24/02/2022 arretsurinfo.ch  19 min #202668

Crise ukrainienne : la Russie reconnaît les républiques autoproclamées du Donbass

De la rébellion à la sécession

Par  Natalia Routkevitch - Le 22 février 2022

Dans la nuit du 22 février 2014, le parlement ukrainien vote la destitution du président Ianoukovitch, nonobstant le fait que, la veille, ce dernier a signé l'accord avec l'opposition prévoyant une sortie de la crise politique.

Cet accord est signé également par les représentants officiels de la France, l'Allemagne, la Pologne et la Russie qui sont les garants de sa mise en œuvre.

Néanmoins, malgré les clauses de l'accord qui exigent que les deux parties renoncent à la violence, Ianoukovitch est pris à partie, menacé, et craignant pour sa vie, quitte le pays le soir même.

Ce jour-ci, le processus de la désintégration de l'État ukrainien, tel qu'il a surgi en 1991, est lancé

La reconnaissance de la DNR et la LNR par la Russie, huit ans plus tard, est une conséquence des événements du février 2014 et du nouvel ordre qui est né ce jour-ci.

Comment cela s'est produit? Pourquoi une partie de l'Ukraine est entrée en rébellion contre le gouvernement central? Etait-ce un fait d'une infime minorité, des « terroristes » pilotés par Moscou, qui, depuis, tiennent la population du Donbass en otages, comme l'affirme le gouvernement ukrainien (qui lance, dès 2014, une opération antiterroriste contre les rebelles)?

Pour le comprendre, il faut écouter les habitants de ces territoires.

Ci-joint, un petit retour en arrière, sur huit ans du conflit, et quelques extraits d'un long entretien avec le président de la DNR, Denis Pouchiline, dont le récit mérite d'être pris en considération par ceux qui voudraient creuser ce sujet terriblement compliqué et douloureux.

L'entretien a été réalisé cet été, quand l'espoir de voir Minsk-2 aboutir n'était pas encore abandonné. Tout en gardant du recul par rapport à ce récit, on peut toutefois comprendre aisément pourquoi, pour de nombreux habitants de ces territoires, le 22 février 2022 est un jour d'espoir, après huit ans très sombres.

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Le 22 février 2014, à l'issue d'un long mouvement protestataire appelé « Euro-Maïdan », le régime du président Ianoukovitch est renversé et les forces issues de cette mobilisation, résolument pro-occidentales et très critiques vis-à-vis de la Russie, s'emparent du pouvoir à Kiev.

Acclamée dans l'ouest de l'Ukraine, la révolution de Maïdan suscite la méfiance dans l'est et le sud du pays. Dans ces régions russophones et russophiles, beaucoup y voient un coup d'État et une remise en cause des résultats des élections démocratiques de 2010, qui avaient porté au pouvoir Ianoukovitch, lui-même originaire du Donbass (1). De nombreux habitants de ces régions n'ont pas confiance dans le gouvernement né du Maïdan qui comprend des personnalités peu consensuelles et dont la première décision est de faire voter au Parlement une loi supprimant le statut du russe comme langue régionale.

Bien que cette décision n'ait pas été finalement promulguée par le chef du gouvernement, le mal était fait : une grande partie des russophones estiment que des nationalistes qui leur sont hostiles ont pris le pouvoir à Kiev.

De la même manière que les pro-Maïdan étaient descendus dans la rue pour manifester leur opposition à Ianoukovitch et avaient occupé des immeubles officiels à Kiev et dans d'autres villes du Centre et de l'Ouest, les anti-Maïdan du Sud et de l'Est investissent les sièges des administrations régionales pour dénoncer le coup d'État et, parfois, exiger leur autonomie, voire un rattachement direct à la Russie.

En Crimée, les choses évoluent très rapidement. En réponse à l'appel du Parlement local de cette république autonome (qui avait fait partie de la Russie jusqu'en 1954, année où elle fut transférée par Nikita Khrouchtchev à l'Ukraine dans le cadre de l'URSS), les unités militaires russes, déjà présentes sur place en vertu des accords russo-ukrainiens sur la base navale de Sébastopol, se déploient sur le territoire de la péninsule.

