26/03/2022 les-crises.fr  8 min #204874

La justice britannique refuse un recours d'Assange contre son extradition aux Etats-Unis

Affaire Assange : La cour suprême du Royaume-Uni rejette le recours en appel

L'affaire de l'éditeur emprisonné de WikiLeaks passe maintenant à la ministre de l'Intérieur Priti Patel. Les avocats d'Assange sont prêts à faire un appel incident, rapporte Joe Lauria.

Source :  Consortium News, Joe Lauria
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Julian Assange, l'éditeur de WikiLeaks, a été débouté de sa demande d'appel de la décision de la Haute Cour de l'extrader vers les États-Unis, où il risque jusqu'à 175 ans de prison pour avoir publié des secrets d'État américains qui ont révélé des preuves de crimes de guerre américains.

Stella Moris, la fiancée d'Assange, a annoncé la nouvelle sur Twitter lundi.

La prochaine étape possible pour Assange, afin de prévenir l'extradition, est de demander à la Haute Cour d'entendre un appel incident contre le jugement du tribunal de première instance. Les avocats d'Assange ont indiqué lundi que ce serait probablement leur prochaine étape. Ils ont publié la déclaration suivante :

Contexte de l'affaire

Assange a obtenu gain de cause devant le tribunal de première instance en janvier 2021. Ce tribunal avait décidé de ne pas extrader Assange en raison de son état mental et de la forte probabilité qu'il se suicide s'il était envoyé dans des conditions de détention difficiles aux États-Unis.

Les États-Unis ont fait appel de cette décision devant la Haute Cour en décembre dernier et ont gagné. C'est sur cette décision que la Cour suprême a rejeté lundi la demande d'appel d'Assange (pdf). Bien que le tribunal ait décidé qu'il ne devait pas être extradé pour des raisons de santé, la juge a donné raison aux États-Unis sur chaque point de droit dans son jugement de 132 pages.

La juge, Vanessa Baraitser, a rejeté tous les arguments juridiques d'Assange et a reconnu que ses activités de publication violaient la loi. Comme l'a dit la critique australienne Caitlin Johnstone à l'époque :

« La décision effrayante de Baraitser a soutenu pratiquement tous les arguments de l'accusation américaine qui ont été avancés pendant le procès d'extradition, aussi absurdes et orwelliens soient-ils. Elle a notamment cité un rapport de CNN discrédité depuis longtemps, alléguant sans preuve qu'Assange avait fait de l'ambassade un « poste de commandement » pour l'ingérence électorale, affirmé que le droit à la liberté d'expression ne donne à personne le « pouvoir discrétionnaire illimité » de divulguer tout document qu'il souhaite, rejeté les arguments de la défense selon lesquels la loi du Royaume-Uni interdit l'extradition pour des motifs politiques. Elle a rejeté les arguments de la défense selon lesquels la loi britannique interdit l'extradition pour des délits politiques, a répété comme un perroquet la fausse affirmation selon laquelle la tentative d'Assange d'aider à protéger sa source Chelsea Manning pendant qu'elle exfiltrait des documents auxquels elle avait déjà accès n'était pas un comportement journalistique normal, a déclaré que les services de renseignements américains auraient pu avoir des raisons légitimes d'espionner Assange à l'ambassade d'Équateur et a affirmé que les droits d'Assange seraient protégés par le système juridique américain s'il était extradé. »

Cependant, l'équipe juridique d'Assange semble prête à lancer un appel incident dans lequel elle contestera les points suivants, tels qu'exposés ici par le commentateur juridique britannique Joshua Rozenberg QC :

