En définitive, le rôle de la monnaie ne consiste en rien d'autre qu'à autoriser les transactions.
Et plutôt qu'une transaction, qui consiste à "échanger des biens", il s'agit d'un transfert de richesse, en échange d'une sorte de promesse d'un autre futur transfert de richesse. Car, si on compte la monnaie comme l'objet de l'échange, cela n'est plus un "moyen" d'échange. Donc, la transaction est en réalité un transfert, et la monnaie, la raison qui justifie ce transfert (un "moyen" dans le sens d'une "raison").
La promesse qui est faite, n'est pas bien sophistiquée, puisque si la monnaie a été acceptée comme raison de justifier le transfert une première fois, elle est sensée l'être encore la fois suivante.
Cette description est basique. Pourtant c'est déjà presque une insulte ou un outrage de la dire, puisque ce n'est pas ainsi qu'elle est enseignée, ni pensée : la monnaie remplace la raison, et constitue la justification des dons de richesse.
Ainsi quand un riche arrive sur son tapis rouge, les gens sont prêts à tout lui donner gratuitement sans raison, au détriment de ceux qui en ont vraiment besoin, en échange d'une autorisation de pouvoir acquérir des biens que leurs concitoyens auraient pu fabriquer, s'ils n'étaient privés de ces biens. en somme, ce sont eux qui "payent" le fait d'avoir donné des biens gratuitement au riche qui passait par là.
On a donc, en réalité, un "système", une pratique d'ordre rituelle, qui explique pourquoi on peut "donner" les biens qu'on produit à quelqu'un et pas à un autre, ou donner son temps de vie à une entreprise, ou s'empêcher ou être empêché de le faire. Parce que figurez-vous que ce qu'on nomme "le chômage" n'est rien d'autre qu'un système qui empêche les gens de travailler, et de vivre. Il les empêchent de "donner gratuitement" leur temps de vie à une action collective ou privée, et il les empêche de bénéficier des dons de biens et produits fabriqués, qui du coup, le sont pour rien, et finissent à la mer.
*
Maintenant intervient la deuxième strate évolutive du système capitaliste, le moment on il est établi que - même si encore une fois, dans aucune école ni aucune déduction cela est présenté ainsi - l'argent représente l'équivalent de l'existant sous forme figurative, de sorte que toute chose soit suivie par cette ombre. Lors d'une "transaction" (qui sous-entend que la monnaie est un bien) on échange un produit contre son ombre figurative.
Comme on se l'imagine par nécessité intellectuelle (ou par paresse), le jeu de la circulation des biens et de la monnaie paraît être un jeu "à somme nulle" - comme si on était sur une île et que rien d'extérieur ne venait perturber la circulation des biens et du travail - il s'en trouve que la monnaie correspond à une circulation qui va en sens inverse de celui des biens.
Ceci est fort intéressant à constater parce que, figurons-nous, vu de l'extérieur pour un aliène qui débarque et découvre cela avec curiosité, peut-être que l'utilité d'avoir une ombre figurative de la réalité qui circule en sens inverse des biens réels permettrait d'avoir un suivi de la circulation des ces marchandises, de sorte à savoir qui a fait, quoi, quoi sert à quoi, et comment optimiser cette circulation de biens réels afin qu'on en déduise, à l'échelle globale, un degrés d'efficacité. E
h bien non, il n'en est rien. On n'a aucune idée de qui fait quoi, et quoi sert à quoi. La seule perspective du commerce est de vendre le plus possible à tout bout de champ, quelles que soient les conséquences. Le seul horizon pour les producteurs, est d'accroître la quantité de biens produits. Non, même pas de biens produits, car s'ils vendaient du vent cela les arrangerait encore plus, mais simplement "de biens vendus". Non, même pas de biens vendus, car encore c'est trop altruiste, mais "de monnaie glanée".
C'est à dire que le but du commerce consiste, quelles que soient les conséquences, à glaner le plus de monnaie possible. et cela, sans avoir la moindre perspective globale, ou vue d'ensemble, ou encore moins de soucis pour l'utilité de ce qui est fait, et encore moins de questionnements pour la nuisance, ou la pérennité de leur business.
