06/03/2021 les-crises.fr  9 min #186456

Nucléaire iranien : La politique coercitive de Biden menace de provoquer une nouvelle crise régionale

Source :  The Gray Zone, Gareth Porter

Traduit par les lecteurs du site Les Crises

Mise à jour : L'Iran et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) ont annoncé un  accord « temporaire » pour maintenir une surveillance des activités nucléaires, bien que réduite, le temps que les pourparlers diplomatiques s'engagent entre les signataires du pacte de 2015.

L'équipe Biden prévoit de conserver ce qu'elle considère apparemment comme sa carte maîtresse : les sanctions de l'administration Trump contre les exportations de pétrole de l'Iran qui ont ravagé l'économie iranienne.

Une analyse approfondie des récentes déclarations des membres de l'équipe de politique étrangère du président Joseph Biden indique que son administration a déjà signalé son intention de traiter les négociations avec l'Iran comme un exercice de coercition diplomatique visant à imposer de nouvelles concessions majeures allant bien au-delà de l'accord nucléaire de 2015. Cette politique pourrait déclencher une nouvelle crise entre les États-Unis et l'Iran et celle-ci serait aussi grave que toutes les provocations de l'administration Trump.

Bien que l'équipe Biden prétende être prête à réintégrer les États-Unis dans le Plan d'action global conjoint (JCPOA) si l'Iran s'y conforme pleinement en premier, elle prévoit en fait d'exiger que l'Iran renonce à sa principale source de pression politique. Ainsi, elle exigera de l'Iran qu'il cesse d'enrichir de l'uranium à 20 % et qu'il renonce à son stock d'uranium déjà enrichi à ce niveau accumulé avant même que les États-Unis ne retirent les sanctions économiques qui sont désormais illégales en vertu de l'accord du PAGC.

En attendant, l'équipe Biden prévoit de conserver ce qu'elle considère apparemment comme sa carte maîtresse - sa carte Trump : les sanctions de l'administration Trump contre les exportations de pétrole de l'Iran qui ont ravagé l'économie iranienne.

Cependant la stratégie de Biden se heurte à un grave problème : l'Iran a déjà exigé qu'il soit mis fin à toutes les sanctions imposées après l'entrée en vigueur du PAGC avant que l'Iran ne s'y conforme à nouveau. L'Iran s'attend à ce que les États-Unis, étant la partie ayant initialement rompu l'accord, soient les premiers à se mettre en conformité.

La nouvelle stratégie coercitive de Biden

L'administration Biden mise sur un scénario par lequel l'Iran accepterait de cesser son enrichissement à 20% et revienne sur d'autres concessions majeures qu'il a fait dans le cadre de l'accord de 2015.

L'équipe Biden déclare ensuite qu'elle entamerait une nouvelle série de négociations avec l'Iran, par lesquelles les États-Unis utiliseraient leur influence pour faire pression sur cet État afin de prolonger le calendrier de ses principaux engagements au titre de l'accord. En outre, Téhéran devrait accepter une modification de son programme de missiles, comme l'ont instamment préconisé les alliés européens.

La stratégie de l'équipe Biden concernant l'Iran n'a pas été élaborée à la hâte juste avant la prise de fonction. Le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan l'a exposée dans une interview accordée en juin dernier à Jon Alterman, responsable du programme Moyen-Orient au Centre d'études stratégiques et internationales. « Vous pouvez obtenir des victoires rapides sur le programme nucléaire tout en liant l'allègement des sanctions à long terme aux progrès réalisés dans les deux dossiers [nucléaires et autres] », a expliqué Sullivan.

Sullivan a clairement indiqué que le but premier de la stratégie qu'il proposait était de contraindre l'Iran en imposant des restrictions prolongées sur son programme nucléaire. L'idée, explique-t-il, était de « voir s'il est possible d'obtenir une victoire à court terme sur le dossier nucléaire, pour obtenir de l'Iran en gros, qu'il se remette en conformité avec le PAGC et de mettre ensuite sur la voie de la négociation l'élimination à long terme du programme nucléaire iranien ».

