10/02/2022 bonpote.com  14min #201950

La neutralité carbone en 2050 est un leurre

septembre 21, 2021

Les annonces de neutralité carbone en 2050 pleuvent depuis l'Accord de Paris. Les uns après les autres, les dirigeants se déclarent tous « pour l'écologie », pour une « écologie positive », avec des « avancées historiques et des annonces sans précédent » pour...2050.

En écologie, comme partout ailleurs, les promesses n'engagent que les personnes qui les croient. Malgré un mois d'été où nous avons observé  les catastrophes climatiques s'enchaîner, le rapport du GIEC n'aura  fait l'actualité que 24h, et surtout, des annonces quotidiennes vont complètement à l'encontre de l'objectif de neutralité carbone mondiale en 2050.

J'avais déjà averti sur les précautions à prendre lorsque vous entendez parler de  neutralité carbone. Quand, comment, à quelle date, sur quel périmètre, etc. Ce n'est jamais facile de s'y retrouver, et ce n'est pas un hasard. Il ne manquerait plus que les entreprises et Etats soient transparents et que les politiques puissent être tenus responsables de leur inaction climatique !

Quelle serait alors la meilleure parade pour ne rien changer et à la fois dire qu'on agit pour le climat ? Annoncer une neutralité carbone en 2050.

La neutralité carbone en 2050... 2050 ?!!

A force d'entendre que le changement climatique sera « très grave en 2050«, « provoquera +4°C en 2100«, l'imaginaire collectif finit par croire que le danger n'est que pour 2050. Le million de Malgaches qui souffre de famine, les morts canadiens, allemands, belges, vénézuéliens, japonais, new-yorkais... du seul été 2021 ne sont probablement pas du même avis. Le changement climatique fait déjà des ravages en 2021, et n'en fera que plus sans virage radical et immédiat de nos économies.

Les politiques au pouvoir et les dirigeant(e)s d'entreprise se surpassent depuis quelques années pour prolonger le Business as Usual. Chaque semaine, plusieurs d'entre eux se prêtent à des interviews pour annoncer qu'il y a une « vraie prise de conscience » mais « qu'en même temps, nous n'allons pas tout changer du jour au lendemain«. Comme si ces dirigeants n'étaient pas au courant depuis 30 ans du problème. «  Et les emplois, vous y pensez » ?

Comment voulez-vous qu'un(e) politique prenne en compte la variable climatique dans ses intérêts économiques ou électoraux si dans sa tête (et dans l'imaginaire collectif), le changement climatique n'aura des effets qu'en 2050 ? Avec un mandat de 5 ou 6 ans, pourquoi s'emm*rder. Et puis « l'  homme s'est toujours adapté de toute façon«.

La plupart des politiques ne seront plus au pouvoir ou plus de ce monde, et sûrement pas inquiétés pour leur inaction politique qui s'avère d'ores et déjà criminelle. Responsables, mais pas coupables.

Des nouvelles préoccupantes à quelques semaines de la COP26

L'  Accord de Paris avait été à juste titre critiqué pour le manque d'obligations des Etats à respecter leurs objectifs. Aucune contrainte, ou sanction. Croire sur parole les objectifs affichés des Etats (Nationally Determined Contributions, NDC), objectifs qu'ils sont tenus de mettre à jour sur des périodes trop éloignées (tous les 5 ans), c'est bien évidemment faire fausse route. Qui aujourd'hui fait des projets sans vérification ni objectifs intermédiaires ? Qui ne serait pas sanctionné sans atteinte de ces objectifs dans un autre cadre ? Personne. Sauf les Etats.

La semaine dernière, l' ONU a sorti un rapport alarmant qui met en exergue le retard sur les promesses d'effort des Etats :

Les NDC disponibles de l'ensemble des 191 parties impliquent une augmentation considérable des émissions mondiales de GES en 2030 par rapport à 2010, d'environ 16 %. Selon les dernières conclusions du GIEC, une telle augmentation, si des mesures ne sont pas prises immédiatement, pourrait entraîner une hausse de la température d'environ 2,7 °C d'ici la fin du siècle.

Source : Rapport CCNUCC Sept. 2021

Même si les Nations Unies publieront une mise à jour le 25 octobre, quelques semaines avant la COP26 qui aura lieu à Glasgow, les engagements ne sont vraiment pas à la hauteur des enjeux. Il est de plus précisé que « pour éviter les pires aléas climatiques, les émissions mondiales de carbone devaient être réduites de 45% d'ici 2030 pour limiter le réchauffement mondial à +1.5°C. Réduire de 45%, quand les promesses (promesses !) vous emmènent vers +16%...

Toujours les même retardataires...

Comme pour chaque COP, les négociations, ont lieu plusieurs mois en amont. Nul doute que des pays comme l'Australie, la Chine, L'Inde ou le Brésil ont bien compris l'intérêt de traîner des pieds. Aux yeux de leurs dirigeants, le profit à court terme justifie de ne pas de répondre au changement radical, pourtant désormais explicitement cité par les Nations Unies.

