Unis devraient « mettre en place une véritable pression économique pour essorer la Corée du Nord et l'amener à la table des négociations. »

Antoine Blinken en 2016. (Département d'État, Flickr)

Malheureusement, si l'administration Biden choisit d'aller jusqu'au bout des exercices militaires conjoints États-Unis-Corée du Sud en mars, cela risque fort de saboter toute perspective de diplomatie avec la Corée du Nord dans un avenir proche, d'accroître les tensions géopolitiques et de relancer une guerre dans la péninsule coréenne, ce qui serait catastrophique.

Depuis les années 1950, les États-Unis utilisent les exercices militaires comme « démonstration de force » pour dissuader une attaque nord-coréenne contre la Corée du Sud. Pour la Corée du Nord, cependant, ces exercices militaires - qui portent des noms tels que « Exercice de Décapitation » - semblent être des exercices de répétition en vue du renversement de son gouvernement.

Il faut savoir que ces exercices militaires communs États-Unis-Corée du Sud impliquent l'utilisation de bombardiers B-2 capables de larguer des armes nucléaires, de porte-avions à propulsion nucléaire et de sous-marins équipés d'armes nucléaires, ainsi que le tir de pièces d'artillerie à longue portée et d'autres armes de gros calibre.

Ainsi, suspendre les exercices militaires conjoints États-Unis - Corée du Sud serait une mesure indispensable pour rétablir la confiance et pourrait aider à relancer les pourparlers avec la Corée du Nord.

À l'heure où le monde est confronté à des crises humanitaires, environnementales et économiques urgentes, les exercices militaires États-Unis - Corée du Sud détournent également des ressources indispensables aux efforts visant à assurer une véritable sécurité humaine par la fourniture de soins de santé et la protection de l'environnement. Ces exercices conjoints ont coûté des milliards de dollars aux contribuables américains et ont causé des dommages irréparables aux résidents locaux et à l'environnement en Corée du Sud.

Des deux côtés, les tensions actuelles dans la péninsule coréenne sont utilisées pour justifier des dépenses militaires massives. La Corée du Nord se place au premier rang au monde en termes de dépenses militaires exprimées en pourcentage de son PIB. Mais en valeur absolue en dollars, la Corée du Sud et les États-Unis dépensent beaucoup plus pour la défense, les États-Unis se classant au premier rang mondial pour les dépenses militaires (732 milliards de dollars) - plus que les dix pays qui suivent sur la liste réunis - la Corée du Sud étant au dixième rang (43,9 milliards de dollars). En comparaison, le budget total de la Corée du Nord n'est que de 8,47 milliards de dollars (en 2019), selon la Banque de Corée.

En définitive, pour mettre fin à cette dangereuse et coûteuse course aux armements et éliminer le risque d'une nouvelle guerre, l'administration Biden devrait immédiatement réduire les tensions avec la Corée du Nord en s'efforçant de résoudre la cause profonde du conflit : la guerre de Corée qui dure depuis 70 ans. Mettre fin à cette guerre est le seul moyen de parvenir à une paix permanente et à la dénucléarisation de la péninsule coréenne.

Ann Wright est une ancienne combattante de l'armée américaine et de la réserve qui a pris sa retraite après 29 ans de service en tant que colonelle. En tant qu'ancienne diplomate américaine, elle a démissionné en mars 2003 pour marquer son opposition à la guerre d'Irak. Elle a servi au Nicaragua, à la Grenade, en Somalie, en Ouzbékistan, au Kirghizistan, en Sierra Leone, en Micronésie et en Mongolie. En décembre 2001, elle faisait partie de l'équipe restreinte qui a ré-ouvert l'ambassade américaine à Kaboul, en Afghanistan. Elle est la co-autrice du livre « Dissent : Voices of Conscience. » (non traduit : Dissidence : les voix de la conscience, NdT).

Source :  Consortium News, Ann Wright -29-01-2021

Traduit par les lecteurs du site Les Crises

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