Dans un monde hyper bureaucratique du XX° siècle, les citoyens sont surveillés par des écrans de contrôle, fichés par les ordinateurs de l'Etat. Ils vivent constamment sous la menace et dans la peur. Sam Lowry mène une double vie : la nuit, il se rêve en archange qui défie les forces des ténèbres et conquiert le cœur d'une jeune femme blonde. Le jour, il travaille au ministère de l'Information comme fonctionnaire zélé.
Le drame qui survient dans l'existence de Sam Lowry est à porter au crédit d'un erreur informatique, due surtout à la vétusté du matériel employé : un jour, dans un bureau, un scarabée écrasé transforme par hasard le nom d'un certain Harry Buttle en Harry Tuttle, nom d'un redoutable "résistant-plombier".
Violemment arrêté par les commandos de la milice étatique sans pouvoir protester de son innocence, Buttle est mis au secret : sa femme ne peut que signer les formulaires réglementant cette intervention. Il est torturé sans raison et éliminé peu après, sans que son épouse en soit seulement informée. Sam est pressé par son supérieur, alors que cela est contraire à la procédure, d'indemniser la veuve de Buttle. Or, Sam rêve souvent pour échapper à l'Etat monstrueux devenu machine infernale, d'une jeune femme angélique et inaccessible, qu'il se voit approché comme une sorte d'Icare. C'est en allant à la rencontre de Mme Buttle qu'il aperçoit la jeune femme de son rêve, logeant dans l'appartement situé au-dessus des Buttle. Eperdument amoureux, Sam, qui vit à outrance dans l'ombre de sa mère, décide de tout mettre en œuvre pour la retrouver. Ce faisant, il devient malgré lui complice de Tuttle et se retrouve fiché comme résistant à l'Ordre de Brazil. Au contraire de ce qu'il affirme à la veuve de Buttle, l'erreur y est tout sauf humaine car la notion même d'humanité s'est évaporée de cette Cité obscure. Le seul avantage du déplacement chez les Buttle est pour le modeste fonctionnaire d'apprendre le nom de la jeune femme, Jill Layton. Un nom qui va sceller sa perte.
Pour un enfer climatisé
Dans la société de Brazil, tout est prétexte à des ratiocinations interminables et à la délivrance de formulaires pléthoriques. On nage en plein futur, mais curieusement la société dépeinte par Gilim regorge d'archaïsmes : les vêtements respirent les patrons des années 30, l'ambiance urbaine est glauque et grisâtre. Même la technologie laisse à désirer, les ordinateurs apparaissent comme de vieilles machines à écrire, type Underwood, bricolées et auxquelles on aurait adjoint un écran. Même la nourriture est immonde, tous les mets ayant une couleur et une consistance stéréotypées.
Tout subit la même loi dans Brazil : celle de l'apparence et de l'illusion, qui deviennent des substituts de la vérité. La vie de Sam est un véritable enfer. Il avoue même à sa mère qu'il n'a "pas de rêve".
La devise du Bureau du Recoupement est : "la vérité engendre la liberté". Sam appartient au Bureau des archives, activité subalterne et degré zéro du Ministère. Il rencontre parfois son ami Jack Lint, qui œuvre au niveau 5 pour le Bureau du recoupement et ne cesse de le solliciter afin qu'il se montre plus ambitieux et le rejoigne. La jeune femme de ses rêves vient un jour à l'accueil du Ministère pour signaler l'arrestation arbitraire de Buttle. Découragée par la multiplicité des contraintes administratives afin d'enregistrer sa déposition, elle se fait remarquer par les dirigeants du Ministère en remettant en cause les compétences de ses agents. Elle sera arrêtée et éliminée plus tard, malgré les interventions de son amoureux, qui ne feront que provoquer sa chute. Pour en savoir plus sur Jill et la protéger de la bureaucratie policière qui veut éliminer tout les témoins de l'erreur Buttle-Tuttle, Sam accepte une promotion et accède au fameux Bureau du Recoupement, qui se révèle vite un lieu de travail harassant et sans intérêt, avec des bureaux étriqués et des couloirs labyrinthiques, striés de conduits pneumatiques par où s'écoule la "paperasserie" qui fait vivre le système.
