08/03/2021 europalestine.com  8 min #186560

Pour la sixième fois, Israël rase la maison d'un Palestinien handicapé

 8 mars 2021

« Un homme handicapé regarde un bulldozer démolir sa maison. Quelques dizaines de mètres seulement le séparent de la structure, dont le deuxième étage est en train de s'effondrer sur lui-même.

Khatam Abu Riala devant ce qui était sa maison dans le quartier d'Issawiyah à Jérusalem Est. Photo : Alex Levac

Le bulldozer frappe les murs du bâtiment en pierre - qui était encore en construction - martelant et écrasant, renversant un autre mur et détruisant une autre pièce de cet étage supérieur, le transformant en un tas de gravats.

Son propriétaire, qui a investi toutes ses économies dans la construction, observe cette dévastation depuis son fauteuil roulant, entouré de troupes de la police des frontières qui semblent plus menaçantes et violentes que jamais.

Ce n'est pas la première fois qu'il assiste à cette scène, et cela s'est produit en 1999. Ce n'est pas non plus la deuxième, la troisième ou la quatrième fois... car les autorités israéliennes d'occupation ont démoli sa maison à six reprises.

C'est peut-être pour cette raison que seule une poignée de résidents d'Isawiyah, le quartier de Jérusalem-Est que les habitants tiennent à qualifier de «village» - comme pour se souvenir d'un bon temps qui ne reviendra jamais - se sont retrouvés avec lui dans sa détresse.

Khatham Abu Riala doit utiliser un fauteuil roulant depuis la deuxième démolition de sa maison, le 4 février 2009. Alors qu'il protestait, il a trébuché et est tombé du toit de l'immeuble, juste avant que celui-ci ne soit rasé.

La chute de sept mètres sur un sol rocheux a gravement abîmé sa moelle épinière, le laissant paralysé à partir de la taille - et au chômage. Avant sa blessure, il avait été chauffeur pour la firme Superbus. Il porte aujourd'hui le blouson de la société pour se protéger du froid vif de Jérusalem. Il avait également fait un passage en tant que chauffeur de camion dans le port d'Ashdod.

Le handicap d'Abu Riala n'a suscité aucune compassion dans les couloirs de la mairie de Jérusalem.

Ses responsables sont également indifférents au fait que les Palestiniens n'ont aucun moyen de construire légalement à Issawiyah. Presque tous les bâtiments qui y sont construits depuis 1967 sont dits « illégaux », mais la municipalité de Jérusalem a apparemment choisi de concentrer ses efforts sur cet homme en particulier.

Elle mène une guerre incessante contre Abu Riala, qui depuis 22 ans tente de se construire une maison sur un terrain qui lui appartient, attenant à la maison de ses parents - 22 ans pendant lesquels la municipalité n'a toujours pas approuvé un plan d'urbanisme pour Issawiyah, interdisant de fait toute nouvelle construction.

«Les gens se marient. Des enfants naissent. Où allons-nous habiter ? Sommes-nous censés tous vivre dans la même pièce ? » Demande Abu Riala. «C'est la tâche de la ville de préparer un plan directeur. Ils me disent : allez à Beit Hanina [un autre quartier de Jérusalem-Est qui est plus loin, dans la direction de Ramallah]. Mais j'ai un terrain ici. C'est là que je suis né. Pourquoi devrais-je aller à Beit Hanina si j'ai une propriété ici ? »

L'avant-dernière et cinquième fois où sa maison a été rasée - par des entrepreneurs privés travaillant pour le compte de la ville de Jérusalem - c'était en décembre 2019.

En mai 2020, il a entamé la reconstruction. Depuis, la menace de démolition planait sur sa maison, dont la construction était presque achevée.

De toute évidence, nous ne parlons pas ici d'une colonie israélienne ou d'un avant-poste de colons, ni même d'un nouveau quartier pour les juifs ultra-orthodoxes venus des États-Unis. C'est un village palestinien occupé.

Lorsque nous sommes arrivés à Issawiyah tard lundi matin, la destruction était déjà accomplie et les forces d'occupation avaient quitté le village. Abu Riala était assis dans son fauteuil roulant sur le sol rocheux en face des ruines de sa maison, entouré de quelques hommes venus le réconforter et lui remonter le moral, comme dans une tente de deuil.

Parmi eux se trouvait le militant social Mohammed Abu Hummus, dont le corps est marqué par les balles de métal à bout en caoutchouc tirées sur lui par la police israélienne au fil des ans lors de manifestations contre les démolitions de maisons et d'autres activités de protestation.

La maison d'Abu Riala se trouve à la limite orientale d'Issawiyah, face au désert. Son neveu vit avec sa femme et leur enfant au rez-de-chaussée de la maison, tandis que le deuxième étage était réservé à Abu Riala, sa femme et ses deux enfants.

Ce n'est qu'à cet étage qu'Abu Riala pouvait circuler en fauteuil roulant, puisque le bâtiment se tenait sur la pente d'une colline.

