Journal dde.crisis de Philippe Grasset
2 novembre 2021 - En guise de politique-fiction, ou semi-fiction on verra, je vous parlai très récemment du beau pays de France et de l'abracadabrantesque hypothèse d'une "révolution de couleur" pour le printemps prochain. Eh bien, il semble que l'idée de cette recette (la "révolution de couleur") de l'occidentalisme-américanisme, alias BAO, commence effectivement à effleurer les esprits, quant à notre beau continent euro-occidental, étiqueté UE. Il y a effectivement de moins en moins de gens pour douter un instant que les grands centres de la pensée postmoderniste/modernité-tardive puissent éprouver quelque gêne que ce soit à fomenter de telles expéditions à l'intérieur d'eux-mêmes.
J'ai aussitôt pensé à vous, à nous, en tombant sur cet article de José Niño, sur le site 'Mises.org' du Mises Institute, de tendance libertarienne-USA (des adeptes du libéralisme économique absolu qui sont devenus nos alliés face au socialisme capitaliste et managérial totalitaire qui dévore le monde comme une lèpre sans vaccin possible) : « La Hongrie et la Pologne seront-elles les prochaines victimes d'opérations USA/UE de 'Regime Change' ? ». Il s'agit d'une supputation concernant la possibilité de cette fameuse sorte d'action impliquant des renversements de régime "en douceur"...
Façon de parler, d'ailleurs ! Il s'agit en fait d'une "douceur" du type bulldozer dans la manipulation des foules, les provocations, les corruptions, l'action des ONG qui vont bien (type-Soros), les pressions médiatiques et de communication fondées sur les informations faussaires et forgées de toutes pièces, en plus des exclamations officielles et outragées d'acteurs extérieurs officiels, en général les manipulateurs eux-mêmes. L'histoire nous dit dans sa grande sagesse que le label "révolution de couleur" date de la "révolution des roses" en Géorgie, en 2003, et la "révolution orange", en Ukraine en 2004. Depuis, il y en eut d'autres bien entendu, mais le caractère principal était jusqu'ici qu'on réservait ces tendresses démocratiques aux contrées sauvages, hors bloc-BAO. Avec la Hongrie et la Pologne, on change de terrain de jeu.
Que nous dit monsieur José Niño ?
« Aucun pays n'est à l'abri de l'œil de Sauron qu'est l'État américain moderne de sécurité nationale. Même certains des alliés ostensibles des États-Unis ne peuvent échapper à cet œil auquel rien n'échappe. La Hongrie et la Pologne, toutes deux membres de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), ont fait l'objet d'importantes critiques de la part de la classe sermonneuse de Washington et de Bruxelles ces dernières années. Pendant la campagne électorale, le président Joe Biden a comparé des pays comme la Hongrie et la Pologne à des "régimes totalitaires". De plus, l'ancien président Barack Obama a declaré que les deux pays étaient "essentiellement autoritaires" alors qu'ils étaient auparavant des "démocraties qui fonctionnaient".» De même, Mark Rutte, le premier ministre des Pays-Bas, est allé jusqu'à demander l'expulsion de la Hongrie de l'Union européenne en raison de l'adoption récente d'une loi qui criminaliserait la promotion ou la représentation du changement de sexe ou de l'homosexualité pour les Hongrois de moins de dix-huit ans dans les médias.
» Quant à la Pologne, plusieurs de ses municipalités et régions ont adopté des résolutions "sans LGBT" largement symboliques en opposition à plusieurs des excès de la gauche culturelle. À l'instar de la Hongrie, les mesures traditionalistes prises par la Pologne ont hérissé les plumes de l'Occident. Elles ont même suscité une sévère réprimande de la part de l'ambassadrice américaine en Pologne nommée par Trump, Georgette Mosbacher, qui a audacieusement proclamé en 2020 que la Pologne était "du mauvais côté de l'histoire". »
L'auteur poursuit en détaillant d'une part les querelles qui opposent l'UE à la Hongrie et à la Pologne (notamment les questions juridiques où le droit polonais s'oppose au "droit européen") ; d'autre part les situations respectives des deux pays, sur le plan des libertés, mais également sur celui de l'économie où Hongrie et Pologne figurent remarquablement.
Il est noté avec justesse que les constants rappels des dirigeants hongrois et surtout polonais de l'appartenance de leurs pays à la civilisation chrétienne « ne font qu'enrager les technocrates sans âme de Bruxelles, qui se prosternent devant l'autel du managiérisme ». Il faut garder ce mot à l'esprit, qu'Alastair Crooke utilise également (« Tout cela découle du culte du managiérisme technocratique ») : le "managiérisme" (ont dit aussi "managiéralisme", mais je préfère la version courte) est bel et bien un pilier de leur religion, l'autre étant le wokenisme, et l'on se prosterne bel et bien, à Bruxelles comme à Washington D.C. Certes, il s'agit bel et bien de religion, il ne faut pas s'y tromper !