On comprend mieux que, la nuit, les cauchemars de Sam le mettent aux prises avec des individus déguenillés, et dont l'absence d'âme et de réflexion est symbolisée par le port d'un masque enfantin et caricatural, identique chez tous, où toute individualité est absente. Ce sera d'ailleurs le même masque que portera son ami Jack lorsqu'il se complait à torturer Sam avant qu'il ne meure à la fin du film. Le terrorisme du Bureau du Recoupement de l'information Brazil se donne comme une utopie négative : cette société illustre la perversion du machinisme et de l'autoritarisme lorsqu'ils prétendent régenter la vie humaine dans ses moindres détails. Tout y est inversé et l'absence des valeurs humaniste y est flagrante, l'Etat écrasant les moindres velléités altruistes et initiatives personnelles. La principale activité des enfants y est de jouer à la victime et au tortionnaire.
Par exemple, l'organe bureaucratique central, le Ministère de l'Information, est un lieu où les employés sont plutôt livrés à la plus grande désinformation qui soit : la plupart font semblant de travailler et passent leur temps à regarder des vieux films du cinéma américain des années 40, tel Casablanca. L'instance principale de ce Ministère, le Bureau du Recoupement de l'information, concentre 7% du P.I.B de la société et doit nécessairement trouver des coupables et des criminels pour justifier ses frais de fonctionnement. Tout se produit donc comme si les hommes au pouvoir suscitent les accidents qu'ils ont pour charge d'éradiquer afin de justifier leur fonction sociale. Le film s'ouvre ainsi sur les prétendues exactions de saboteurs et de terroristes qui luttent contre "les anciennes vertus de la civilisation". Mais c'est la société de Brazil elle-même qui les a annihilées : le régime totalitaire provoque en ce sens l'émergence de mouvements de résistance qui n'aspirent qu'à défendre une liberté amoindrie comme un peau de chagrin. Les dirigeants, vivant de la suspicion qu'ils entretiennent, aspirent à "en donner aux contribuables pour leur argent". Aussi ont-ils institué que les charges des interrogatoires et des procédures judiciaires - qui sont évidemment légion - sont à régler par les personnes arrêtées elles-mêmes ou leur famille.
La technologie, relais du totalitarisme de l'Etat
Lorsque les circuits du climatiseur qui alimentent l'appartement de Sam Lowry tombent en panne, c'est le début de la catastrophe. Comme si, la sphère privée rejoignant la sphère publique, la vie de Sam était inévitablement condamnée à basculer dans l'anormalité et le pathologique du régime politique en place. En effet, les conduits infinis et les instruments technologiques ne sont pas un simple décorum : à leur manière, ils sont l'œil invisible de l'Etat dans la maison des particuliers. La plus petite défaillance est censée en principe être réparée par les techniciens officiels de "Central Service", seuls habilités à toucher au "matériel officiel". Mais outre le fait qu'ils tardent à intervenir, submergés par les formulaires exigés pour chaque déplacement, ils sont eux-mêmes conditionnés par tous les formulaires qu'inlassablement ils doivent remplir ou faire remplir par leurs clients.
Giliam produit ici une œuvre effrayante, aussi drôle qu'effrayante. Le film devait s'intituler à l'origine Le Ministère de la Torture ou 1984 1/2. Le cinéaste a préféré lui donner le nom d'une ritournelle, samba lancinante aux vertus hautement symboliques : cette petite musique que personne ne peut vous empêcher de fredonner représente le rêve, l'imaginaire, la vie que le bureaucratisme et le totalitarisme veulent anéantir. Utilisant l'humour noir et l'absurde au service d'une comédie fantastique, Brazil offre la peinture d'une société du futur très proche de la nôtre. La révolte de Sam, ex-employé modèle, contre le système et la hiérarchie s'apparente à une fable, à mi-chemin entre la BD et l'œuvre de Kafka. Le film dénonce le culte du progrès, l'arrivisme, la jouvence et l'invincible Superman. Flirtant avec les univers de Orwell, Kafka et Kubrick, il dépeint l'invasion tentaculaire des tuyauteries et le fantasme d'un Icare tombant fou amoureux d'une Vénus et qui se heurte à la terrifiante verticalité du béton. Sam Lowry incarne à sa manière l'évasion par les cieux, la quête du Bien et le combat contre l'oppression et la torture.
