04/03/2022 les-crises.fr  15 min #203224

Amnesty International : « l'apartheid israélien est une réalité incontournable »

L'apartheid d'Israël contre les Palestiniens : un système cruel de domination et un crime contre l'humanité

L'apartheid d'Israël contre les Palestiniens : un système cruel de domination et un crime contre l'humanité.

Source :  Amnesty International
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

© Said Khatib/AFP/Getty Images

Les autorités israéliennes doivent être tenues de rendre des comptes pour avoir commis le crime d'apartheid contre les Palestiniens, a déclaré Amnesty International aujourd'hui dans un nouveau rapport accablant. L'enquête montre en détail comment Israël applique un système d'oppression et de domination contre le peuple palestinien partout où il exerce un contrôle sur ses droits. Cela inclut les Palestiniens vivant en Israël et dans les territoires palestiniens occupés (TPO), ainsi que les réfugiés déplacés dans d'autres pays.

Le rapport complet -  L'apartheid d'Israël contre les Palestiniens : un cruel système de domination et un crime contre l'humanité - montre comment les saisies massives de terres et de biens palestiniens, les homicides illégaux, les transferts forcés, les restrictions drastiques à la circulation, le déni de la nationalité et de la citoyenneté des Palestiniens sont autant d'éléments d'un système qui relève de l'apartheid au regard du droit international. Ce système est maintenu par des violations qui, selon Amnesty International, constituent un apartheid relevant d'un crime contre l'humanité, tel que défini dans le Statut de Rome et la Convention sur l'apartheid.

Amnesty International demande à la Cour pénale internationale (CPI) de prendre en compte le crime d'apartheid dans l'enquête qu'elle mène actuellement dans les TPO et appelle tous les États à exercer leur compétence universelle afin de traduire en justice les auteurs des crimes d'apartheid.

Notre enquête révèle la véritable ampleur du régime d'apartheid israélien. Qu'ils vivent à Gaza, à Jérusalem Est et dans le reste de la Cisjordanie, ou en Israël même, les Palestiniens sont traités comme un groupe racial inférieur et systématiquement privés de leurs droits. Nous avons constaté que les politiques cruelles de ségrégation, de dépossession et d'exclusion menées par Israël dans tous les territoires qu'il contrôle relèvent clairement de l'apartheid. La communauté internationale a l'obligation d'agir.

Agnès Callamard, secrétaire générale d'Amnesty International

« Il n'y a aucune justification possible pour un système construit autour de l'oppression raciste institutionnalisée et prolongée de millions de personnes. L'apartheid n'a pas sa place dans notre monde, et les Etats qui choisissent de faire des concessions à Israël se retrouveront du mauvais côté de l'histoire. Les gouvernements qui continuent à fournir des armes à Israël et à le protéger de toute responsabilité au sein des Nations Unies soutiennent un système d'apartheid, sapent l'ordre juridique international et exacerbent les souffrances du peuple palestinien. La communauté internationale doit faire face à la réalité de l'apartheid israélien et explorer les nombreuses voies de la justice qui restent honteusement inexplorées. »

Les conclusions d'Amnesty International s'appuient sur les travaux de plus en plus nombreux d'ONG palestiniennes, israéliennes et internationales, qui appliquent de plus en plus le cadre de l'apartheid à la situation en Israël et/ou dans les TPO.

Identifier l'apartheid

Un système d'apartheid est un régime institutionnalisé d'oppression et de domination d'un groupe racial sur un autre. Il s'agit d'une grave violation des droits humains, interdite par le droit public international. Les recherches approfondies et l'analyse juridique d'Amnesty International, menées en consultation avec des experts externes, démontrent qu'Israël applique un tel système aux Palestiniens par le biais de lois, de politiques et de pratiques qui leur assurent un traitement discriminatoire prolongé et cruel.

En droit pénal international, les actes illicites spécifiques qui sont commis dans le cadre d'un système d'oppression et de domination, avec l'intention de le maintenir, constituent le crime contre l'humanité d'apartheid. Ces actes sont énoncés dans la Convention sur l'apartheid et le Statut de Rome, et comprennent les homicides illégaux, la torture, le transfert forcé et le déni des droits et libertés fondamentaux.

Amnesty International a recensé des actes proscrits par la Convention sur l'apartheid et le Statut de Rome dans toutes les zones contrôlées par Israël, même s'ils sont plus fréquents et plus violents dans les territoires palestiniens occupés (TPO) qu'en Israël. Les autorités israéliennes adoptent de multiples mesures pour priver délibérément les Palestiniens de leurs droits et libertés fondamentaux, notamment des restrictions draconiennes à la liberté de circulation dans les TPO, un sous-investissement discriminatoire chronique dans les communautés palestiniennes en Israël, et le déni du droit au retour des réfugiés. Le rapport fait également état de transferts forcés, de détentions administratives, de tortures et d'assassinats illégaux, tant en Israël que dans les TPO.