Le futur directeur du NSC de Biden a laissé entendre que les sanctions américaines seraient exploitées pour amener l'Iran à entamer des pourparlers avec Israël et l'Arabie saoudite concernant les missiles et d'autres questions, mais pas au détriment des objectifs américains sur la question nucléaire.

L'hypothèse selon laquelle les États-Unis maintiendraient leur influence coercitive sur l'Iran est au centre de cette politique. Comme l'a dit Sullivan, résumant un article qu'il a co-signé pour les Affaires étrangères, « les États-Unis devraient dire : Nous nous trouverons sur place, appliquant diverses formes de pression, y compris le levier économique ainsi que les volets militaires, indépendamment du fait que nous ayons 20.000 soldats de plus ou 10.000 de moins sur place. »

Au cœur de la stratégie de Biden se trouve l'exigence que l'Iran revienne immédiatement au respect intégral de l'accord nucléaire. Avant que l'Iran ne rejoigne l'accord, la nouvelle administration s'attend à ce qu'il revienne sur les mesures qu'il a prises pour augmenter le niveau et la vitesse de l'enrichissement en réponse au retrait de Trump.

La demande de l'administration Biden ignore le fait que l'Iran a scrupuleusement respecté toutes les dispositions du PAGC pendant deux ans après que l'administration Trump se soit retirée de l'accord. Ce n'est qu'après la ré-introductions par l'administration Trump d'anciennes sanctions qui avaient été interdites par l'accord ainsi que par l'ajout de nouvelles sanctions écrasantes visant à empêcher l'Iran d'exporter du pétrole que l'Iran a commencé à enrichir de l'uranium à des niveaux plus élevés.

En accumulant des exigences coûteuses tout en offrant peu de concessions, la nouvelle administration transmet le message clair qu'elle n'est pas pressée de revenir au PAGC. Le secrétaire d'État Tony Blinken a déclaré dans son témoignage de confirmation que l'administration Biden était « très loin » de revenir à l'accord et n'a rien dit sur l'annulation des sanctions qui ont été introduites ou réintroduites par l'administration Trump après qu'elle ait quitté l'accord.

Robert J. Einhorn, l'un des principaux décideurs politiques d'Obama sur la question nucléaire iranienne en tant que conseiller spécial du département d'État sur le contrôle des armes et la prolifération, qui a maintenu des contacts avec les proches de Biden, a fourni une explication quant à ce message ambigu. Il a émis l'hypothèse que l'administration Biden voulait faire pression sur l'Iran pour obtenir un accord allant bien au delà du rétablissement complet du PAGC : « un « accord transitoire » impliquant le « repli » concernant une partie des activités d'enrichissement actuelles de l'Iran et allant au-delà du PAGC en échange d'un « allègement partiel des sanctions ».

Cette allègement comprendrait « une partie » des revenus des ventes de pétrole bloqués sur des comptes bancaires étrangers. Einhorn semblait confirmer que la nouvelle stratégie de Biden serait basée sur le maintien de l'effet de levier conféré par les sanctions de Trump contre les secteurs pétrolier et bancaire de l'Iran, qui ont paralysé l'économie du ou des pays.

Tirer la mauvaise leçon de la diplomatie coercitive d'Obama

L'équipe de politique étrangère de Biden est composée en grande partie de responsables de l'administration Obama qui ont soit initié les négociations sur un accord nucléaire en 2012-2013, soit ont participé à des étapes ultérieures des négociations. Le directeur du NSC, Sullivan, et le directeur de la CIA, William Burns, ont été des personnages clés dans les premiers pourparlers avec l'Iran ; Blinken a supervisé la phase ultérieure des négociations en tant que secrétaire d'État adjoint, et la sous-secrétaire d'État Wendy Sherman était chargée des négociations au jour le jour avec l'Iran sur le PAGC jusqu'au cycle final à Vienne en 2015.