La "résistance", une figure d'altruisme et de liberté
Dans le cas de Sam, alors que plus rien ne fonctionne chez lui, Harry Tuttle se présente et répare en un tournemain le conduit défectueux tandis que Lowry parvient à chasser les séides de Central Service enfin parvenus à son domicile. C'est le début de la fin pour Sam, qui vient de passer du côté de la "résistance". C'est que Tuttle proclame à qui veut l'entendre l'ineptie de la tâche des techniciens-chauffagistes officiels de Central Service : travaillant illégalement pour court-circuiter le système officiel, Tuttle déteste la "paperasserie", qui ralentit à l'extrême toutes les actions. Ce qui l'intéresse, c'est justement ce dont sont privés tous les citoyens de Brazil par le recours inexorable aux formulaires de toutes sortes : l'aventure, la rencontre des souffrances d'autrui, la liberté. Parce qu'il sort du moule conventionnel des habitudes, Tuttle est résistant. Sam va le devenir pour les mêmes raisons. Tout comme c'est son altruisme naissant qui amènera sa condamnation pour terrorisme.
Lorsque Sam rentre chez lui après avoir recherché Jill, les techniciens de Central service, revenus avec le formulaire 27B-6 adéquat, ont complètement dévasté son appartement sous prétexte d'une recherche de défaillance. Ayant reconnu la réparation opérée par Tuttle, ils entendent ainsi faire cher payer Sam de son mépris des instructions officielles, qu'ils apparentent à un sabotage.
Promotion pour la salle de torture
Pour obtenir plus d'informations sur Jill, Sam doit contacter un membre du Bureau 5001 chargé de son cas, et qui n'est autre que son ami Jack, préposé aux tortures en tous genres, arbitraires et infondées. Triste illustration du mélange de folie et de classicisme qui illustre Brazil, Jack triture à l'envi les corps des terroristes pendant que sa secrétaire tape en sténo les hurlements des victimes et que sa petit fille joue dans la pièce d'à côté. Les activités de Jack montrent à quel point le régime politique est policier et totalitaire ici, à la poursuite de tous les subversifs indépendants. Sam parvient à soustraire à temps Jill aux recherches de la milice et de Jack, persuadé que Jill et Tuttle sont de mèche, et que le quiproquo Tuttle-Buttle a été planifié par les terroristes. A bout de nerf, Sam quitte le bureau du recoupement et en détruit le système de messages pneumatiques : des milliers de documents s'échappent alors des conduits, innovation libre et créatrice qui n'est qu'un sabotage aux yeux de ses concitoyens. Sam parachève son œuvre en allant effacer Jill du fichier informatique. Ils se retrouvent retrouvent ensuite, prêts à mener une vie heureuse, mais les commandos de la milice interviennent et les arrêtent.
Une justice factice, dirigée par les lois économiques
Sam est inculpé pour les chefs d'accusation suivants :
"- Aide apportée aux ennemis de la société
- Assistance apportée à fugitive en fuite recherchée par la justice
- Divulgation de documents secrets à agent subversif
- Appropriation de véhicule officiel
- Contrefaçon de la signature du chef de service des archives officielles
- Tentative de détournement de fonds officiels sous forme d'un chèque au nom de Buttle établi en infraction aux procédures
- Sabotage des canalisations de Central Service
- Résistance aux forces de l'ordre dans l'exercice de leur fonction
- Diffamation du gouvernement, et notamment de la réputation exemplaire et sans tâche du Bureau de Recoupement des Informations.