Un référendum est organisé dès le 16 mars : selon les résultats officiels, 96,7 % des votants se prononcent en faveur du rattachement à la Russie, lequel est rapidement entériné par Moscou. La communauté internationale ne reconnaît pas cette consultation et s'élève contre une annexion qui viole le principe d'intangibilité des frontières. De son côté, la Russie invoque l'exemple très récent de l'indépendance du Kosovo en 2008, proclamée par une décision du Parlement local, sans référendum, et reconnue à ce jour par 93 pays dont, entre autres, les États-Unis, la France ou l'Allemagne.

À Donetsk et à Lougansk, deux métropoles du sud-est de l'Ukraine, le rattachement de la Crimée est perçu par une partie de la population comme l'occasion de demander également leur intégration à la Fédération de Russie. Ces régions, majoritairement peuplées de Russes ethniques, sont, pour une large part, les héritières de la Novorossia (Nouvelle-Russie), un territoire qui a appartenu à l'Empire russe depuis les guerres russo-turques du XVIIIe siècle jusqu'à la révolution de 1917, avant d'être partagé entre les républiques socialistes soviétique d'Ukraine et de Russie.

Début avril, les militants pro-russes occupent les sièges des administrations régionales et d'autres bâtiments importants de Donetsk et Lougansk. Ils réclament des référendums d'indépendance.

Kiev ne l'entend pas ainsi. Le 13 avril, le gouvernement lance contre les séparatistes une vaste opération dite « antiterroriste ». Les échauffourées se transforment en véritables combats. C'est le début de la guerre dans le Donbass.

Le 12 mai 2014, des scrutins sont organisés dans les zones de Donetsk et Lougansk tenues par les séparatistes. Une seule question est posée aux habitants : « Soutenez-vous l'acte d'indépendance étatique de la république populaire de Donetsk/Lougansk ? » Les votants répondent oui à plus de 89 % dans la DNR, à plus de 96 % dans la LNR. Un projet d'État fédéral de Nouvelle-Russie est formé par les deux républiques (ce projet ne verra pas le jour, pour ne pas entraver la réalisation des accords de Minsk).

Les résultats de ces référendums n'ont été à ce jour reconnus par aucun État, pas même par la Russie qui ne semble pas vouloir opter ici pour le même scénario qu'en Crimée et dit ne pas souhaiter intégrer ces territoires. Si de nombreux observateurs internationaux pointent le soutien militaire russe aux sécessionnistes (2), ces derniers affirment ne recevoir de Moscou qu'une aide humanitaire et diplomatique.

Faute de pouvoir écraser la révolte, Kiev, qui subit des pertes importantes, doit se résoudre à négocier avec les républiques auto-proclamées. En septembre 2014, puis en février 2015, les accords de paix Minsk-1 et Minsk-2 voient le jour (3).

Les armes lourdes sont retirées de la ligne de contact et le conflit baisse d'intensité, mais les combats ne s'arrêtent pas pour autant. En sept ans, plus de 13 000 personnes ont été tuées, plus de 1,5 million déplacées, des milliers d'immeubles détruits, une bonne partie des infrastructures significativement endommagées.

Le dialogue entre les deux parties semble toujours au point mort, et le conflit risque de s'embraser de nouveau à tout moment, avec des répercussions pour l'Europe entière.

Pourquoi les belligérants n'arrivent-ils pas à s'entendre et à mettre fin à ce conflit fratricide ? À quoi aspirent les habitants des républiques auto-proclamées, comment voient-ils leur avenir ? Leurs dirigeants sont-ils téléguidés par Moscou, comme l'affirme Kiev, ou représentent-ils, comme ils le clament, les intérêts et l'identité de la population de cette « autre Ukraine », bien différente de celle qu'on a vue place Maïdan ?

Au-delà des questions immédiates de l'indispensable pacification, ce qui se passe dans le Donbass pose une question plus large : celle de la viabilité de l'Ukraine en tant qu'État unitaire et centralisé.

Apparue en tant qu'État dans ses frontières actuelles en 1991, l'Ukraine a longtemps été divisée entre une partie occidentale rattachée à l'Autriche (jusqu'en 1919) puis à la Pologne (jusqu'en 1939), et une partie orientale intégrée dans l'Empire russe (depuis le XVIIe siècle). Ces deux Ukraine ont coexisté, depuis 1939, avec leurs spécificités, dans le cadre de la même république socialiste soviétique d'Ukraine, et se sont retrouvées au sein d'un État unitaire indépendant à la chute de l'Union. Mais la culture, les aspirations et la langue ne sont pas identiques dans l'Est et dans l'Ouest.

