Dans un excellent ouvrage intitulé : La grande aventure de la langue française, rédigé en anglais par une femme née au sein d'une famille anglophone et un homme issu d'un milieu francophone, on précise que Madame Hélène Carrère d'Encausse, lors d'une conférence accordée en 2004, refusait de féminiser son titre de « Secrétaire perpétuel de l'Académie française ». Cette sommité rappelait que le rôle de l'Académie se limitait à consacrer l'usage et que la féminisation des mots n'entrait pas dans ses attributions. En effet, l'Académie n'est pas autorisée à réglementer la langue. Des comités officiels de terminologie légifèrent à propos de ce qui s'avère un français acceptable. Les vocables retenus sont ensuite présentés à l'Académie qui en donne ou non l'approbation. L'Académie se charge de compléter des dictionnaires, mais ne peut suggérer de lois linguistiques. Cependant, cela ne confère pas moins d'absurdité à la position de Madame le Secrétaire perpétuel! ¹
De nombreuses personnes manifestent leur irritation contre le ministre français de l'Éducation, Jean-Michel Blanquer. Celui-ci maintient le refus d'adapter l'écriture inclusive à l'école. À l'exception des noms de métiers, titres, grades et fonctions pouvant être féminisés, le vocabulaire ne s'alourdira pas de « é.e » ou autre forme de « langage inclusif ». Un changement minimum auquel Madame Carrère d'Encausse devra s'habituer! ²
Que devient la langue de Jean-Baptiste Poquelin?
Quoi que l'on pense de cette décision, au lieu de prolonger cette discussion, il m'apparaît plus sain, autant pour les Français que pour les Québécois francophones, de cesser de massacrer leur langue. En effet, pourquoi abrège-t-on les mots? En disant, par exemple : « J'm'en vais à la fac, après le p'tit dej', cet aprèm ». Est-ce que ça sonne réellement plus « sympa »? Est-ce la volonté de partager le plus d'idées subtiles lorsqu'on dispose de peu de temps? Dans ce cas, pourquoi ajouter aux phrases des mots inutiles? Au Québec, on insère « genre », « man » (même entre filles!), « t'sé veux dire ». En France, l'expression « du coup alors » précède allègrement les débuts de phrases. Au Québec, même en n'étant ni surpris ni en colère, certains locuteurs emploient plus de jurons que de vocables. Ici, on nomme les jurons « sacres », la majorité étant une déformation de noms d'objets de culte. Chez un peuple ayant massivement mis aux oubliettes la religion, faut-il considérer cette connaissance des artéfacts chrétiens comme un vestige d'érudition?
Je suis toujours étonnée de lire des publications, récentes, mentionnant « l'Homme » au lieu de se référer aux humains, pour désigner les femmes autant que les hommes. Quand je lis « chercheure », alors que le mot chercheuse est employée probablement depuis la création du terme, en 1538, j'entrevois une frontière entre la quête d'égalité et la futilité. Avec la multiplicité des formes de féminisation donnée par la langue, pourquoi ne pas dire « professeuse » ou entrepreneuse? Le mot autrice, qui agace bien des organes auditifs, fut proposé en 1560, par Étienne Pasquier, expert en jurisprudence. On acceptait aussi « authoresse », jusqu'à ce que l'Académie française, fondée par le Cardinal de Richelieu en 1630, en inhume l'usage. ³
Dans le même ouvrage mentionné ci-haut, on souligne l'importance de maintenir au minimum le bilinguisme, à l'Organisation des Nation-Unies. Pour élaborer certains documents, l'anglais s'avère trop nuancé, susceptible d'interprétations variées, ce qui rend difficile la mise à exécution de clauses ou décisions, concernant une population ou l'intégrité d'un territoire. 4
La dictature linguistique
Ce n'est qu'une des raisons pour lesquelles nous devrions cesser de plier sous la dictature des anglophones unilingues, promouvant le multilinguisme pour tous les peuples, sauf pour eux. L'Angleterre et les États-Unis prônent depuis trop longtemps une justice unilatéralement en leur faveur. Des scientifiques jugent naïve la position d'un gouvernement qui les oblige à écrire leurs articles en français, quitte à les traduire ensuite. En 1983, André Jaumotte, président de l'Université libre de Bruxelles, révélait le pourcentage de publications de chercheurs francophones rédigées en anglais :
au Canada : 96%; au Québec : 83%; en Belgique : 62%; en Suisse : 51%; en France : 33%.