Amnesty International a constaté que ces actes s'inscrivent dans le cadre d'une attaque systématique et généralisée dirigée contre la population palestinienne, et qu'ils sont commis dans l'intention de maintenir le système d'oppression et de domination. Ils constituent donc le crime d'apartheid contre l'humanité.

L'assassinat illégal de manifestants palestiniens est peut-être l'illustration la plus claire de la façon dont les autorités israéliennes utilisent des actes proscrits pour maintenir le statu quo. En 2018, les Palestiniens de Gaza ont commencé à organiser des manifestations hebdomadaires le long de la frontière avec Israël, réclamant le droit au retour des réfugiés et la fin du blocus. Avant même le début des manifestations, de hauts responsables israéliens ont prévenu que les Palestiniens qui s'approchaient du mur seraient abattus. À la fin de 2019, les forces israéliennes avaient tué 214 civils, dont 46 enfants.

À la lumière des homicides illégaux systématiques de Palestiniens décrits dans son rapport, Amnesty International demande également au Conseil de sécurité des Nations Unies d'imposer un embargo complet sur les armes à Israël. Cet embargo devrait porter sur toutes les armes et munitions ainsi que sur le matériel de maintien de l'ordre, compte tenu des milliers de civils palestiniens qui ont été tués illégalement par les forces israéliennes. Le Conseil de sécurité devrait également imposer des sanctions ciblées, telles que le gel des avoirs, contre les responsables israéliens les plus impliqués dans le crime d'apartheid.

Les Palestiniens traités comme une menace démographique

Depuis sa création en 1948, Israël a poursuivi une politique visant à établir puis à maintenir une majorité démographique juive, et à maximiser le contrôle des terres et des ressources au profit des Israéliens juifs. En 1967, Israël a étendu cette politique à la Cisjordanie et à la bande de Gaza. Aujourd'hui, tous les territoires contrôlés par Israël continuent d'être administrés dans le but d'avantager les Israéliens juifs au détriment des Palestiniens, tandis que les réfugiés palestiniens continuent d'être exclus.

Amnesty International reconnaît que les Juifs, comme les Palestiniens, revendiquent le droit à l'autodétermination, et ne conteste pas la volonté d'Israël d'être un foyer pour les Juifs. De même, elle ne considère pas que le fait qu'Israël se qualifie « d'État juif » indique en soi une intention d'opprimer et de dominer.

Cependant, le rapport d'Amnesty International montre que les gouvernements israéliens successifs ont considéré les Palestiniens comme une menace démographique et ont imposé des mesures visant à contrôler et à réduire leur présence et leur accès aux terres en Israël et dans les TPO. Ces objectifs démographiques sont bien illustrés par les plans officiels visant à « judaïser » des zones d'Israël et de Cisjordanie, y compris Jérusalem Est, qui continuent d'exposer des milliers de Palestiniens au risque de transfert forcé.

Une oppression sans frontières

Les guerres de 1947-49 et de 1967, la domination militaire permanente d'Israël sur les TPO, et la création de régimes juridiques et administratifs distincts au sein du territoire, ont séparé les communautés palestiniennes et les ont isolées des Israéliens juifs. Les Palestiniens ont été fragmentés géographiquement et politiquement, et subissent différents niveaux de discrimination en fonction de leur statut et de l'endroit où ils vivent.

À l'heure actuelle, les citoyens palestiniens d'Israël jouissent de davantage de droits et de libertés que leurs homologues des territoires palestiniens occupés, tandis que l'expérience des Palestiniens de Gaza est très différente de celle des habitants de Cisjordanie. Néanmoins, les recherches d'Amnesty International montrent que tous les Palestiniens sont soumis au même système global. Le traitement réservé par Israël aux Palestiniens dans toutes les régions répond au même objectif : privilégier les Israéliens juifs dans la distribution des terres et des ressources, et réduire au minimum la présence des Palestiniens et leur accès à la terre.

Amnesty International démontre que les autorités israéliennes traitent les Palestiniens comme un groupe racial inférieur, défini par son statut de non-juif et d'arabe. Cette discrimination raciale est cimentée dans des lois qui affectent les Palestiniens en Israël et dans les TPO.