Denis Pouchiline (né en 1982 dans le Donbass), dénué d'expérience politique notable avant 2014, est l'un des ceux qui prennent la tête de la révolte anti-Maïdan en avril 2014. Il occupe entre 2014 et 2018 le poste de président du Parlement de la DNR et la représente lors des pourparlers du Groupe de contact trilatéral (4). Après l'assassinat, en août 2018, dans des circonstances troubles, du premier président de la DNR, Alexandre Zakhartchenko, il est élu président de la DNR, lors du scrutin organisé le 11 novembre 2018.

  1. R.

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- Pourquoi le renversement du président Ianoukovitch, le 22 février 2014, a-t-il suscité un mouvement de protestation d'une telle ampleur et d'une telle intensité dans le sud et l'est de l'Ukraine ?

- À l'hiver 2013-2014, je me suis moi-même rendu place Maïdan à Kiev. Je voulais voir les manifestations de mes propres yeux. Ce que j'ai trouvé n'était guère réjouissant : une foule débridée, affranchie de toute limite, l'ensauvagement, un sentiment de toute-puissance...

Il était évident que les habitants de Donbass ne pouvaient pas soutenir ce mouvement. Nous avons toujours été proches de la Russie, des valeurs traditionnelles du Monde russe. Les objectifs de l'EuroMaïdan nous étaient pour la plupart étrangers - surtout après l'apparition, dans les rangs des protestataires, des activistes de « Secteur droit » (5), avec leurs slogans ultra-nationalistes, tels que « l'Ukraine aux Ukrainiens » ou « l'Ukraine au-dessus de tout ».

Les habitants de notre région sont descendus dans la rue immédiatement après le coup d'État à Kiev, le 22 février 2014. D'autant que, le lendemain, la Rada a adopté un texte qui faisait de la langue ukrainienne la seule langue officielle de l'État, en excluant le russe.

Le Sud-Est l'a ressenti comme un affront, comme une atteinte aux droits de la population russophone. Outre Donetsk et Lougansk, l'agitation populaire s'est étendue à Kharkov, Zaporijia et Odessa : partout, les gens exigeaient que Kiev prenne en compte leurs intérêts. Sur les affiches des manifestants on pouvait lire : « le Donbass, c'est la Russie », « le russe est notre langue maternelle » et « le Donbass veut un référendum ». Ils espéraient faire valoir leurs droits, du moins au niveau de notre région, mais Kiev n'a pas cédé...

- Les référendums sur l'indépendance organisés en mai 2014 en DNR et en LNR n'ont été reconnus par aucun État. Par ailleurs, le taux de participation extrêmement élevé et l'écrasante victoire du « oui » ont éveillé la méfiance des observateurs... Comment expliquer une telle unanimité ?

- La principale raison de cette unanimité est la politique agressive de Kiev à l'égard du Donbass, qui date même d'avant 2014. Il faut bien comprendre que, ici, nous nous sommes toujours considérés comme des Russes. Après l'effondrement de l'URSS, la région n'est jamais devenue ukrainienne, bien qu'elle ait été soumise à une ukrainisation forcée pendant 23 ans. Toutes les publicités étaient censées être uniquement en ukrainien, les films projetés dans les cinémas étaient doublés en ukrainien, et il y avait de moins en moins d'écoles où le russe était la langue d'enseignement. On rognait depuis longtemps sur les droits des russophones, en essayant de nous imposer une langue qui n'était pas la nôtre (6).

Avec le coup d'État de février 2014, qui ne présageait rien de bon pour nous, la patience des habitants du Donbass a atteint ses limites. Nous avons proclamé la république populaire de Donetsk le 7 avril et avons fixé la date du référendum. Quelques jours plus tard, le président ukrainien par intérim, Tourtchinov, a lancé contre nous une « opération antiterroriste » : concrètement, cela signifie que l'armée a été envoyée pour réprimer des civils ! Il s'agissait d'une violation de toutes les normes internationales et de la Constitution ukrainienne. La Loi fondamentale dit clairement que l'armée ukrainienne ne peut être utilisée que contre un agresseur extérieur, mais pas contre ses propres citoyens. C'est ainsi que la guerre civile a commencé.

- La tragédie d'Odessa (7) a sans doute eu un impact important sur l'état d'esprit des sécessionnistes...