*
Bon, continuons.
La troisième strate du système capitaliste (nous faisons l'impasse sur la strate zéro, qui consiste en la description des prémisses, mais si vous insistez on y reviendra à la fin), est qu'en réalité ce circuit de biens et de monnaie en sens inverse des biens, ne se fait pas du tout au sein d'un circuit fermé. Le fait que le circuit soit fermé est une illusion, une simplification, un autre prémisse fallacieux.
En effet la nature des biens "marchandés" est d'une telle diversité qu'il est difficile de les classer. On observe qu'il suffit d'attendre qu'une pomme pousse pour que cela produise de la valeur. Une fois la pomme cueillie, elle est vendue, ce qui confisque au circuit monétaire une quantité d'argent équivalente, et ralentit d'autant les autres transactions possibles. En théorie, s'il n'y avait pas de création monétaire, la production incessante de biens et de marchandises devrait faire en sorte que la monnaie ait de plus en plus de valeur, et que les prix ne cessent de baisser, relativement à l'économie globale.
Il y a une seconde notion qui fait que le circuit n'est pas fermé, mais fuyant, et celle-là, c'est la plus difficile à faire admettre. Il s'agit du seul principe du commerce. J'utilise le terme de "principe" car ce n'est que cela, une principe, érigé en "grand principe". Pourquoi fait-on du commerce ? D'abord il faut voir : En quoi consiste le commerce ?
À la première question, "Pourquoi ?", il n'y a de réponse que de proposer une autre raison, une autre logique pour opérer le don de biens et de temps. Mais cela aussi, on va y revenir (rapidement). La question "En quoi consiste-t-il ?" trouve sa réponse dans l'incertitude de la vie. Il s'agit de transférer un bien acheté à un autre acheteur en dégageant une plus-value, dont la justification repose sur le service rendu par le fait de cataloguer ces biens, les stocker, et les amener à proximité de l'acheteur.
Et l'incertitude de la vie est telle que, cette plus-value, est rendue approximativement suffisante pour couvrir tous les impondérables possibles et imaginables, y compris les fuites et réparations de la piscine du patron.
Ceci, la distribution, n'est que la fin d'une longue chaîne de production, où tout du long, s'est joué la même scène, qui consiste à rendre nécessaire son activité intermédiaire, qui elle, est financée par l'ajout de valeur au bien, de sorte que finalement, la pomme qui était gratuite au début (qu'il aurait suffit de cueillir gratuitement pour la manger), servira à financer des banques, des assurances, des politiciens, des médias à qui on reverse des frais publicitaires, des impôts pour graisser la patte de toute une mafia du commerce, etc etc.
Au final, le client qui achète sa pomme, est une pomme, puisqu'il vient de financer tout un système qui ne cesse de ne désirer rien d'autre que d'extraire le maximum de plus-value sur tout ce qui existe, jusqu'à la limite de l'acceptable, et bien au-delà tant que c'est possible. Au final, sa pomme, n'a plus aucune valeur nutritive, il est rendu impossible d'en replanter les graines car elles sont OGM, et le client est enfermé dans un cycle de dépendance, dont il ne peut vaguement se départir qu'en travaillant encore et encore, le plus possible, en étant payé le moins possible.
Au final, c'est une société de fous, une société de moins possible, de la plus basse qualité possible, pour le maximum d'effort possible. C'est une société où il y a une énorme déperdition d'énergie humaine ; une société qui patine.
*
Les gens s'étonnent de la pollution et des défis de l'humanité, alors qu'il n'y a rien d'étonnant, tant qu'un tel système de servage est auto-alimenté par les gens qui en sont dépendants.
Mais maintenant nous allons revenir à l'essentiel : "ce qui justifie les dons". Il est évident que si on l'exprime ainsi, on peut plus facilement se poser la question : "ne peut-on justifier les dons par un système qui soit pensé pour que cette justification soit fabriquée de façon rationnelle, et puisse être qualifié d'"intelligente" ?
J'ai vu une image dans un article qui en disait long, plus long que ce que chacun peut en dire, c'est pourquoi ce genre d'illustration laisse songeur :
Pluie d'argent, solitude morale.