Malgré leur prétention à rejoindre le plus de lecteurs possible, dans une langue comprise par une vaste part de lettrés, on publie plus de 450,000 articles en un an! Les experts n'étant pas férus dans tous les domaines, chacun peut s'estimer heureux d'obtenir l'attention complète d'une vingtaine de lecteurs. Si une nation veut se distinguer et ses chercheurs bénéficier de plus de subventions, ne devraient-ils pas valoriser la divulgation scientifique dans la langue de leur pays? 5
Il ne s'agit nullement de soutenir les nostalgiques de la colonisation, à la Jean d'Ormesson, membre de l'Académie, ancien directeur du Figaro, financé par l'entreprise Dassault, fabricants d'avions de guerre. Ce type de mirage ne devrait en aucun cas reprendre son envol Mais au quotidien, parler d'une « fin de semaine » est l'équivalent de week end. Le nom chien-chaud n'est pas plus bête que hot dog, et pain saucisse encore plus précis que ces deux premiers. Qu'on ne prétende pas que l'expression « droit humain » est un anglicisme, les mots droit et humain existent dans toutes les langues latines, ainsi que « bienvenue » se décline en italien benvenuto et en espagnol bienvenida, peu importe l'antériorité ou non de l'équivalent anglais welcome. La langue française ne compte pas moins de mots que l'anglais. Nos dictionnaires généraux sont réédités en élaguant les locutions trop anciennes, mais on y ajoute des néologismes. Le Oxford English Dictionary, lui, conserve tous les vocables disparus de l'écrit ou l'oral. C'est un inventaire des archaïsmes et des régionalismes. Environ la moitié des 600,000 articles de ce dictionnaire spécial sont maintenant hors d'usage. Aux 100,000 vocables du dictionnaire Robert, la linguiste Henriette Walter ajouta 175,000 termes immiscés dans les ouvrages littéraires des XIXe et XXe siècle; 500,000 de jargon technique, quelques centaines de milliers de néologismes popularisés depuis les années 1960, pour un total d'un million deux cent mille mots, dont sont exclus les vocables devenus désuets avant le XIXe siècle. 6
L'influence mutuelle
L'anglais, dérivé de l'allemand, influencé par le grec et le latin, relégué au second rang par des rois français dans son propre royaume, compensa en leur dérobant plus de la moitié de leur lingua franca. Abundant, gentle, noise, single, brief, honor, duty (duete), foreign (forain) match (meiche), purchase (porchacier), reason ou clear, et même toasted proviennent de l'ancien français, particulièrement utilisé au Moyen-âge. Bien entendu, on n'est plus au Moyen-âge. Et dans bien des cas, c'est regrettable! 7
L'inverse est vrai. L'anglais influence le français, depuis peu, surtout en ce qui concerne la technologie et les néologismes, ce qui nous permet de créer l'équivalent dans notre langue. Même un Premier ministre à qui l'on attribue la faculté d'enseigner le français, ne s'exprime pas en disant « je vous présente », mais « Je vais introduire », ce qui constitue un anglicisme (let me introduce). Tout comme appointment, plutôt que « rendez-vous », alors que cette expression demeure populaire en anglais!
Quelle que soit la langue que nous étudions, suivant celle courant d'un palais à l'autre, en zone favorisée ou non de notre pays, nous mêlons des mots des deux langages en une même phrase. Cependant, cette étape devrait en demeurer une et non se prolonger. Un dialogue en franglais n'est qu'une aberration due à des lacunes. Le retranchement de syllabes d'un mot n'exprime pas une maîtrise de la langue, mais la brièveté des réflexions possibles.
Ajouter un peu de tonique favorise l'apprentissage
La principale difficulté de l'anglais réside dans ce qu'on lui trouve de facilitant! C'est-à-dire, son absence d'accents toniques. À ceux qui aspirent à la disparition des accents ou même de la ponctuation, je rappellerais que ce sont des ajouts essentiels. En anglais, rien ne nous indique comment prononcer le « i » : à la manière française? Ou de « I am »?
Alors que les écoliers anglais maîtrisent l'orthographe plus aisément que les jeunes français aux prises avec une syntaxe compliquée, les anglophones des écoles primaires éprouvent plus de difficultés à prononcer leur langue que les Allemands, Finlandais, Espagnols ou Italiens de même niveau scolaire. Même en ne prenant que l'exemple du « a » : selon le mot, la prononciation varie et aucune règle ne peut alléger l'apprentissage des enfants. De même pour les fins de mots en « ight », en « ough », et les « d » parfois prononcés comme des « d », parfois comme des « t » (mother, father). L'absence d'accents toniques ou de règles précises oblige à une mémorisation disparate. 8
Quant à la ponctuation, elle s'immisce telle la percussion dans un orchestre. Ce sont les pulsations d'un cœur, le rythme des sentiments. L'éluder, en se croyant avant-gardiste, est une prétention à l'originalité dérisoire. De même, écrire au son, plutôt qu'en se donnant des critères pour communiquer, demeure tributaire des caprices individuels. Cela ne mène qu'à la confusion des possibilités d'expression qu'une langue recèle. Que dites-vous, par exemple, d'un mot aperçut dans une missive : acroiriom. Il faut de l'indulgence pour déduire qu'il désigne un aquarium. Même le contexte, parfois, ne permet pas d'identifier le sens d'un mot écrit ou prononcé sans accent tonique. Ces inventions émanent de l'intelligence humaine. Issues d'une capacité de déduction, elles permettent d'affiner nos réflexions. Les rejeter comme d'insignifiantes entraves confine l'épanouissement d'une pensée, nous borne à une expressivité médiocre.