Les dalles de béton et les barres de fer qui se sont empilées à l'entrée du premier étage bloquent à présent totalement la porte. Résultat : le neveu d'Abu Riala, Yassin Nasser, sa femme enceinte Maha et leur fils Karam, âgé de 3 ans, sont également sans toit au-dessus de leurs têtes.

Et même si les gravats bloquant l'entrée de leur appartement sont enlevés, ils ne pourront toujours pas rentrer, à cause des fissures et des trous dans le plafond de leur maison. De plus, toute approche vers l'étage supérieur ravagé est dangereuse pour les jeunes qui se déplacent maintenant dans les ruines.

Les décombres à Isawiyah - Photo : Alex Levac

Abu Riala est né en 1978 et a grandi dans ce qui est maintenant la maison de ses parents, à proximité du bâtiment récemment démoli. Lui et sa propre famille ont emménagé avec ses parents pendant la construction.

Sa maison d'enfance se trouvait autrefois au milieu d'un paysage rural, son père plantant et récoltant des concombres et des tomates dans un champ adjacent. «Nous avons grandi dans la nature ici», nous dit-il.Les décombres à Isawiyah - Photo : Alex Levac

Abu Riala est marié à Hiba et ils ont un fils âgée de 14 ans, Anas, et une fille d'un an plus jeune, Dania. Lundi, jour de démolition, était aussi l'anniversaire d'Anas. La seule fois où les yeux d'Abou Riala sont devenus humides lorsque nous lui avons parlé, c'est quand il s'est rappelé que son fils avait demandé dimanche comment ils allaient fêter son anniversaire. Maintenant, ils savent...

Jeudi il y a une semaine, la police des frontières et les fonctionnaires municipaux sont arrivés à la maison et l'ont photographiée. C'était de mauvais augure. Ils sont revenus dimanche.

Ce soir-là, sur la base d'informations qu'ils ont reçues d'une personne de la municipalité, les deux mukhtars d'Isawiyah, Khader Abayat et Omar Zumzum, ont promis à Abu Riala que sa maison ne serait pas démolie le lendemain. «Vous pouvez dormir tranquillement la nuit sans vous inquiéter. Il n'y aura pas de démolition demain », lui ont dit les mukhtars.

Pourtant, Abu Riala a eu une nuit d'insomnie. À 4h30 du matin il est allé à la mosquée locale pour les prières de l'aube. Il était ravi de voir qu'il n'y avait pas d'agitation dans le village; il n'a vu aucun policier, aucun bulldozer, aucun fonctionnaire municipal.

«Je me suis dit: 'Mon Dieu, les mukhtars avaient raison. Il n'y aura pas de démolition aujourd'hui.' »

Il est rentré chez lui. Mais à 7h20, il a reçu un appel de son frère Jawad, de l'usine de plastique de Kiryat Malakhi où il travaille. Jawad a déclaré à son frère que des photos des forces de police et des bulldozers à l'entrée d'Issawiyah avaient été publiées sur les réseaux sociaux.

Quelques minutes plus tard, il a entendu la police des frontières essayer de forcer l'entrée de son domicile. Huit officiers étaient à la porte. On lui a ordonné de quitter les lieux avec sa famille - la démolition commençait.

Abu Riala nous dit qu'il avait essayé d'expliquer que ses enfants dormaient encore, mais en vain. Les responsables lui ont dit: «Nous allons démolir cette structure, puis vous pourrez demander un permis pour la reconstruire.»

Depuis 22 ans, il demande un permis. «Il n'y a pas de permis. La construction n'est pas autorisée. Nous allons rester encore 22 ans, les jambes croisées, à attendre que la municipalité termine son nouveau plan directeur », dit-il désespéré.

Ce qui a le plus mis en colère Abu Riala, c'était le comportement des démolisseurs. «Ils riaient. N'as-tu pas honte? Notre cœur brûle et vous riez ? Le conducteur de la pelle a ri. Pourquoi riez-vous dans cette situation ? Afin de nous dire: nous vous avons brisé. C'est la vie des gens que vous démolissez. »

Puis Abu Riala s'est assis, avec sa femme Hiba, leurs deux enfants et sa belle-mère, et ils ont regardé la destruction. Cela a commencé à 7h30 et à 11h30, c'était terminé.

Depuis, ses enfants sont en état de choc, nous dit-il. Au moment des démolitions précédentes, ils étaient des nourrissons ou de petits enfants. Dania demande quand elle aura sa propre chambre. Anas veut fêter son anniversaire. «Ils ont pleuré et je leur ai donné des mouchoirs», raconte leur père.

«Le bulldozer a mangé la pierre et a mangé mon cœur.» Au fil des ans, dit-il, il a dépensé 650 000 shekels (environ 197 000 dollars) dans sa lutte pour se construire une maison sur son terrain, au 31 rue Tarin al-Madras.

216 structures ont été démolies à Jérusalem-Est en 2020, dont 144 étaient des habitations. Rien qu'en janvier dernier, 24 structures ont été démolies, dont 17 résidences privées. »

Par Gideon Levy, membre de la direction du quotidien Ha'aretz. Il vit dans les territoires palestiniens sous occupation.

Source : Haaretz

Traduit par :  chroniquepalestine.com

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