08/08/2021 chroniquepalestine.com  6min #193343

Le système judiciaire israélien n'a rien à voir avec la justice

16 juillet 2021 - Des Palestiniens participent à une manifestation de soutien aux habitants de Sheikh_Jarrah à Jérusalem qui sont menacés d'expulsion au profit des colons israéliens. Les résidents du quartier sont des réfugiés palestiniens de Jaffa, du district de Jérusalem et d'autres régions de la Palestine mandataire, dont le droit au retour est refusé par l'État israélien depuis 1948. Dans le même temps, des organisations de colons d'extrême droite s'efforcent de les expulser de leurs domiciles à Sheikh Jarrah sous prétexte qu'il s'agit d'une "terre appartenant à Israël". Alors que la loi sur les questions juridiques et administratives, promulguée en 1970, permet aux colons israéliens de s'approprier des propriétés, il n'existe aucune loi de ce type pour les millions de réfugiés palestiniens qui ont perdu leurs propriétés à travers le pays - Photo: Activestills

Par  Yara Hawari

Aucune décision sortant d'un tribunal israélien ne pourra jamais être considérée comme juste ou légitime.

La lutte pour sauver le quartier occupé de  Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, de l'épuration ethnique orchestré par des organisations de colons israéliens soutenues par l'État s'est poursuivie cette semaine devant la Cour suprême israélienne.

Au cours de l'audience, les juges ont proposé ce qu'ils ont appelé un "compromis" : les résidents palestiniens se verraient accorder une forme de location protégée, mais devraient payer un petit loyer à Nahalat Shimon, l'organisation internationale de colons à l'origine de la campagne agressive de nettoyage ethnique. Cela signifierait qu'ils renonceraient officiellement à toute revendication de propriété sur les maisons et les terres du quartier.

Comme on pouvait s'y attendre, les habitants n'ont pas accepté ce compromis. Ils devront maintenant retourner au tribunal dans moins d'une semaine pour ce qui devrait être la conclusion de la bataille juridique.

Alors que les médias se sont principalement concentrés sur les manifestations populaires dans les rues et sur la campagne internationale de  médias sociaux qui les a accompagnées dans leur couverture de la lutte pour sauver Sheikh Jarrah, les résidents palestiniens du quartier se battent également depuis des décennies contre les tentatives d'expulsion de leurs maisons devant les tribunaux israéliens.

Au début des années 1970, les habitants palestiniens de Sheikh Jarrah ont commencé à recevoir des menaces d'expulsion de la part d'organisations de colons israéliens qui prétendaient à tort qu'ils squattaient des propriétés juives. Les colons ont déposé des plaintes auprès du registre foncier israélien qui, sans surprise, leur a donné raison.

Le régime israélien a depuis lors présenté la question de Sheikh Jarrah comme un "différend immobilier".

Le fait que le droit international ne reconnaisse pas la compétence des tribunaux israéliens à Sheikh Jarrah, parce qu'il s'agit d'un quartier palestinien en territoire occupé, n'est pas entré en ligne de compte. Le fait que les Palestiniens de  Sheikh Jarrah se soient vu accorder la propriété des terres par le gouvernement jordanien dans les années 1950 n'entre pas non plus en ligne de compte.

Depuis lors, les organisations de colons ont déposé des dizaines de plaintes pour expulser les Palestiniens du quartier.

Les habitants palestiniens de Sheikh Jarrah ont toujours répondu à ces actions en justice par des recours. La bataille juridique a atteint son  point culminant en avril de cette année, lorsque le tribunal de district de Jérusalem a rejeté les appels de huit familles de Sheikh Jarrah et leur a ordonné de quitter leur maison au plus tard le 2 mai.

Les familles ont rejeté cet ordre et ont porté l'affaire devant la Cour suprême. L'affaire n'est pas encore terminée.

Ce n'est pas la première fois que les Palestiniens s'engagent de la sorte dans le système juridique israélien. De nombreux Palestiniens, notamment ceux qui vivent dans le village de Khan al-Ahmar, dans la zone C de la Cisjordanie, ainsi que les communautés palestiniennes du Naqab, utilisent cette tactique dans leur lutte pour rester sur leurs terres.

Ils ne le font pas parce qu'ils croient pouvoir trouver justice au sein du système, mais plutôt parce que cette tactique offre la possibilité de retarder l'expulsion et de gagner du temps pour mobiliser la résistance populaire et obtenir un soutien international.

En effet, les Palestiniens savent que le système judiciaire israélien est intrinsèquement  raciste et colonial.

Dans les années qui ont suivi sa  fondation, le régime sioniste a élaboré des corpus de lois pour faciliter le vol des terres palestiniennes et l'expulsion des Palestiniens de ces terres. Après  1967, le régime sioniste a étendu sa juridiction légale à Jérusalem-Est, en violation du droit international. Il a ensuite créé un système juridique entièrement différent, basé sur la loi martiale, pour gérer les territoires nouvellement occupés.

C'est ce même système qui condamne plus de 99 % des Palestiniens jugés par ses tribunaux militaires, y compris des  enfants.

Comme le note Mohammed al-Kurd, un activiste de Sheikh Jarrah : "Les juges sont des colonisateurs tout le régime a été construit sur le nettoyage ethnique des Palestiniens et sur les décombres de nos terres volées." La compréhension de ce contexte est cruciale car elle démontre comment aucune décision d'un tribunal israélien ne peut jamais être considérée comme juste ou légitime.

Il faut donc comprendre que lorsque les Palestiniens s'adressent aux tribunaux israéliens, ce n'est pas en reconnaissance de leur légitimité ou avec des attentes de justice. Pour eux, il s'agit plutôt d'une tactique prise parmi d'autres. Elle est utilisée dans l'espoir que la lutte populaire et la pression internationale prévaudront et conduiront à ce que le régime israélien soit tenu responsable de ses crimes ininterrompus contre le peuple palestinien.

Auteur :  Yara Hawari

* Yara Hawari est Senior Palestine Policy Fellow d'Al-Shabaka. Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l'Université d'Exeter, où elle a enseigné en premier cycle et est chercheur honoraire. En plus de son travail universitaire axé sur les études autochtones et l'histoire orale, elle est également une commentatrice politique écrivant régulièrement pour divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera.

5 août 2021 -  Al-Jazeera - Traduction :  Chronique de Palestine

 chroniquepalestine.com