TRIBUNE - La semaine dernière, devant le Sénat italien, le philosophe italien Giorgio Agamben a posé la question que plusieurs se posent sans oser la formuler. Et"si le passeport vaccinal était la finalité et non pas la conséquence" ? Si au travers de la pression à la vaccination, présentée comme une obligation quasiment pénale, de prévention de cette forme d'empoisonnement que serait la "contamination", l'objectif inavoué était l'extension à l'ensemble du recensement de la population, d'un document de traçabilité électronique ?
Car qui dit passeport sanitaire dit certificat QR. La massification du code, originellement conçu comme un outil de marketing pour des biens et non des personnes, est passée comme une lettre à la poste sans être analysée dans sa dimension biométrique, ni davantage insérée dans son contexte technologique. De là, la singularité de la question d'Agamben. Quasi concomitamment, Marc Zuckerberg déclarait que Facebook Inc. serait rebaptisé Meta. Meta pour metaverse. Selon Zuckerberg : "Le metaverse est un Internet incarné, dans lequel, au lieu de se limiter à regarder du contenu, on vit en lui". Il se donne cinq ans pour arriver à faire de Facebook l'entreprise phare du metaverse. Et pour cela, il va falloir que nous lui donnions encore plus de données que nous ne le faisons.
L'auteur de science-fiction Neal Stephenson fut le premier à évoquer le concept dans son roman Snow Crash (1992). Bien qu'encore très empreint de réalisme augmenté, le metaverse dans l'acception de l'écrivain se trouve être un réseau tridimensionnel, d'environnements virtuels, interconnectés, dans lesquels le parallèle se nourrit du réel, dans le cadre d'une interopérabilité censée être transparente. La connexion du metaverse de Stephenson avec celui des tycoons du numérique, est qu'il s'agit d'une superstructure (méta) toujours active, qui transcende l'univers physique et dans laquelle nous devons tous être simultanément.
Voir aussi : Meta : un Facebook 2.0 pour créer un univers virtuel parallèle digne de la science-fiction
Il s'agit d'un Internet dont nous ne serons pas que des usagers. Ce n'est plus de la réalité augmentée. Il s'agit littéralement d'une superstructure parallèle, prenant le pas sur la réalité physique. Nous vivrons dans et de la toile. Le "net" prendra alors sa véritable signification. Celle d'une toile d'araignée dans laquelle nos identités seront attrapées. Nous y opèrerons des transactions commerciales, immobilières, la monnaie d'échange sera le NTF (non fungible token, jeton non fongible, un ETF - exchange trading fund - existe déjà pour ce type de valeur). Nous y aurons une vie sentimentale, nous y travaillerons, et progressivement les propriétaires de la toile y imposeront leur Loi sous forme de réglementation, dont les fact-checkers actuels constituent un avant-goût du type de commissariat politique du futur. Les règles de la juridiction digitale ne seront pas nécessairement celle du Droit positif de la réalité physique. Il est permis d'imaginer que quelques députés marginaux du monde physique essaieront d'imposer des mécanismes de protection, mais trop tard, trop seuls.
Microsoft aura été la première Big Tech à explorer les convergences entre univers physique et univers digital. Satya Nadella, le ponte du metaverse de l'entreprise fondée par Bill Gates, plaide depuis longtemps pour "mixer les réalités". L'Univers parallèle, ou metaverse, rapporterait, selon un rapport de Bloomberg Intelligence, 800 milliards de dollars d'ici 2030, dépassant le PIB de plusieurs États souverains de l'Union européenne. Au-delà, les gains dépasseraient le trillion. Son ou ses propriétaires pourraient potentiellement lever une armée dans le monde physique, s'ils le souhaitaient. Mais ils n'en auraient pas besoin.
D'autres que Microsoft et Facebook s'y intéressent : Telcent, Apple, Sony, Nvidia (sans parler des Big Tech chinoises). Naturellement entre eux, face à de tels enjeux, ils se livrent une guerre économique sans relâche, à qui se lance le "whistleblower" le plus crédible sur la manipulation des enfants ou l'importance de groupes "conspirationnistes d'extrême droite" sur la plateforme de l'autre. Le fait de changer le nom en Meta, au regard de l'affaire Frances Haugen, serait à interpréter de la part de Zuckerberg comme une réponse du berger à la bergère. Non comme un ravalement de façade.
Pour dépasser le stade de la sandbox (environnement de tests), le metaverse a besoin de données biométriques (rétine, pulsations, voix, entre autres). Massivement. De tous. Non pas d'une partie. Il lui faut les données les plus complètes. Un segment populationnel ne saurait lui suffire, car le metaverse n'est pas une modélisation. C'est le futur territoire d'opérabilité d'une grande partie de nos interactions, visant l'exhaustivité, au fur et à mesure de la naturalisation de son usage et de l'amélioration de ses fonctionnalités. Le metaverse ne fonctionne que si deux critères sont observés. Sa permanence. L'usager y est toujours. Il ne s'agit pas une connexion ponctuelle. Et par ailleurs le sujet doit y maintenir son identité. Ce n'est pas un avatar. L'espace lui-même se nourrit en tout et pour tout de la réalité sous le modèle que décrit Mattew Ball, « One Nation under CCTV ». Le metaverse a besoin de passer par une phase de collecte coercitive de l'information, en jouant de peurs fondées ou non (sanitaire, terrorisme, climat par exemple).
L'état de commotion psychologique associé au type disruptif de gestion d'une crise sanitaire en 2020, a priori une parmi d'autres, a fourni une occasion unique pour déconfiner l'intelligence artificielle, à mesure que se confinait l'humain et créait les conditions de nourrir le Moloch. Les consultations médicales, réunions de travail, vie culturelle, spirituelle, familiale, opérées par Zoom et autres plateformes, auront apporté ce qu'il faut d'ingrédients de la psyché humaine. Sur le plan économique, il y a longtemps que les usines, les fintech et labo virtuels ont remplacé l'apport des ressources humaines, en ce siècle qui n'a rien de scientifique, mais tout de technologique.
Le metaverse constitue une menace anthropologique. Une ère nouvelle s'ouvre dans laquelle l'être humain devient une pièce d'un jeu qu'il a lui-même contribué à créer, et progressivement tombe en obsolescence, donnant raison à Gunther Anders, 70 ans plus tard. D'autant que ce système ne marche qu'en cavalier seul. Un système metaverse n'est soutenable que s'il se trouve être l'instance unique à fournir un point d'accès global à l'objet intelligent. Le singleton, l'utopie d'une IA totalitaire pourrait ne pas être si loin.