Les pays qui n'ont rien déclaré, ou déclaré des mesures insuffisantes, sont pressés de le faire... Mais finalement, sans obligations ou sanctions, vous faites un peu ce que vous voulez. Ce qui vous arrange.

Source :  Climate Action Tracker

Respecter les engagements climatiques de l'Accord de Paris semble bien mal embarqué. A commencer par l'  article 2. Très loin de vouloir limiter le réchauffement global à +1.5°C, nos promesses nous emmènent bien au-delà de +2°C. Rappelons encore une fois que la différence entre +1.5 et +2°C, c'est plusieurs centaines de millions de personnes touchées. Ce n'est pas moi qui le dit,  mais le GIEC.

Chaque année, les efforts à faire deviennent plus importants que l'année précédente. Cette inaction nous conduit à une situation où nous demandons l'impossible aux politiques et citoyens, et où nous demanderons pourquoi  des millions de personnes souhaitent migrer.

Retour à l'anormale

Lorsque vous suivez quotidiennement l'actualité climatique, il faut avoir le cœur bien accroché, un mental d'acier, et surtout, accepter que les bonnes nouvelles sont plutôt rares.

Beaucoup se sont félicités de l'arrivée de Biden pour le climat. Mais 2 jours après la sortie du rapport du GIEC, il a  demandé à l'OPEP d'augmenter la production de pétrole ! La demande mondiale de pétrole pourrait d'ailleurs revenir à son niveau d'avant la pandémie dès l'an prochain, en dépassant à nouveau  les 100 millions de barils par jour. Le monde d'après.

En Europe, les Allemands, « de vrais écolos », vont faire marcher leurs usines de charbon jusqu'en 2038. Les belges sortent du nucléaire pour le remplacer par du gaz. Au Royaume-Uni, un ministre dit que les gens doivent  continuer à prendre l'avion pour baisser leurs émissions (!!). En France, nous avons la ministre de l'environnement qui a eu  le culot de se vanter de faire mieux que les objectifs de la SNBC...objectifs qui avaient été rehaussés au moment de la SNBC2. Quand vous n'arrivez pas à sauter une barrière, passez sur le côté. C'est ce qu'a également bien compris Emmanuel Macron, adepte de la neutralité carbone en 2050 :

Source :  Twitter

Sans surprise, palme d'or l'Australie et BHP, qui prolonge l'  exploitation d'une mine de charbon jusqu'en 2056. Pour la neutralité carbone en 2050, il faudra repasser.

Une addiction fatale

Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, il n'y a pas 150 solutions : mettre fin à notre addiction aux énergies fossiles.  Welsby & al. nous disent que « pour conserver 50% de chance d'arriver à une température de +1.5 °C, 90 % du charbon et 60 % du pétrole et du gaz connus doivent rester dans le sol ». Il faudra penser à en informer la Chine. Xi Jinping, qui avait annoncé la neutralité carbone de la Chine d'ici 2060, a annoncé le 4 août dernier  la réouverture de 15 mines situées dans le nord et l'ouest du pays.

Nous sommes complètement addict aux énergies fossiles. L'urgence absolue, c'est pourtant de s'en séparer. Même si les industriels fossiles ont le culot de  demander des milliards aux Etats car ils vont perdre du profit. La solution est évidente : chaque promesse d'un Etat pour atteindre la neutralité carbone en 2050 devrait être accompagnée d'un plan d'engagement de réductions annuelles, y compris dans les  services publics. Tout le reste n'est que du greenwashing, des  discours d'inaction climatiques où l'on joue les champions du climat sans aucune mesure concrète derrière.

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Les énergies fossiles transforment notre monde, pour le meilleur, et surtout pour le pire. Cela ne devrait ni surprendre, ni choquer. La géopolitique du climat n'est pas un monde de bisounours : chacun est là pour défendre ses intérêts, ses exportations de matières premières. Que certains pays comme l'Arabie Saoudite (entre autres) sabotent les négociations climatiques est un secret de polichinelle. Nous pourrions en revanche être beaucoup plus choqués du silence de la France (et du reste de l'UE) lors des négociations ! Mais que voulez-vous, on a des rafales à vendre, et si possible,  des sous-marins à refourguer.

Neutralité carbone en 2050 et enfumage technologique

Depuis plus de 20 ans, on nous promet des innovations technologiques qui vont révolutionner le monde et solutionner le réchauffement climatique. Evidemment, depuis plus de 20 ans, aucune révolution en vue. La plupart des innovations n'ont pas eu les effets escomptés, parfois même rattrapées par  les différents effets rebonds.

Pourtant, devinez ce qui fait régulièrement la une ? Ces mêmes pseudo-avancées technologiques. Tantôt la capture carbone, parfois  la fusion... pour toujours les mêmes conséquences : rassurer (tromper) les français(e)s, qui finalement n'auront pas vraiment à changer leurs habitudes, puisque la production s'adaptera et deviendra 'propre'. La mauvaise nouvelle, c'est qu'on ne pourra compter sur la fusion qu'après avoir décarboné nos économies. Donc après 2050.