Entre précision et confusion
En malais et son dérivé l'indonésien, tout comme en innu et en atikamekw, en plus des genres, le vocabulaire comprend un « nous » inclusif et un « nous » qui ne se réfère qu'à quelques personnes parmi celles présentes. De même, les mots reflètent l'animé et l'inanimé. En Asie du Sud-est, la distinction est précise, ce qui est vivant ou ne l'est pas. En atikamekw, certaines parties d'un arbre sont considérées vivantes, d'autres évoquées en terme d'inanimé. Si le féminin existe déjà, comme lion en lionne, tigre en tigresse, tant mieux. Sinon, une tortue ne souffre pas d'une féminisation de nom, tout en étant mâle, ni la femelle gnou n'est diminuée par un nom masculin. Un homme ne sera normalement pas insulté si on parle de lui en tant qu'une personne, les qualificatifs et participes s'accordant alors au féminin. En Argentine, notamment, on s'acharne à féminiser les noms. Mais bien avant cette tendance, quoique le « un » soit masculin et le « a » majoritairement féminin, on écrivait un periodista (un journaliste), un taxista, el planeta. Alors, écrire todes plutôt que todos ou todas, est-ce une amélioration? Féminiser « musico » en « musica », rend confuse la possibilité de savoir s'il s'agit d'une femme musicienne ou de la musique elle-même sauf en ajoutant une majuscule dans un tel cas.
Le précieux ridicule
De plus, on tente de s'adresser à un enfant de manière à ne pas l'obliger à se sentir garçon ou fille et encore moins « la propriété » de ses parents, en évitant les articles possessifs. Et pendant que l'on promeut le langage inclusif, on prétend que la prostitution est un emploi comme un autre, que recourir à des mères porteuses n'est pas une exploitation du corps des femmes, mais un libre choix mutuel. Cependant, si on recensait des cas de ventres loués dans les classes aisées, qu'on diffusait un reportage montrant ces femmes confinées dans les conditions prévalant en Inde ou Indonésie, on crierait au scandale. Des féministes, à présent, encourage les enfants à se déclarer transgenres. Elles défendent le droit des immigrantes, en pays laïc, à se voiler. On démonise la laïcité de l'État! On qualifie de xénophobes ceux qui réclament la neutralité au travail, ceux qui refusent l'endoctrinement visuel sous forme de croix, kippa, turban ou hijab. Le multiculturalisme permettra-t-il aussi à un homme de commettre légalement un crime d'honneur, sans accusation de meurtre, par respect pour ses croyances Heureusement, au Québec, des membres sensées de la Fédération des femmes ont opéré une scission et fondé un mouvement pour les droits des femmes qui s'affirment dans leur genre et ne renient pas les acquis péniblement obtenus au dernier quart du XXe siècle.
Tarana Burke, la fondatrice de #Me too, révélant les cas de viols, commis contre des femmes noires et de minorités ethniques, souvent non déclarés par crainte ou négligés en Cour, sut que ses efforts seraient éclipsés, lorsque des femmes blanches, riches et célèbres (ou qui le furent!) s'accaparèrent du mouvement. Je ne doute aucunement qu'il existe des hommes influents, tel Jeffrey Epstein qui s'achète une île et y invite des amis, pour y débaucher des filles de quatorze ans. Mais à l'autre extrême, Isabelle Adjani, Emmanuelle Béar, ont-elles été torturées, à l'adolescence, pour figurer dans une production bucolique, couvertes d'un voile diaphane? Et les chanteuses au talent moins évident que leur poitrine, sont-elle victimes de sales voyeurs, lorsqu'elles centralisent leur notoriété sur l'exhibition de leur corps? Nous sommes loin de l'abolition des mariages forcés d'enfants, avec un adulte, en Inde. Des militantes assassinées pour leur opposition à une entreprise minière. Et des stérilisations massives en pays pauvres, légalisées par Henry Kissinger et le Fonds pour la Population des Nations-Unies. Dans la volonté de se dire ouverte, non sexiste, on en arrive à fustiger un homme qui regarde une femme, un comparse qui effleure les cheveux d'une collègue. On use de tant de délicatesse à dénoncer les machos brutaux que certains groupes portent de subtils noms, tel que « balance ton porc ». Que de nuances! Que d'esprit d'équité!