- Tout à fait, même si ce ne fut pas le seul événement tragique de cette période. Je rappelle brièvement les faits : le 2 mai, à Odessa, des radicaux pro-Maïdan ont massacré 48 opposants au coup d'État. La majorité d'entre eux ont été brûlés vivants dans la Maison des syndicats ; 250 personnes ont été blessées. Une semaine plus tard, le jour de la Victoire, dans la ville de Marioupol, les militants de « Secteur droit » ont lancé des chars contre des civils qui célébraient cette fête très importante pour nous, tuant plus de 20 personnes. Ces violences inouïes, sans précédent dans l'histoire récente du pays, ont constitué un point de non-retour pour les habitants du Donbass. C'est ce qui explique le résultat sans appel du référendum. La majorité de mes concitoyens ne voulaient pas vivre dans un tel pays et avoir pour compatriotes leurs bourreaux.

- Qui sont les habitants du Donbass ? S'agit-il de Russes ethniques, d'Ukrainiens qui parlent principalement le russe, ou de personnes ayant une conscience nationale spécifique ?

- Le Donbass s'est formé comme un centre industriel de l'Empire russe. L'année en cours marque le tricentenaire de cette révolution industrielle. En effet, c'est en 1721 que l'explorateur russe Grigori Kapoustine a découvert des mines de charbon dans la province de Voronej (une province de l'Empire russe qui comprenait une partie du Donbass actuel). Ces mines sont devenues le cœur de l'industrie de la région.

Dans les décennies suivantes, les mines du Donbass ont attiré de nombreux travailleurs de tous les coins de l'Empire russe puis de l'Union soviétique. Les gens qui se sont installés ici ont un profil assez spécifique : ce sont des personnes fortes, qui ne craignent pas de travailler dur dans des conditions difficiles et qui ont le goût du risque.

Prenons l'exemple de ma famille. Les ancêtres de mon père venaient des environs de Voronej, et ceux de ma mère d'Ouzbékistan, qui faisait alors partie de l'Union soviétique. Le Donbass est multi-ethnique : des gens d'origines extrêmement variées vivent ici en paix ; il n'y a jamais eu d'inimitié ni de discorde entre les multiples ethnies qui composent la région. La langue et la culture russes étaient ce ciment qui nous unissait. De nombreux Grecs, Juifs, Tatars ou autres qui résident ici se considèrent comme russes ; nous avons tous été formés dans cette culture.

C'est une région industrieuse, qui a toujours été fière de ses succès. À la veille du conflit, 23,3 % des exportations de l'Ukraine provenaient du Donbass, la région apportant la contribution la plus importante au PIB de l'Ukraine.

- Depuis 2014, les hostilités n'ont jamais vraiment cessé, s'apaisant de temps en temps pour reprendre de plus belle. Quelle est votre estimation du nombre de morts, de blessés et de sans-abri du côté de la DNR ?

- Depuis le début du conflit armé, 4 994 personnes ont été tuées dans la DNR, dont 91 enfants. 9 348 personnes, dont 2 153 enfants, ont été blessées et souffrent de traumatismes à des degrés divers. En outre, plus de 23 000 maisons individuelles et près de 5 000 immeubles ont été détruits. L'artillerie ukrainienne anéantit délibérément nos infrastructures. Dans certains hôpitaux, nous avons dû remplacer les vitres brisées à deux ou trois reprises. Un certain nombre d'écoles et de jardins d'enfants ont également été bombardés, et il est arrivé que des élèves soient tués par des éclats d'obus dans l'enceinte même des établissements scolaires.

Dernièrement, en avril 2021, un garçon de cinq ans qui jouait dans la cour devant sa maison a été tué par un engin explosif qui avait été largué depuis un drone ukrainien (9). Ce fut un nouveau choc pour nous tous.

- En 2014, le président Porochenko a déclaré à propos du Donbass : « Nous aurons des emplois, ils n'en auront pas. Nous aurons des retraites, ils n'en auront pas. Nous aurons des soins pour nos habitants, ils n'en auront pas. Nos enfants iront dans des écoles, les leurs vont devoir se terrer dans des sous-sols. Ils ne savent pas se débrouiller seuls. Et c'est ainsi que nous gagnerons cette guerre. » Cela signifie-t-il que, depuis 2014, le Donbass est livré à lui-même ? Comment fonctionnent les écoles, les hôpitaux, les tribunaux, l'administration territoriale, les transports, les médias ?

