28/09/2021 les-crises.fr  19 min #195725

Nafeez Ahmed : « Le rapport du Giec doit nous convaincre de transformer radicalement notre économie. »

Les bouleversements à venir finiront par détruire les emplois traditionnels dans les secteurs dominants des combustibles fossiles, des moteurs à combustion et de l'élevage intensif.

Source :  Vice, Nafeez Ahmed
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

IMAGE: MARCEL KUSCH/PICTURE ALLIANCE VIA GETTY IMAGES

Pour éviter le pire compte tenu des effets désastreux du changement climatique, l'humanité doit impérativement réduire ses émissions de carbone et éliminer celui-ci de l'atmosphère à un rythme et à une échelle souvent décrits comme excessivement compliqués, coûteux, voire improbables, compte tenu de l'absence persistante de volonté politique. C'est ce qu'implique le rapport du GIEC, publié cette semaine, qui conclut qu'une augmentation de 1,5 degré Celsius des températures moyennes mondiales est désormais inévitable d'ici 20 ans.

La conclusion du scénario le « moins pire » du GIEC est que si nous agissons rapidement, nous pourrions peut-être ramener progressivement les températures à 1,4 °C d'augmentation d'ici à 2100. Et cependant cela nous cantonnerait quand même dans la zone de danger climatique de 1,5 °C pendant des décennies, ce qui risquerait de déclencher des points de basculement susceptibles d'entraîner des changements irréversibles et encore plus dangereux en ce qui concerne le système climatique. Dans ce contexte, le projet de loi sur les infrastructures de l'administration Biden propose un ensemble de politiques édulcorées qui ne suffiront tout simplement pas à atteindre l'ampleur des changements requis.

Mais un nouveau rapport du groupe de réflexion RethinkX, spécialisé dans la prévision technologique, révèle que l'étendue du changement pourrait être bien plus important et rapide que ne le pensent tant le GIEC que les gouvernements puissants comme celui des États-Unis : en effet, les industries les plus puissantes du monde qui dépendent des combustibles fossiles - pétrole, gaz et charbon, élevage intensif et moteurs à combustion - vont, au cours des 20 prochaines années, devenir obsolètes du seul fait de facteurs économiques actuels. Selon RethinkX, elles sont de plus en plus perturbées par un ensemble de technologies propres dans les secteurs de l'énergie, des transports et de l'alimentation, qui deviennent rapidement moins coûteuses, plus efficaces et, par conséquent, plus omniprésentes.

Si le monde prend conscience de ce changement radical et met fin à la protection des industries en place, tout en investissant stratégiquement dans les secteurs et les technologies les plus performants, l'humanité sera en mesure d'éliminer 90 % des émissions mondiales de carbone au cours des 15 prochaines années, et pourra atteindre un niveau net zéro d'ici 2040, voire bien avant 2035. C'est beaucoup plus rapide que ce que la plupart des analystes conventionnels (y compris le GIEC et le gouvernement américain) estiment possible, ce qui permettra d'économiser des milliers de milliards de dollars et d'ouvrir une nouvelle ère de prospérité post-carbone.

Mais si les gouvernements, les banques et les puissantes multinationales choisissent de faire obstacle à cette transformation à venir (comme le Sénat américain semble l'avoir fait), nous nous retrouverons dans la zone de danger climatique : dépasser les deux degrés Celsius et enfreindre la « limite de sécurité » ratifiée par les gouvernements du monde entier dans le cadre de l'accord de Paris.

Cette année, j'ai travaillé avec RethinkX en tant que rédacteur pour leur rapport récemment publié, qui s'intitule Repenser le changement climatique : comment l'humanité peut choisir de réduire les émissions de 90 % d'ici 2035 en bouleversant les secteurs de l'énergie, des transports et de l'alimentation en faisant appel aux technologies existantes. En utilisant une approche complexe des systèmes qui reconnaîtrait la dynamique « non linéaire » des changements sociétaux et technologiques, notre rapport a découvert que le pessimisme généralisé concernant les perspectives d'une transformation post-carbone n'est pas fondé.