Je reviens à ses paragraphes de fin où José Niño détaille la menace de ' color revolution' chez l'un ou chez l'autre. Il en mentionne justement les limites, et même la contre-productivité ('blowback', ou "coup de fouet en retour"). Mais rien ne les arrête n'est-ce pas, « c'est même à ça qu'on les reconnaît » comme disait notre grand moraliste du 7e Art...
« Malgré toutes les preuves montrant que la Hongrie et la Pologne ne sont pas des pays totalitaires, il y a des raisons de croire que les internationalistes libéraux de l'Ouest continueront à les harceler. La Hongrie est une cible particulièrement facile en raison d'un assortiment de raisons qui vont au-delà de sa politique intérieure. L'utilisation intelligente par la Hongrie de l'équilibre géopolitique et la cour qu'elle fait à des pays comme la Russie et la Chine ne lui font que des ennemis à Bruxelles et à Washington DC. La Hongrie s'est montrée ouverte à une collaboration économique avec ces deux pays, dont les relations avec l'Occident se sont de plus en plus détériorées. En ce qui concerne la Chine, la Hongrie a déjà bloqué une déclaration de l'UE lorsque la Chine a décidé de sévir à Hong Kong, à la grande consternation de l'UE et du complexe industriel international des ONG.» Les personnes raisonnables, même les étrangers, peuvent avoir des désaccords avec les actions des gouvernements étrangers. Mais demander un changement de régime à grande échelle, que ce soit par la subversion ou l'interventionnisme pur et simple, est tout simplement illusoire. La déstabilisation qui en résulte ne fait que créer des problèmes supplémentaires et d'autres conséquences imprévues que les bricoleurs de la politique étrangère ne pourraient jamais anticiper. Mais voilà : quand on parle de politique étrangère, on a affaire à des gens qui ont depuis longtemps perdu la raison. À vrai dire, il n'y a pas beaucoup de pensée rationnelle dans ces espaces.
» Il serait erroné de considérer les États-Unis comme une puissance mondiale qui utilise exclusivement la force brute. De la même manière qu'il opère sur le plan intérieur, l'État américain peut recourir à une combinaison de puissance dure vigoureuse et de puissance douce habile pour faire plier les acteurs récalcitrants. Les tristement célèbres "révolutions de couleur", - mouvements que les agences de renseignement, les ONG et divers acteurs nationaux utilisent pour s'ingérer dans des élections étrangères dans le but de générer une crise électorale, - sont l'un des nombreux outils que l'État profond américain et ses alliés de l'UE pourraient utiliser pour harceler les États récalcitrants et les contraindre à se soumettre à leur volonté.
» Se frotter secrètement à la Hongrie et à la Pologne constituerait une bataille difficile pour un empire qui a subi de récents revers à l'étranger dans des pays comme l'Afghanistan et l'Irak. L'ironie de la chose est que les États-Unis subvertiraient deux pays qui font partie de leur réseau d'alliances. Tant que les zélateurs libéraux internationalistes se glissent dans les couloirs du Congrès, on ne peut que s'attendre à des efforts continus de changement de régime. À l'heure actuelle, tous les coins du globe sont des cibles faciles.
» Un changement radical dans la façon dont les décideurs de la politique étrangère voient le monde est une condition préalable à toute correction de la façon dont l'Amérique mène ses affaires étrangères. Si le statu quo persiste, la cabale interventionniste de Washington trouvera toujours des moyens de harceler et de déstabiliser les pays étrangers. »
On voit combien la réflexion évolue, dans un pays où les gens qui s'occupent de "politique étrangère" « ont depuis longtemps perdu la raison » (ou bien, comme dit Michael Brenner, cette expression que je trouve si goûteuse, si pleine de vigueur et de joie féroce : « l'état intellectuel/politique comateux dans lequel se trouvent enfermés les Etats-Unis »). Il est vrai que le Système, dans l'état où il se trouve, à la fois d'arrogance totalitairement extrême et de trouille absolument cosmique, entre surpuissance et autodestruction bien sûr, ne s'arrêtera jamais sur cette route semée d'embûches qu'il transforme aussitôt, "révolutions de couleur" et invasions illégales mélangées, en autant de trous noirs agités convulsivement de désordres insensés : voyez ce qu'il a fait de l'Ukraine, de l'Irak, de l'Afghanistan, de la Libye, tant d'autres encore, prodigieux empilement de Pandémonium chaotiques, de cloaques incohérents.
Il faut s'attendre à tout et rien ne lui est impossible dans la matière de la brutalité et de l'illégalité instantanément transformées en catastrophiques échecs. S'il faut le faire, n'importe quoi et n'importe comment, il le fera parce qu'« il peut le faire ». Alors, comprenez bien que si jamais en France... Un dérapage comme disent nos flics de la circulation démocratique, une sortie "des lignes", un choix qui fait apostat et hérétique de leur religion universelle ! Ils n'hésiteront pas une seconde.