- Au printemps 2014, toutes les institutions gouvernementales ukrainiennes, y compris les services publics, ont, sur ordre de Kiev, cessé de travailler. À l'été, il n'y avait plus une seule banque ou un seul distributeur en état de marche. Les habitants des républiques se sont retrouvés sans moyens de subsistance, les personnes âgées sans retraites et les personnes vulnérables sans prestations sociales. La menace d'une catastrophe humanitaire était imminente.

De mai à juillet, malgré des combats très intenses, nous avons formé, de manière accélérée, notre propre administration à Donetsk. En un temps record, un gouvernement opérationnel a été mis sur pied, mais il n'y avait rien pour remplir les caisses ; de nombreuses entreprises avaient cessé de fonctionner à cause des bombardements.

C'est à ce moment critique que des dizaines de camions KamAZ blancs chargés de nourriture sont arrivés dans le Donbass en provenance de Russie, ce qui a permis d'éviter la famine. Ils nous apportaient également des matériaux de construction pour reconstruire les bâtiments détruits : l'hiver approchait, et il fallait au moins colmater les circuits de chauffage. Pendant toutes les années du conflit, la Russie a envoyé plus d'une centaine de convois humanitaires, et les habitants du Donbass lui sont à jamais reconnaissants pour son aide.

En décembre 2014, la République a créé son propre fonds de pension et a commencé à verser des retraites et des prestations sociales ; mais leur montant était, au début, assez insignifiant. Certains ont pu toucher leurs retraites en Ukraine également. Cela s'est avéré difficile : le fonds de pension ukrainien exigeait que les retraités en question soient domiciliés sur le territoire contrôlé par Kiev. Il leur fallait aussi apporter la preuve qu'ils y avaient résidé suffisamment longtemps. Tous n'étaient pas en mesure de remplir ces conditions, sans parler des citoyens souffrant d'un handicap physique qui les empêchait de se déplacer pour enregistrer leur domicile ailleurs.

Kiev a volontairement compliqué la procédure. Toutes nos propositions visant à organiser un processus de transfert des retraites dans la DNR, y compris par le biais d'organisations internationales, ont été rejetées. C'est une violation flagrante des droits des retraités, qui a été soulignée à plusieurs reprises par le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (10).

- La Russie a toujours nié toute implication de ses forces armées sur le terrain. On a pourtant du mal à croire que la DNR et la LNR soient capables de se passer d'une assistance extérieure...

- Nos combattants ont courageusement résisté aux forces armées ukrainiennes dans les phases les plus sanglantes de la guerre, à l'été et à l'automne 2014 et à l'hiver 2015. Non seulement les défenseurs du Donbass ont tenu bon, mais ils ont également pris le dessus. Piégées dans les « chaudrons » d'Izvarino, d'Ilovaïsk et de Debaltsevo, les unités ukrainiennes ont été vaincues et nous nous sommes emparés de grandes quantités d'armes appartenant à l'ennemi. Kiev a été contraint d'accepter de s'asseoir à la table des négociations.

La principale raison de nos victoires tient à l'état d'esprit de nos combattants. Nous défendons nos terres, nos maisons, nos familles. Nous sommes forts car nous sommes convaincus que notre cause est juste.

En outre, nous sommes bien conscients des conséquences dramatiques d'une éventuelle prise de contrôle de nos républiques par l'Ukraine. Le gouvernement de Kiev n'a toujours pas adopté de loi d'amnistie, ce qu'imposent pourtant les accords de Minsk.

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- Pourquoi, à votre avis, n'arrive-t-on pas à mettre en œuvre les accords de paix conclus en 2015(14) ?

- Les accords de Minsk ont mis fin à la phase la plus meurtrière de la guerre. Les parties ont commencé à retirer les armements lourds, et les bombardements et le nombre de victimes civiles ont considérablement diminué. Ensuite, il fallait passer au règlement des questions politiques, ce qui impliquait, avant tout, d'accorder à la DNR et à la LNR un statut spécial. L'Ukraine a adopté une loi en ce sens, mais elle n'a jamais été promulguée.

Afin de ne pas être accusés d'obstruction, les représentants de l'Ukraine au sein du Groupe de contact trilatéral ont choisi de jouer la montre. Toutes nos initiatives ont été bloquées. Et même si, au terme de longues discussions, on parvenait à s'entendre, par exemple sur une trêve, la partie ukrainienne violait les accords. Au total, 22 trêves ont été conclues, qui ont toutes duré de quelques semaines à quelques jours : chaque fois, l'armée ukrainienne reprenait ses tirs d'obus, causant des pertes humaines.