Les stratégies classiques d'adaptation et d'atténuation du changement climatique consistent en un ensemble de mesures disparates : prendre moins l'avion, investir dans l'hydrogène, déployer des stations de recharge pour véhicules électriques, isoler les maisons, manger moins de viande, capturer le carbone des industries polluantes, etc. qui, prises ensemble, semblent extrêmement coûteuses et compliquées à mettre en œuvre.

Cependant, le nouveau rapport de RethinkX, coécrit par mes collègues James Arbib, investisseur en capital-risque, Adam Dorr, spécialiste des sciences sociales de l'environnement, ainsi que Tony Seba, serial entrepreneur [créateur d'entreprises qu'il cède une fois en activité, NdT] et professeur à l'université de Stanford, soutient que le fait de concentrer l'attention sur une poignée de technologies bien positionnées permettra d'en avoir plus pour son argent. Leur rapport montre clairement que la seule façon de sortir de la zone de danger climatique consiste à adopter une approche ciblée et volontariste pour adapter la bonne combinaison de technologies et d'infrastructures à la transformation systémique dont nous avons besoin : une voie que jusqu'ici la plupart des décideurs n'ont pas encore comprise. Le GIEC a renforcé ce qui est en jeu. Cependant, selon RethinkX, nous n'avons pas besoin d'attendre 2100 pour sortir de la zone de danger climatique : nous avons tout ce qu'il faut pour le faire dès maintenant.

Les chevaux ont été le mode de transport dominant pendant des millénaires. Les téléphones fixes et les caméras analogiques ont été en place pendant plus d'un siècle et demi. On avait d'immenses barrières réglementaires, politiques et émotionnelles pour tout le reste. Mais les voitures, les smartphones et les appareils photo numériques ont tous réussi à être adoptés de façon massive dans les quelques 10 à 15 ans qui ont suivi leur invention.

Ces technologies révolutionnaires ont bénéficié de réductions de coûts et de gains d'efficacité qui se sont améliorés de façon exponentielle, et qui peuvent être cartographiés à l'aide de « courbes de coûts », leur permettant de menacer les fondamentalement la viabilité économique des produits en place. Cela a entraîné les industries en place dans un tourbillon vicieux de déclin économique, les rendant comparativement moins efficaces, plus coûteuses et moins rentables. En fin de compte, acheter les anciens produits n'avait économiquement plus aucun sens, et leurs modèles commerciaux sont devenus obsolètes.

La baisse rapide des coûts des technologies innovantes entraîne des rythmes de diffusion de masse suivant une « courbe en S » : ils augmentent lentement au début, puis s'accélèrent pour atteindre un taux de croissance exponentiel qui se stabilise lorsque le produit domine le marché. En cours de route, les technologies précédentes deviennent des reliques appartenant à l'histoire et on assiste à une complète refonte des infrastructures.

En 2013, une étude de référence de 62 technologies différentes, allant des panneaux solaires jusqu'aux fours à micro-ondes, réalisée par l'Institut Santa Fe, a constaté que ce schéma était si constant qu'il pouvait potentiellement être utilisé pour prévoir de manière précise quelles seraient les progrès technologiques. Notre nouveau rapport utilise de telles courbes de coûts pour prévoir à quelle vitesse les technologies de rupture pourraient transformer les secteurs les plus problématiques, à savoir l'énergie, les transports et l'alimentation, qui sont responsables de plus de 90 % des émissions mondiales de carbone.

Selon notre rapport, l'ensemble des technologies qui suivent déjà ces courbes de coûts sont : les énergies solaire et éolienne ainsi que les batteries (SEB) ; les véhicules électriques et autonomes (V-EA) fonctionnant sous forme de service à la demande ; et les usines de protéines microbiennes utilisant la fermentation de précision (FP).