Il n'est donc pas surprenant que l'équipe Biden poursuive une stratégie iranienne similaire à celle suivie par l'administration Obama dans ses négociations avec l'Iran sur le PAGC lui-même. Cette dernière a fièrement affirmé que grâce à la pression de lourdes sanctions, elle avait réussi à allonger le délai minimum nécessaire dont l'Iran avait besoin pour obtenir suffisamment d'uranium enrichi pour une seule bombe, faisant passer ce délai de deux ou trois mois à un an. En 2012,elle était convaincue qu'elle avait une main diplomatique gagnante puisqu'elle avait obtenu que les alliés européens adhèrent à sa stratégie coercitive de sanctions pétrolières et bancaires qui devait considérablement réduire les recettes en devises de l'Iran.

Mais les efforts d'enrichissement de l'Iran avant que les négociations sur l'accord nucléaire en 2012 ne démarrent, nous racontent une toute autre histoire. Comme l'AIEA l'a indiqué à l'époque, entre fin 2011 et février 2013, l'Iran a enrichi 280 kg d'uranium à 20 %, ce qui le plaçait bien au-dessus du niveau considéré comme suffisant pour « passer » à la bombe. Pendant ce temps, l'Iran a grosso modo doublé sa capacité de centrifugeuses pour un enrichissement à 20 % dans son complexe de Fordow.

Cependant, au lieu de stocker la quantité totale d'uranium enrichi à 20 % pour une éventuelle bombe, l'Iran a fait exactement le contraire : il a immédiatement converti 40 % de sa capacité totale d'uranium enrichi pour alimenter le réacteur iranien. De plus, il n'a pris aucune mesure pour rendre les nouvelles centrifugeuses de Fordow capables d'enrichissement.

L'Iran accumule clairement ses stocks et sa capacité d'enrichissement comme monnaie d'échange pour de futures négociations. En septembre 2012, lors d'une réunion à Istambul avec des représentants de l'UE, l'Iran a confirmé cette stratégie en proposant de suspendre son programme d'enrichissement de 20 % en échange d'un assouplissement significatif des sanctions occidentales.

L'administration Obama pensait que son arsenal de sanctions l'emporterait sur les gadgets diplomatiques de l'Iran. Mais l'Iran a persisté, faisant valoir son droit à un programme d'enrichissement qui ne soit pas seulement symbolique. Dans les tout derniers jours des négociations en 2015, le secrétaire d'État John Kerry a essayé de maintenir un énoncé qui permettraient aux États-Unis de ré-imposer des sanctions dans le cadre de la mise en œuvre de l'accord, comme me l'a déclaré un responsable iranien à Vienne. Mais l'Iran a tenu bon, et Obama avait besoin d'obtenir un accord. Kerry a finalement renoncé à ses exigences.

Blinken, Sullivan et les autres responsables de l'administration Biden qui ont travaillé sur l'Iran sous l'administration Obama semblent avoir oublié comment l'Iran a utilisé l'enrichissement à 20 % pour amener les Etats-Unis à lever leurs sanctions. En tout état de cause, ils sont tellement fascinés par les sanctions Trump et par leur rôle dans le blocage des ventes de pétrole iranien qu'ils pensent que cette fois-ci ils auront le dessus.

Dans sa stratégie pour contraindre un État qui se bat pour ses droits nationaux les plus fondamentaux à se soumettre, l'administration Biden fait preuve d'entêtement dans son refus de reconnaître les limites de la puissance des États Unis. La campagne de pression maximale de l'administration Trump a déjà incité l'Iran à mettre en place des capacités militaires qui lui faisaient auparavant défaut.

Si l'administration Biden refuse de renoncer à sa diplomatie coercitive et provoque une crise, l'Iran peut désormais causer de sérieux préjudices aux États-Unis et à ses alliés dans la région. Pourtant, l'équipe de politique étrangère de Biden semble jusqu'à présent inconsciente quand aux risques sérieux qu'engendre sa conduite actuelle.

Source :  The Gray Zone, Gareth Porter, 25-01-2021

Traduit par les lecteurs du site Les Crises

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