Par exemple, les citoyens palestiniens d'Israël n'ont pas droit à une nationalité, ce qui les différencie juridiquement des Israéliens juifs. En Cisjordanie et à Gaza, où Israël contrôle le registre de la population depuis 1967, les Palestiniens n'ont pas de citoyenneté et la plupart sont considérés comme apatrides, ayant besoin de cartes d'identité de l'armée israélienne pour vivre et travailler dans les territoires.

Les réfugiés palestiniens et leurs descendants, qui ont été déplacés lors des conflits de 1947-49 et de 1967, continuent de se voir refuser le droit de retourner sur leur ancien lieu de résidence. L'exclusion des réfugiés par Israël est une violation flagrante du droit international qui a laissé des millions de personnes dans une situation perpétuelle de déplacement forcé.

Les Palestiniens de Jérusalem Est annexée se voient accorder la résidence permanente au lieu de la citoyenneté - bien que ce statut ne soit permanent que de nom. Depuis 1967, plus de 14 000 Palestiniens ont vu leur résidence révoquée à la discrétion du ministère de l'Intérieur, ce qui a entraîné leur transfert forcé hors de la ville.

Des citoyens de moindre importance

Les citoyens palestiniens d'Israël, qui représentent environ 19% de la population, sont confrontés à de nombreuses formes de discrimination institutionnalisée. En 2018, la discrimination à l'égard des Palestiniens s'est cristallisée dans une loi constitutionnelle qui, pour la première fois, consacre exclusivement Israël comme « État-nation du peuple juif ». Cette loi favorise également la construction de colonies juives et déclasse le statut de l'arabe comme langue officielle.

Le rapport documente la manière dont les Palestiniens sont effectivement empêchés de louer 80 % des terres publiques d'Israël, en raison de saisies racistes de terres et d'un ensemble de lois discriminatoires sur l'attribution, la planification et le zonage des terres.

La situation dans la région du Néguev/Naqab, dans le sud d'Israël, illustre parfaitement la manière dont les politiques de planification et de construction d'Israël excluent intentionnellement les Palestiniens. Depuis 1948, les autorités israéliennes ont adopté diverses politiques visant à « judaïser » le Néguev/Naqab, notamment en désignant de vastes zones comme réserves naturelles ou zones de tir militaire, et en fixant des objectifs d'augmentation de la population juive. Ces mesures ont eu des conséquences dévastatrices pour les dizaines de milliers de Bédouins palestiniens qui vivent dans la région.

Trente-cinq villages bédouins, où vivent environ 68 000 personnes, sont actuellement « non reconnus » par Israël, ce qui signifie qu'ils sont coupés de l'approvisionnement national en eau et en électricité et font l'objet de démolitions répétées. Comme les villages n'ont pas de statut officiel, leurs habitants sont également soumis à des restrictions en matière de participation politique et sont exclus des systèmes de santé et d'éducation. Ces conditions ont contraint nombre d'entre eux à quitter leur maison et leur village, ce qui équivaut à un transfert forcé.

Des décennies de traitement délibérément inégal des citoyens palestiniens d'Israël les ont constamment désavantagés sur le plan économique par rapport aux Israéliens juifs. Cette situation est exacerbée par une allocation manifestement discriminatoire des ressources de l'État : un exemple récent est le plan de relance du gouvernement Covid-19, dont seulement 1,7 % a été attribué aux autorités locales palestiniennes.

Dépossession

La dépossession et le déplacement des Palestiniens de leurs foyers est un pilier essentiel du système d'apartheid israélien. Depuis sa création, l'État israélien a procédé à des saisies massives et cruelles de terres à l'encontre des Palestiniens, et continue d'appliquer une myriade de lois et de politiques visant à contraindre les Palestiniens à vivre dans de petites enclaves. Depuis 1948, Israël a démoli des centaines de milliers de maisons et autres propriétés palestiniennes dans toutes les zones sous sa juridiction et son contrôle effectif.

Comme dans le Néguev/Naqab, les Palestiniens de Jérusalem Est et de la zone C du TPO vivent sous le contrôle total d'Israël. Les autorités refusent les permis de construire aux Palestiniens de ces zones, les obligeant à bâtir des structures illégales qui sont démolies à maintes reprises.

Dans les TPO, l'expansion continue des colonies israéliennes illégales exacerbe la situation. La construction de ces colonies dans les TPO est une politique gouvernementale depuis 1967. Les colonies couvrent aujourd'hui 10 % des terres en Cisjordanie, et quelque 38 % des terres palestiniennes de Jérusalem Est ont été expropriées entre 1967 et 2017.