Dans les cercles un peu rafistolés du cerveau (où des imbéciles croient qu'il existe un Dieu inverse nommé "satan"), le terme "Rain man" est consacré, ai-je lu, à "l'homme qui fait pleuvoir les richesses". Toujours, signer un pacte avec Rain man revient à signer un pacte avec le diable, et à recevoir gloire et fortune (approbation médiatique, compliments, reconnaissance, triomphe, récompenses, publicité gratuite illimitée et adulation consentie d'un public médusé, et prêt à payer pour cela), en échange de ce que ces acteurs publiques soient assez conditionnés pour qu'on soit sûrs et certains qu'ils ne rompent jamais la promesse de ne jamais remettre en cause le système de servage, dont ils profitent tellement, tout en ayant le sentiment d'être à égalité avec tout le monde, mais simplement un peu plus intelligents.
Cette image, est une jolie allégorie, mais pour en saisir l'entièreté de sa stupidité, il faut passer par une autre petite allégorie, que je m'empresse de vous conter :
- Imaginons qu'au lieu de l'argent, on utilise directement des biens parfaitement équivalents. Ce serait la monnaie la plus sûre, tant il est difficile, en réalité, d'associer une valeur subjective à un bien objectif. Disons que la pomme, vaut une pomme. Le vendeur arrive dans la vaste campagne avec sa pomme, et la vend à un quidam qui vient le voir et lui dit "donne-moi ta pomme". Il répond : "Très bien mais en échange tu me rends la même pomme exactement". L'autre dit : "Très bien", et il la lui rend aussitôt. La transaction a eu lieu. Aussitôt, l'état, dit "le banquier" (qui a rendu toutes les transactions possible à surveiller électroniquement), voit cela, arrive, et dit : "Cette transaction est taxée à 50%, donc donnez-moi la moitié de cette pomme". Le marchand s'exécute. Il continue sa promenade en rase campagne jusqu'à ce qu'une femme frêle et affamée, dite "Causette", lui demande sa moitié de pomme. Il la lui donne bien volontiers, et elle la lui paye, rubis sur l'ongle, d'une moitié de pomme équivalente. Et là encore le banquier surgit, et ponctionne la moitié de la pomme restante. Bon, on a compris, à la fin il ne reste plus rien. Et comme on l'a vu, même les graines sont inexploitables.
La question est : jusqu'à quel moment les acteurs de ces transactions vont-ils continuer à se faire avoir ? Si "le marchand" n'était pas un marchand, mais un donateur qui n'attend rien en retour, il donnerait sa pomme, pleine et entière, et "le client" repartirait avec sa nouvelle richesse acquise (tout content). (Notons au passage que cette illusion d'être "tout content" est celle qui est vendue avec le principe du commerce, alors qu'en fait, l'acquisition est toujours faite au détriment de l'acheteur. Mais bon, passons.)
La question qui reste est : "Comment justifier ce don ?". S'agit-il d'une promesse d'avoir une équivalence en retour ? Si c'est le cas, alors vous êtes prisonniers du système. La réponse est pourtant simple - mais pour la développer, c'est une autre histoire (*) - il s'agit de faire que les transferts de richesse soient justifiés par une mécanique qui a une vision globale des besoins et des ressources, sans attendre d'autre justification que celle qui consiste à satisfaire ces besoins, en fonction des ressources. En somme, il s'agit d'une autre mécanique.
Et officiellement, aux yeux de la loi, ce ne seraient que des dons faits sans contrepartie, puisque la contrepartie en réalité, est située dans le choix des dons, et non dans le fait d'en attendre une soit-disant équivalence. Dans ce cas, pour opérer un tel système, il faut véritablement avoir une grande confiance en cette mécanique. Mais quand même, nous sommes à l'ère de l'informatique, et ceci est très largement faisable. Surtout, ce dont on a le plus besoin pour opérer cela, c'est d'avoir une vision globale des besoins et des ressources - et non pas de l'offre et la demande - afin de faire que, littéralement, on puisse "donner le maximum de choses au maximum de monde".