Si le schéma d'amélioration exponentielle et d'adoption massive que nous avons observé de manière constante à travers des dizaines de ruptures continue dans la même voie, alors au cours des 20 prochaines années, les SEB, VE, V-EA, et FP sont en passe de devenir non seulement compétitifs en termes de coûts, mais 2 à 10 fois meilleur marché que le pétrole, le gaz et le charbon, les automobiles individuelles à moteur à combustion interne et l'élevage industriel intensif. Au fur et à mesure, ils pénétreront de plus en plus les marchés et conduiront ces industries à l'effondrement, entraînant une baisse spectaculaire de leurs émissions de carbone.

Dans la conclusion, les auteurs du rapport expliquent donc que les industries qui dépendent aujourd'hui des énergies fossiles dans les secteurs de l'énergie, des transports et de l'alimentation ne survivront tout simplement pas aux deux prochaines décennies de changements économiques rapides. La grande question est de savoir à quelle vitesse ou à quel rythme ces bouleversements se produiront - ce qui dépend du fait que la société les encourage et s'y adapte, ou alors qu'elle y résiste, ce qui entraînerait chaos et crise.

Au lieu de disséminer nos efforts au petit bonheur la chance dans une multitude de secteurs, notre rapport montre qu'il est possible d'obtenir des réductions d'émissions plus importantes que celles qu'on pensait possibles en supprimant les entraves commerciales à ces technologies. Mais si nous faisons les mauvais choix, les industries à forte intensité de carbone pourraient survivre suffisamment longtemps pour être garantes d'un changement climatique dangereux - et puis, lorsqu'elles s'effondreront, elles risquent d'emporter avec elles de larges pans de la civilisation-telle-que-nous-la-connaissons [référence au film de Joseph McGrath : The strange case of the civilization-as-we-know it, NdT]. Le seul moyen d'empêcher cela est que les gouvernements, les chefs d'entreprise, les entreprises et d'autres acteurs reconnaissent pleinement cette réalité et se détournent de ces industries le plus radicalement possible.

Cela signifie, par exemple, qu'il faut briser les monopoles de rente des services publics de l'énergie, mettre fin aux énormes subventions et aux investissements publics soutenant les combustibles fossiles, le transport routier, l'élevage et la pêche commerciale, mais dans le même temps créer de nouveaux droits pour les individus afin qu'ils puissent produire et échanger de l'énergie, des transports et des services alimentaires dans les industries innovantes.

Si nous voulions être encore plus sérieux, il nous faudrait notamment investir dans des infrastructures clés, par exemple en subventionnant l'électrification du chauffage ; mettre fin aux situation de monopole en matière de propriété intellectuelle en passant à des systèmes d'information transparents, collaboratifs et open source ; apporter un soutien concret pour développer les méthodes d'élimination du carbone, telles que la reforestation active.

La révolution énergétique

La plus importante source de réduction des émissions se trouve dans le secteur de l'énergie, qui, selon nos calculs, représente actuellement quelque 57 % des émissions mondiales de carbone. Les recherches antérieures de RethinkX ont montré que l'énergie solaire photovoltaïque, l'énergie éolienne et les batteries de stockage lithium-ion (SWB) seront capables de fournir 100 % des besoins énergétiques de la société à un coût bien inférieur à celui des centrales électriques conventionnelles dans la plupart des régions du monde.

Les courbes de coût des batteries de stockage ont déjà dépassé les prévisions habituelles et, à ce rythme, leur coût de production et de consommation sera plusieurs fois inférieur à celui des combustibles fossiles d'ici 2030. Selon RethinkX, au fur et à mesure que ce processus se déroule, il sera de moins en moins rentable pour les investisseurs et les consommateurs de continuer à s'approvisionner en énergie à partir de combustibles fossiles, ce qui les entraînerait dans une spirale économique mortifère.

Mais la façon dont la révolution énergétique se déroulera n'est pas gravée dans le marbre. Elle pourrait se faire de manière désordonnée, avec des résultats sous estimés et autodestructeurs, ou de manière à créer un système bien plus avancé que notre infrastructure actuelle basée sur les combustibles fossiles. Des recherches récentes montrent que le fait de porter la capacité solaire et éolienne à 100 %, voire plus, permet de moins dépendre des batteries pour fournir de l'énergie durant l'hiver, ce qui permet de libérer gratuitement de grandes quantités d'énergie excédentaires.