Net-zéro 2050 : la promesse intenable

Une confusion persiste sur les termes zéro émissions et le niveau net zéro. Ce que vise la neutralité carbone, c'est bien le niveau net zéro : « un état d'équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine et leur retrait de l'atmosphère par l'homme ou de son fait«. Cela ne veut donc pas dire ne pas émettre, mais compenser autant que les émissions émises.

Cela veut bien dire que vous pourriez potentiellement continuer à augmenter les émissions de gaz à effet de serre si vous trouviez un moyen de les compenser. C'est ici l'un des dangers de cette fameuse neutralité carbone 2050, atteinte par des innovations technologiques ou le fait de planter des arbres. Ce type de scénario est mis en avant dans l'  Accord de Paris, et par  les différents scénarios du GIEC, y compris le seul qui nous permettrait de limiter le réchauffement à +1.5°C.

C'est bien évidemment un scandale, puisque ni  la plantation d'arbres ni  la séquestration et capture du carbone ne sont à la hauteur de leurs promesses. C'est comme cela qu'on se retrouve avec des apprentis-sorciers qui veulent injecter des aérosols dans la stratosphère ( SAI). Pour info, voici à quoi ressemble l'effort à faire pour limiter le réchauffement à +1.5°C, sans miracle technologique :

Source : @Peters_Glen

Les dirigeant(e)s, en refusant d'agir, préfèrent jouer notre avenir et ceux de nos enfants à la roulette russe.

La supposée neutralité carbone des entreprises en 2050

La neutralité carbone en 2050 devenant un élément de langage que vous pouvez revendre à vos clients/investisseurs, il n'est pas étonnant de voir de plus en plus d'entreprises la déclarer. Pourtant, cela n'a aucun sens sur le plan physique : le CO2 n'a pas de frontières.

Il est également très intéressant de regarder de près le plan mis en place par une entreprise lorsqu'elle s'annonce « neutre en carbone en 2050, voire avant ». Que ce soit sur la baisse d'émissions (qui oublie très souvent le scope 3) ou sur la compensation (avec des forêts susceptibles de brûler, comme en Californie), toutes les annonces de neutralité carbone des entreprises depuis 2 ans ont été du greenwashing. Toutes. Netflix, aéroport de Nice, Total, etc.

Le changement de stratégie de communication des entreprises à l'approche de la COP26 dans moins de deux mois souligne l'importance de rester sur ses gardes. Pour toutes d'ailleurs, que ce soit les industriels fossiles, ou encore  les banques. Elles sont très actives sur les réseaux sociaux, notamment  Linkedin,  Twitter et  Instagram. Rien de tel pour soulager les dépenses d'un consommateur : « nous serons neutres en carbone en 2050, vous pouvez continuer à consommer ! ».

L'exemple récent le plus éloquent est très certainement  News Corp. Alors qu'ils ont pendant des années joué le jeu du climatoscepticisme, ils vantent désormais les mérites de la neutralité carbone en 2050. Un peu comme si Manuel Valls commençait à s'intéresser à un sujet : c'est que ça ne sent vraiment pas bon.

Le mot de la fin

Faire une promesse de neutralité carbone en 2050 n'a aucune valeur si elle n'est pas accompagnée d'un plan précis et de mesures radicales à court terme prises dès maintenant pour y parvenir. Les dirigeant(e)s ont beau multiplier les beaux discours, la réalité est toute autre. Des émissions de GES reparties de plus belle dès que la vaccination a été généralisée (dans les pays du Nord), des dirigeants incapables de courage politique et qui « en même temps »  augmentent la répression des mouvements écologistes partout dans le monde. Si vous n'étiez pas au courant,  un militant écologiste meure tous les 4 jours depuis l'Accord de Paris, en défendant simplement le peu de terres qui n'ont pas encore été exploitées. Violence légitime, hum ?

Notre addiction aux énergies fossiles doit être soignée et le plus rapidement possible. Faire uniquement confiance aux promesses des Etats et entreprises est une erreur. Faire confiance aux marchés est une erreur. Il faut des lois, des restrictions. Pour certains, ces mesures ressembleront à de l'  écologie punitive. Mais la punition est déjà en cours : effondrement de la biodiversité, catastrophes climatiques en chaîne, avec  des dégâts d'ores et déjà irréversibles.

Les dirigeants du monde entier ont le devoir de faire plus lors de la COP26. De faire mieux que des promesses qu'ils ne tiendront jamais, ou de jouer l'avenir de la planète sur des promesses technologiques. Le devoir moral de ne pas laisser une  Terre inhabitable pour une partie de l'humanité dans les années à venir. Si la plupart des décideurs ne seront plus là pour être jugés, pouvoir prendre sa retraite autrement qu'avec  50 degrés l'été en France ne serait pas de trop.

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