Cette même "vision globale" qui pourtant aurait été possible par la circulation monétaire, et qui permet de savoir "Qui a fait quoi", et "Quoi sert à quoi". Ce qui permet de savoir si ce qu'on achète a été fabriqué par des enfants esclaves à l'autre bout du monde ou si cela constitue une pollution insupportable moralement et physiquement. Ce qui permet, au final, de devenir responsables de ses actes.
Pour en revenir à notre illustration, ces fermiers qui courent après des billets héliportés et déversés aux vents, sont stupides. Cet argent n'est que l'autorisation qui leur est concédée, par une autorité supérieure, dont ils se rendent dépendants, de "Donner" des biens et du temps à leurs propres camarades qui sont dans le même désarroi qu'eux. Et qui sont là, juste à côté d'eux.
C'est vraiment l'image de l'imbécilité, de l'esclavage mental, et de la misère morale poussée à son paroxysme. Et c'est là que nous en sommes aujourd'hui, sur le plan civilisationnel. Tout cela parce que "Donner, c'est mal". Ah ! la la ! J'en ai vu des Monsieur Burns dire "Donner, c'est mal", parce que "Après ils prennent l'habitude, et ne veulent plus rien faire de leurs mains". Quel cynisme, quand on constate que c'est exactement ce que "Le principe du commerce" produit comme effet, au final, et à grande échelle : les gens ne veulent plus "Donner", mais seulement recevoir.
*
Pour conclure, je peux revenir comme promis brièvement sur les prémisses du système capitaliste (nommant ainsi le système global actuel de façon approximative).
Les strates évolutives qui s'ajoutent les unes aux autres et qui condamnent et certifient les prémisses antérieurs, sont comme des verrous, qui rigidifient le système et le rendent d'autant plus impossible - aussi bien mentalement que dans la pratique - à faire changer.
Pourtant c'est bien à ces prémisses originels qu'il faut revenir. Car quand on pense que tout est bâti là-dessus, cela fait peur. Ces prémisses sont : la propriété privée, (sur laquelle est bâtie) la liberté de contrat, (sur laquelle est bâtie) le principe de la valeur, (sur laquelle est bâtie) le principe du commerce.
Tout à l'origine, aux temps préhistoriques (on va aller vite) quand l'humain a inventé les nombres, il était très satisfait de ce grand pas en avant, car celui lui a permit de devenir capable d'administrer le réel de façon rationnelle. Du moins dans la promesse qu'il s'est faite à ce moment-là. C'est à partir de là, que des erreurs - grossières mais néanmoins légitimes - ont été faites.
Premièrement, quitte à vouloir être "rationnel", pourquoi confier cette tâche à un outil intermédiaire tel que l'argent, alors que nous sommes à une époque où on peut avoir une vision globale de l'économie totale, de façon informatisée ? Pourquoi prôner le "droit à la propriété", quand au lieu de servir de garantie contre la dépossession, il en devient le motif ? [Quand ce principe est octroyé aux personnes morales au détriment des personnes réelles]. Pourquoi, enfin, s'handicaper avec un "principe de la valeur", sensé évaluer le réel sur une échelle numérique linéaire, alors que visiblement c'est surtout de là que viennent tous les maux ? Pourquoi ne pas établir de façon fonctionnelle et objective "ce qui autorise les transferts" ? Voilà du boulot à faire pour ceux qui en cherchent.
Ce qu'il faut, pour rebâtir un système viable, c'est d'en établir les prémisses : le fait qu'il soit viable (c'est déjà un bon prémisse), le fait qu'ils soit rationnel, c'est à dire justifié par la raison, la logique et intelligent ; Et le fait qu'il consiste à faire tendre la société vers des idéaux, tels que ceux, sublimes, forgés dans les Droits de l'homme. Rien que ceux-là, ce serait déjà une belle étape de franchie. Quand chacun soit "égal", "libre", que sa vie soit satisfaisante, épanouie (le mot le plus fulgurant de la déclaration de 1948), que la raison de vivre et la joie de vivre fasse de la fraternité la plus grande source de confiance envers les étrangers, la poursuite de ses rêves et leur accomplissement, et le don de liberté, c'est de cela dont le monde a besoin. Des producteurs de droits fondamentaux, et pas des consommateurs.
(*) Sujet du livre Logiciel social (Ebook gratuit)