La modélisation réalisée par RethinkX en 2020 a démontré qu'en optimisant correctement la production et les batteries, le nouveau système d'énergie propre peut produire ce que le groupe de réflexion appelle le « Super Power » : au moins trois fois plus d'électricité que le système actuel basé sur les combustibles fossiles à des coûts marginaux quasi nuls pendant la majeure partie de l'année.

Cela aurait pour effet de bouleverser les modèles commerciaux existants dans le domaine de l'énergie, ouvrant la voie à une transformation complète du système énergétique, permettant d'alimenter de manière propre un large éventail de services publics, depuis le traitement des eaux usées jusqu'au recyclage, tout en rendant possible des modes de fonctionnement entièrement nouveaux pour les entreprises, tout comme le coût marginal de la production d'informations grâce à internet a permis de nouvelles innovations spectaculaires.

Mais cette « Super Power » n'arrivera pas automatiquement : il faudra une réflexion et une planification appropriées pour en optimiser le déploiement, ce qui veut dire la transformation du cadre réglementaire pour faciliter les droits à l'énergie décentralisée, et donc impliquera un vaste réalignement social et politique.

L'effondrement prochain du secteur des combustibles fossiles signifie aussi que l'énorme réseau mondial de logistique, d'expédition et de fret pour le transport lourd du pétrole, du gaz et du charbon dans le monde entier ne sera plus nécessaire. Cela contribuera à une plus grande proximité, réduisant de façon spectaculaire le besoin de transport international et la pression sur les matériaux pour ces industries.

La révolution des transports

Une révolution du même ordre est en cours dans les transports, qui, selon le rapport, représentent 16,2 % des émissions mondiales. A la différence d'autres analystes, RethinkX a été quasiment le seul à prévoir avec raison dès 2017 que la baisse exponentielle des coûts et les améliorations dans l'efficacité des véhicules électriques (VE) conduiraient les ventes de voitures traditionnelles à moteur à combustion interne à atteindre leur pic vers 2020.

RethinkX a constaté qu'étant donné que les VE durent sept fois plus longtemps que les véhicules à essence, les coûts par kilomètre de transport, en particulier dans le cas de covoiturage et de fret, sont appelés à chuter même si technologie autonome n'existe pas. Ce seul fait suffira à rendre un nouveau modèle, souvent appelé mobilité en tant que service (MaaS), si bon marché que le fait d'être propriétaire et d'entretenir son propre véhicule sera un non sens économique.

La fin de la privatisation des voitures à essence réduira considérablement le nombre de voitures sur les routes, ce qui entraînera une nouvelle transformation de la nécessité de matériaux. Ajouté à l'effondrement des industries des combustibles fossiles, cela rendra obsolètes toutes les infrastructures mondiales qui leur sont associées. Une vaste réserve de métaux tels que l'acier, l'aluminium, le cuivre, le nickel et autres sera disponible à des fins de recyclage pour construire la nouvelle infrastructure post-carbone.

La révolution alimentaire

La troisième perspective majeure réside dans le secteur alimentaire, qui, selon le rapport, est actuellement responsable de 18 % des émissions mondiales. Les recherches antérieures de RethinkX ont révélé que les industries laitière et bovine seront bousculées par les progrès rapides des technologies de fermentation de précision (FP) et d'agriculture cellulaire (AC).

La FP utilise des hôtes microbiens comme les levures ou les champignons comme « usines cellulaires » afin de produire des éléments comme les protéines et les graisses. Les micro-organismes sont programmés avec des séquences d'ADN de protéines laitières puis placés dans des cuves de fermentation comme celles utilisées pour brasser la bière, où ils sont nourris de nutriments végétaux simples et de sucres pour se développer. La fermentation amène ces microbes à produire des protéines identiques à celles que l'on trouve dans le lait - mais sans la vache. Ce processus peut être utilisé pour créer une grande diversité de protéines animales sans avoir besoin de l'animal.