Les quartiers palestiniens de Jérusalem Est sont fréquemment la cible d'organisations de colons qui, avec le soutien total du gouvernement israélien, s'emploient à déplacer les familles palestiniennes et à remettre leurs maisons aux colons. L'un de ces quartiers, Sheikh Jarrah, est le théâtre de fréquentes manifestations depuis mai 2021, les familles se battant pour conserver leur maison sous la menace d'un procès intenté par les colons.

Des restrictions draconiennes des déplacements

Depuis le milieu des années 1990, les autorités israéliennes imposent des restrictions de plus en plus strictes aux déplacements des Palestiniens dans les territoires palestiniens occupés. Un réseau de postes de contrôle militaires, de barrages routiers, de clôtures et d'autres structures contrôle les déplacements des Palestiniens à l'intérieur des territoires palestiniens occupés et limite leurs voyages en Israël ou à l'étranger.

Une clôture de 700 km, qu'Israël continue d'étendre, a isolé les communautés palestiniennes à l'intérieur de « zones militaires », et elles doivent obtenir de multiples permis spéciaux chaque fois qu'elles entrent ou sortent de chez elles. À Gaza, plus de deux millions de Palestiniens vivent sous un blocus israélien qui a créé une crise humanitaire. Il est pratiquement impossible pour les habitants de Gaza de se rendre à l'étranger ou dans le reste du territoire palestinien occupé, et ils sont effectivement isolés du reste du monde.

Pour les Palestiniens, la difficulté de se déplacer à l'intérieur et à l'extérieur des TPO est un rappel constant de leur impuissance. Leurs moindres déplacements sont soumis à l'approbation de l'armée israélienne, et la plus simple des tâches quotidiennes implique de naviguer dans un réseau de contrôle violent.

Agnès Callamard

« Le système de permis dans les TPO est emblématique de la discrimination éhontée d'Israël envers les Palestiniens. Alors que les Palestiniens sont enfermés dans un blocus, bloqués pendant des heures aux points de contrôle ou attendant un énième permis, les citoyens et les colons israéliens peuvent se déplacer comme bon leur semble. »

Amnesty International a examiné chacune des justifications de sécurité qu'Israël invoque pour justifier son traitement des Palestiniens. Le rapport montre que, si certaines des politiques israéliennes ont pu être conçues pour répondre à des objectifs de sécurité légitimes, elles ont été mises en œuvre de manière manifestement disproportionnée et discriminatoire, au mépris du droit international. D'autres politiques n'ont absolument aucun fondement raisonnable en matière de sécurité, et sont clairement façonnées par l'intention d'opprimer et de dominer.

La voie à suivre

Amnesty International formule de nombreuses recommandations spécifiques sur la manière dont les autorités israéliennes peuvent démanteler le système d'apartheid et la discrimination, la ségrégation et l'oppression qui le sous-tendent.

L'organisation demande, dans un premier temps, de mettre fin à la pratique brutale des démolitions de maisons et des expulsions forcées. Israël doit accorder des droits égaux à tous les Palestiniens en Israël et dans les TPO, conformément aux principes du droit international des droits humains et du droit humanitaire. Il doit reconnaître le droit des réfugiés palestiniens et de leurs descendants à retourner dans les maisons où eux-mêmes ou leurs familles ont vécu, et offrir aux victimes de violations des droits humains et de crimes contre l'humanité des réparations complètes.

L'ampleur et la gravité des violations décrites dans le rapport d'Amnesty International appellent à un changement radical de l'approche de la communauté internationale face à la crise des droits humains en Israël et dans les TPO.

Tous les États peuvent exercer une compétence universelle sur les personnes raisonnablement soupçonnées d'avoir commis le crime d'apartheid en vertu du droit international, et les États qui sont parties à la Convention sur l'apartheid ont l'obligation de le faire.

La réponse internationale à l'apartheid ne doit plus se limiter à de fades condamnations et à des équivoques. Si nous ne nous attaquons pas aux causes profondes, les Palestiniens et les Israéliens resteront enfermés dans le cycle de la violence qui a détruit tant de vies.

Agnès Callamard

« Israël doit démanteler le système d'apartheid et commencer à traiter les Palestiniens comme des êtres humains ayant les mêmes droits et la même dignité. Tant qu'il ne le fera pas, la paix et la sécurité resteront une perspective lointaine pour les Israéliens comme pour les Palestiniens. »

Pour une définition détaillée de l'apartheid en droit international, vous pouvez consulter  le rapport complet.

Source :  Amnesty International, 01-02-2022
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

 les-crises.fr

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