Dès qu'il y avait le moindre progrès dans le processus de négociation, les nationalistes ukrainiens proféraient des menaces contre les autorités de Kiev. Or celles-ci prêtent toujours l'oreille à ce mouvement nationaliste agressif qui leur impose la plus grande intransigeance.

Nous avons proposé à plusieurs reprises que les accords soient consignés par écrit après chaque réunion afin que les parties soient tenues pour responsables de leur non-application. De même, nous avons suggéré que les négociations soient publiques, pour que chacun se rende compte du comportement de la délégation ukrainienne. Hélas, Kiev s'y refuse, ce qui montre bien que l'Ukraine ne veut pas mettre en œuvre les accords de Minsk.

Je pense que les garants des accords de Minsk doivent faire pression sur la partie qui ne respecte pas le Paquet de mesures. Celle-ci devrait être tenue responsable de la violation de ces accords approuvés par le Conseil de sécurité de l'ONU.

- Sept ans après le début du conflit, comment les habitants du Donbass perçoivent-ils l'Ukraine et, inversement, que pensent les Ukrainiens du Donbass ? Le retour de la DNR et de la LNR dans le giron de l'Ukraine est-il envisageable ? À quelles conditions ?

- Kiev n'a cessé de creuser le fossé qui nous sépare. Le sang et les larmes versés n'offrent pas une base solide pour établir des relations de bon voisinage. Et puis, bien sûr, le clivage idéologique est très fort. C'est, en fin de compte, le cœur de la confrontation ; et, au cours des sept dernières années, le décalage s'est encore accentué.

Ainsi, les autorités ukrainiennes donnent à des rues des noms de criminels de guerre et de personnes ayant collaboré avec les nazis (15)), alors que des symboles de l'époque soviétique sont interdits et les monuments détruits. Des gens peuvent être arrêtés pour avoir porté un ruban de Saint-Georges, qui est pour nous le symbole de la victoire dans la Grande Guerre patriotique. Et, dans le même temps, il n'arrive rien à ceux qui font des saluts nazis... Des néo-nazis organisent des marches aux flambeaux dans les villes ukrainiennes, affichent des symboles hitlériens en toute quiétude. Nous ne comprenons pas comment le monde peut tolérer cette renaissance du fascisme en plein cœur de l'Europe !

Ces contradictions entre nous et l'Ukraine telle qu'elle est aujourd'hui sont insurmontables. Accepter cette vision de l'Histoire, ce serait nous trahir nous-mêmes, trahir nos ancêtres, nos racines. Je ne parle même pas de l'ukrainisation forcée des populations russophones qui est devenue, depuis 2014, encore plus dure. Ce qui se passe en Ukraine nous conforte chaque jour dans la conviction que notre choix de devenir indépendants était complètement justifié.

En outre, plus d'un demi-million d'habitants de la DNR et de la LNR ont déjà obtenu la nationalité russe. La délivrance des passeports de la Fédération de Russie est une mesure humanitaire de la Russie, et nous lui en sommes reconnaissants : elle restaure les droits de nos citoyens.

- À votre avis, que faut-il faire pour pacifier le Donbass ? Comment voyez-vous l'avenir de la DNR : une région autonome au sein de l'Ukraine, une région autonome de la Russie ou un État indépendant reconnu comme tel ?

- Je veux d'abord souligner à quel point nous sommes reconnaissants à la Russie, à la France et à l'Allemagne pour leur implication dans le règlement du conflit. Pendant sept années entières, la guerre au Donbass n'a pas quitté l'agenda des hauts fonctionnaires de ces pays : cela signifie beaucoup pour nous.

Notre plus grand souhait est de vivre en paix. Il est temps d'arrêter cette guerre de manière définitive et irrévocable. Nous espérons une participation active des pays garants des accords de Minsk à ce processus. Quant à l'avenir, je ne peux que répéter ce que j'ai déjà dit : les habitants du Donbass, se fondant sur le droit à l'autodétermination des peuples, veulent pouvoir décider de leur propre destin. Puissent-ils être entendus par l'ensemble de l'humanité progressiste.

 Natalia Routkevitch

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