Une nouvelle étude publiée dans les Actes de l'Académie nationale des sciences a révélé que, s'il est alimenté par l'électricité solaire, ce processus peut être beaucoup plus efficace que l'agriculture industrielle conventionnelle, avec un impact minimal sur l'environnement. Il pourrait, par exemple, produire cinq fois plus de soja par hectare que la plante elle-même, même dans un pays à faible ensoleillement comme le Royaume-Uni - et jusqu'à 10 fois plus dans de meilleures conditions.

Grâce aux améliorations apportées aux technologies biologiques et informatives, ainsi qu'aux énormes gains d'efficacité introduits par les économies d'échelle, les coûts de ces technologies ont déjà spectaculairement diminué. En 2000, les coûts de production, y compris l'équipement et l'expertise, pour un seul kilogramme (kg) d'un type de molécule protéique étaient d'environ 1 million de dollars. En 2020, ce coût a été réduit à environ 100 dollars et, selon RethinkX, il sera inférieur à 10 dollars d'ici 2025. D'ici 2030, la production de FP sera cinq fois meilleur marché que celle en provenance de l'élevage, et dix fois moins chère d'ici 2035.

Notre nouveau rapport confirme que tout cela est en train de se passer plus rapidement que ce que RethinkX avait annoncé : les dernières données montrent que les coûts des FP ont déjà baissé pour atteindre 15 dollars par kg, ce qui permet de penser qu'elles sont en passe de coûter 1 dollar par kg dès 2030. Cela bouleversera les industries laitière et bovine plus rapidement qu'on ne l'aurait cru possible, offrant ainsi la possibilité de nourrir le monde à peu de frais et de manière écologique grâce à des formes de production locales facilitées par le partage d'informations à l'échelle mondiale.

Mais cela ne s'arrêtera pas là. L'effondrement de l'élevage libérerait jusqu'à 2,7 milliards d'hectares de terres utilisées pour l'élevage intensif. Cela offrira une formidable chance de reforestation, de conservation des espèces et de réensauvagement à des échelles qui auraient été impensables sans ces bouleversements.

La décision est notre

La conclusion la plus importante du nouveau rapport de RethinkX n'est pas de dire que résoudre le problème du changement climatique et sauver le monde sont des objectifs irréfutables, ni que le capitalisme ou l' »économie » s'en chargeront si on les laisse faire. En revanche il nous appartient de décider si nous allons dilapider ces évolutions ou en tirer le meilleur parti. Si les ruptures semblent elles-mêmes en grande partie inévitables, ce sont les choix sociétaux des gouvernements nationaux et locaux, des chefs d'entreprise, des investisseurs, des dirigeants économiques, ainsi que des citoyens, qui en détermineront leurs conséquences définitives.

Ces bouleversements finiront par détruire les emplois traditionnels dans les secteurs existants des combustibles fossiles, des moteurs à combustion et de l'élevage intensif. Mais elles créeront également de gigantesques opportunités pour la création de nouveaux emplois dans les industries propres qui émergent rapidement. En ce sens, les technologies sont neutres. La clé est de comprendre leurs impacts et de s'y préparer. Le nouveau rapport RethinkX reconnaît que les gouvernements se doivent de protéger les gens qui travaillent dans ces industries, mais il ne faut pas confondre cela avec la protection des industries à forte intensité de carbone qui elles sont condamnées.

Si les décideurs politiques soutiennent les industries en place par le biais de subventions, d'aides, d'incitations de marché, de réglementations et autres politiques, cela entravera considérablement les bouleversements, mais ne les empêchera pas de couper l'herbe sous le pied des entreprises en place. Les sociétés qui choisiraient cette voie ne seront pas préparées aux conséquences économiques dévastatrices, alors que ces industries entrent dans une spirale mortifère de baisse de profits, de chutes de rendements, de faillites et d'abandons d'actifs. Les chocs économiques risquent de faire capoter les bouleversements eux-mêmes.