- Tentative de démantèlement du système de communication par voie interne du Bureau de Recoupement
- Gaspillage de la patience du Ministère et du papier à lettres".
Ultime connexion de l'économique et du juridique, le procès de Sam étant instruit à ses frais, on lui impose de plaider coupable afin d'alléger les dépenses : même à ce stade critique, la vie du citoyen n'est toujours pas évaluée à l'aune de la liberté et de la responsabilité individuelle. Se déclarer coupable, surtout si l'on est innocent, n'est-ce pas bénéficier d'un crédit à taux compétitif ? Donc d'un jugement "plus facile, plus rapide, et plus économique". A Brazil, le citoyen l'emporte sur l'homme, et l'on ne croise que des corps sans âme. Voilà pourquoi Sam se retrouve dans une salle capitonnée avant d'être torturé et quasi lobotomisé sous la main experte de son ami Jack. Le problème de Sam, c'est que "les règles du jeu sont bien définies et tout le monde doit les respecter", même les gens hauts placés dans la société. Sam dérange parce qu'il ne se plie pas aux lois absurdes dont l'Etat policier de Brazil ne veut pas faire l'économie, car cela réduirait son pouvoir. Il a beau annoncer qu'il s'agit d'une erreur gigantesque, qu'il n'est pas terroriste, il devient nécessaire pour la société qu'il soir éliminé. Le fonctionnement du Bureau du Recoupement revient très cher à la société, comme cela était annoncé au début du film. Ainsi Sam coûte-t-il une "fortune énorme" en refusant de coopérer.
On lui annoncera peu après que Jill a été exécutée en résistant à la police puis il est emmené dans la salle de torture. Ne pas avouer le crime qu'on vous reproche y est inutile puisque cela ne fait qu'augmenter les agios à verser après votre arrestation. L'absence d'échappatoire Jack commence à le questionner avec le masque impavide qui hante ses cauchemars. Sam ce croit sauver par l'intervention miracle de résistants, Tuttle à leur tête. Il rêve alors une dernière fois qu'il s'enfuit de Brazil avec Jill, atteignant une contrée magique où tout est calme, nature et couleurs. Mais le révolté a toujours tort. Il paie nécessairement de sa vie son rejet du système et son amour du prochain. Il n'y a pas d'espoir à attendre face au Chaos. Dans un Etat où informer revient à torturer l'autre, et où la vérité est censée être une forme de liberté, on comprend que le mensonge est roi, et l'authenticité condamnable.
Sam croit dynamiter le Ministère de l'Information en un dernier geste héroïque, alors qu'en fait c'est lui qui implose sous le bistouri du bourreau. Dans sa dernière vision, des milliers de feuilles s'échappent du Ministère éventré, créant l'illusion d'une liberté véritable échappant aux conventions et à la répétition. Mais la paperasse rattrape continuellement ceux qui voudraient lui échapper, à l'image finale d'un Tuttle enseveli sous une multitude papiers formant comme les bandelettes d'une momie antique et l'asphyxiant progressivement. Tuttle disparaît ainsi sous les papiers qu'il prétendait combattre, signe de la futilité de son comportement. Venu le délivrer, Sam ne peut que brasser du vent, entouré du regard inquisiteur de la foule : fiction de son esprit ou ultime lucidité ? La dernière séquence du film le montre privé d'esprit, complètement avachi sur son fauteuil de dentiste/supplicié, pendant que retentit la petite musique Brazil.
Côté bonus
Comment expliquer qu'une telle oeuvre ne croule pas ici sous une avalanche de bonus tous plus alléchants les uns que les autres ? Il est vrai que le seul reportage - absolument remarquable - dont on nous gratifie, What is Brazil a permis à son auteur, Rob Hedden, de gagner l'Oscar du meilleur documentaire, mais on aurait aimé un peu pus de diversité dans les angles d'approche de ce film culte.