Parce qu'on rêve tous de se faire ficher par la Fondation Rockefeller
On exige des pays démocratiques d'étiqueter les denrées contenant des organismes génétiquement modifiés, et on s'offre en cobayes pour les thérapies à l'ARN de Pfizer ou Moderna, en toute confiance, en y obligeant même les enfants. Pendant qu'on proteste contre le refus d'imposer l'écriture inclusive à l'école, on diffuse une publicité dans lesquelles des petits-enfants se précipitent dans les bras de leur grand-mère qui prétend n'avoir rien senti lorsqu'elle reçut un vaccin. Cette stratégie jouant sur la sensibilité parvint à convaincre les États-uniens réticents à une guerre en Irak. Dans le cas des vaccins, cette manipulation émotionnelle suggère subtilement aux jeunes qu'ils sont de potentiels contaminateurs de fragiles vieillards. Par un microscopique scrupule, à l'Assurance maladie française on rappelle qu'« actuellement, on ignore si une personne vaccinée peut ou non transmettre le virus à quelqu'un d'autre. Des études scientifiques sont en cours pour essayer de répondre à cette question. En attendant, il est nécessaire de continuer à appliquer les gestes barrières et de s'isoler si nécessaire, même après la première dose et la deuxième dose de vaccin ». 9
Pendant que les jeunes non vaccinés se sentent coupables de l'isolement de leurs grands-parents, les entreprises pharmaceutiques s'enrichissent. On qualifie Bill Gates de philanthrope, lui qui fit conserver, sous haute chaleur africaine, des vaccins exigeants une congélation. M. Gates, tout comme Bill Clinton et Woody Allen (marié à la fille de son ancienne conjointe), pouvaient-ils ignorer les penchants de leur ami Jeffrey Epstein? Des hommes sont inculpés pour un regard ou un geste inconvenant, alors qu'on n'emprisonne que dix-huit mois un riche pédophilanthrope. Ô! Que dis-je! L'Académie française pourra-t-elle me préciser s'il s'agit d'un néologisme inclusif ou d'un simple jeu de mots? 10
Maryse Laurence Lewis
Image en vedette : Flickr.com. Photo par Giulia Forsythe
Notes (Références) :
1. La grande aventure de la langue française, par julie Barlow et Jean-Benoît Nadeau, traduit de l'anglais par Michel Saint-Germain (The story of french), Éditions Québec-Amérique, 2007.
Chapitre 3, La naissance du purisme, page 81 et chapitre 17, La bataille des normes, page 429.
La conférence fut donnée au Congrès international des professeurs de français, aux États-Unis, à Atlanta, en Géorgie.
2. lapresse.ca
3. Dictionnaire étymologique, par Albert Dauzat, Jean Dubois et Henri Mitterand, Éditions Larousse, 1971
4. La grande aventure de la langue française, chapitre 13, La troisième chance, pages 317 et 318.
Il s'agit de l'article 242 rédigé en novembre 1967, suite à la guerre des Six Jours, entre Israël et l'Égypte, la Syrie et la Jordanie, ordonnant le retrait des armées israéliennes « de tous les territoires occupés », alors que la version anglaise aurait seulement signifiée « le retrait de l'un ou l'autre des territoires occupés ».
5. La régression relative du français dans l'information scientifique et technique occidentale : nature et ampleur du problème, par André Jaumotte. Conseil de la langue française, l'avenir du français dans les publications et les communications scientifiques et techniques. Actes du colloque international, vol. 1, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1983, pages 36-37.
6. La grande aventure de la langue française, chapitre 3, La naissance du purisme, pages 101 à 103.
7. Qu'est-ce que la langue? Septième partie : Histoire de la langue française, par Jacques Leclerc, Éditions Mondia, 1989.
8. Lire : casse-tête ou jeu d'enfants?, par Johannes Ziegler. Les dossiers de la Recherche : Comment notre cerveau développe ses étonnantes capacités, no. 34, pages 74 à 77, février 2009.
10.1 fr.wikipedia.org
10.2 lefigaro.fr
10.3 Le jeu de mot « pédophilanthrope » m'a été suggéré par monsieur Kemin Porta que je remercie chaleureusement. La définition pourrait en être la suivante : femme ou homme riche, créant une Fondation philanthropique pour couvrir des actes pervers.
La source originale de cet article est Mondialisation.ca
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