Et les conséquences environnementales en seraient dévastatrices. RethinkX prévoit qu'avec cette approche, les émissions de carbone augmenteraient de façon dramatique au cours des cinq prochaines années, nous poussant dans la zone dangereuse d'un monde où la hausse de température serait de 2°C.

Le nouveau rapport du GIEC nous a donné un avant-goût terrifiant des conséquences catastrophiques qui en résulteraient : vastes zones rendues inhabitables au Moyen-Orient et en Afrique du Nord entre 2040 et 2050 ; désertification de type « dust bowl » des principales régions productrices de denrées alimentaires du sud de l'Europe, de la Méditerranée, du sud-ouest des États-Unis et de l'Afrique australe ; franchissement de points de non retour en ce qui concerne le climat, comme en Amazonie et dans l'Arctique, sans aucun espoir d'inversion. Ce qui, à son tour pourrait entraîner une amplification des boucles de rétroactions climatiques qui, dans le pire des cas, déclencherait un scénario d' »effet de serre » et une planète en grande partie inhabitable, même si, aujourd'hui personne ne sait avec certitude quelle est l'imminence de ce risque.

En revanche, il est important que les décideurs politiques reconnaissent les chances considérables qui leur sont offertes. La nature intimement interdépendante de ces bouleversements déclenchera des conséquences en cascade de deuxième et troisième ordre qui nous permettront de transformer l'ensemble de l'économie mondiale. À l'instar de l'internet et de la myriade d'innovations qu'il a suscitées, des milliers de milliards de dollars de nouvelles perspectives commerciales basées sur de nouveaux modèles vont voir le jour.

L'une des conclusions les plus enthousiasmantes du rapport réside dans le fait que l'impact combiné des différentes ruptures fera baisser le coût du captage et du piégeage du carbone de l'atmosphère à environ 10 dollars par tonne de CO2 d'ici 2040. Au lieu de s'appuyer dès maintenant sur des technologies de captage du carbone non rentables et coûteuses, nous devrions nous concentrer sur le déploiement des principales technologies révolutionnaires dans les secteurs de l'énergie, des transports et de l'alimentation, qui de plus nous permettront de commencer plus tard à piéger le carbone en utilisant des méthodes tant naturelles que technologiques de manière rapide et efficace. Cela nous permettra de gérer les émissions difficilement contrôlables de l'aviation, de la construction, etc. par le biais de compensations, en allant au-delà de zéro pour capter le carbone de l'atmosphère.

Dans notre scénario d'action mondiale accélérée, nous pouvons y parvenir bien avant d'atteindre 1,5 degré Celsius d'augmentation des températures : nous pourrions atteindre le niveau net zéro vers 2033, et commencer à réduire rapidement et d'ici 2040 à piéger en toute sécurité 20 % du carbone actuellement accumulé dans l'atmosphère.

L'extraordinaire dynamique du nouveau système post-carbone pourrait donc nous permettre de réduire l'empreinte matérielle de la civilisation humaine afin de fonctionner en toute sécurité à l'intérieur des limites de la planète, tout en créant de nouvelles formes de prospérité écologique : nous pourrions enfin rompre le cycle traditionnel ancestral qui voit se succéder la croissance puis l'effondrement des civilisations.

Ce nouveau système énergétique, de transport et alimentaire post-carbone aura des propriétés entièrement nouvelles par rapport à l'ancien paradigme industriel. Mais pour le faire fonctionner, il nous faut réorganiser complètement nos sociétés et nos économies. Les structures politiques et économiques dominantes seront complètement dysfonctionnelles dans ce nouveau système. Il nous faudra de nouvelles structures et des institutions décentralisées, en réseau et non hiérarchiques pour distribuer et maximiser les bénéfices.

Les enjeux ne pourraient être plus considérables et la voie à suivre est semée d'embûches. Mais nous avons maintenant la preuve irréfutable que tout est à notre portée pour résoudre la crise climatique, il n'y a tout simplement plus aucune excuse pour rester dans l'inaction.

Source :  Vice, Nafeez Ahmed, 16-08-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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