  • Le traité d'extradition entre les États-Unis et le Royaume-Uni interdit l'extradition pour des délits politiques, ce qui signifie que le tribunal n'était pas compétent pour entendre l'affaire ;
  • Les allégations contre Assange ne répondaient pas au critère de double incrimination énoncé à l'article 137 de la loi sur l'extradition ;
  • L'extradition serait injuste ou oppressive en vertu de l'article 82 de la loi sur l'extradition en raison de l'écoulement du temps ;
  • L'extradition est interdite parce qu'elle est demandée pour les considérations étrangères mentionnées à l'article 81 de la loi sur l'extradition. Il s'agit notamment des opinions politiques du suspect ;
  • L'extradition est interdite par l'article 87 de la loi sur l'extradition parce qu'elle violerait la convention des droits humains, notamment l'article 6 (droit à un procès équitable), l'article 7 (en exposant Assange à une extension nouvelle et imprévisible du droit américain) et l'article 10 (liberté d'expression). La juge a conclu qu'elle n'avait pas besoin de se prononcer sur l'argument selon lequel l'extradition exposerait Assange à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention, étant donné sa conclusion sur le caractère oppressif ;
  • La demande d'extradition est un abus de procédure parce qu'elle repose sur une présentation erronée des faits et parce que les poursuites sont engagées pour un motif politique ultérieur et ne sont pas de bonne foi.

Quand des assurances doivent-elles être données ?

La Haute Cour de Londres. (David Castor/Wikimedia Commons)

Le 24 janvier, la Haute Cour avait laissé à la Cour suprême le soin de déterminer si elle accorderait l'autorisation d'examiner l'appel sur une question juridique, à savoir que les assurances données par les États-Unis au tribunal d'instance auraient dû être données pendant l'audience du tribunal inférieur en septembre 2020 et non après. Après l'interdiction de l'extradition d'Assange pour des raisons de santé, les États-Unis ont donné à la Grande-Bretagne des assurances diplomatiques qu'ils ne placeraient pas Assange sous le régime d'incarcération le plus sévère, à savoir les mesures administratives spéciales (SAM), et qu'il recevrait des soins de santé physique et mentale adéquats.

Les avocats d'Assange ont fait valoir à la Haute Cour en décembre que les États-Unis tentaient de remettre en cause la décision de Baraitser, car ce n'est qu'après avoir perdu le procès que les États-Unis ont donné ces assurances.

Le 24 janvier, la Haute Cour a laissé à la Cour suprême le soin de décider si elle entendait l'appel d'Assange sur « un seul point de droit dans quelles circonstances une cour d'appel peut-elle recevoir d'un État requérant des assurances qui n'ont pas été présentées au tribunal de première instance dans le cadre de la procédure d'extradition. »

Cette décision semblait à l'époque encourageante pour Assange, car il n'était pas demandé à la Cour suprême de juger de la crédibilité des assurances diplomatiques américaines - ce qu'elle ne ferait certainement pas - mais simplement de déterminer à quel moment du processus juridique ces assurances auraient dû être données.

Les États-Unis ont gagné sur la seule base des assurances

La Haute Cour avait statué en décembre que l'extradition d'Assange pouvait avoir lieu, annulant la décision de Baraitser. La Haute Cour n'a pas contesté la substance de cette décision. Elle a toutefois accepté les « assurances » des États-Unis. Sur la base de ces seules assurances, la Haute Cour a annulé la décision de Baraitser, ouvrant la voie à l'extradition.

En décembre, la Haute Cour a rejeté l'argument de la défense selon lequel les assurances sont arrivées trop tard. « La Cour a rejeté les diverses critiques formulées au nom de Assange, selon lesquelles les assurances n'étaient pas suffisantes », a déclaré le juge Timothy Holroyde.

Se rangeant du côté des États-Unis, qui soutenaient que les assurances pouvaient intervenir à n'importe quel moment de la procédure judiciaire, il a lu :

«Pour les raisions données dans le jugement rendu ce jour, la cour autorise l'appel sur les bases suivantes : a. le DJ [District Judge], ayant décidé que le seuil de décharge en vertu de l'article 91 de la loi sur l'extradition de 2003 était atteint, aurait dû notifier aux États-Unis son opinion provisoire, afin de leur donner l'occasion de donner des assurances à la cour ; et b. les États-Unis ont maintenant fourni au Royaume-Uni un ensemble d'assurances qui répondent aux conclusions spécifiques du juge de district. »

« Selon nous, un tribunal saisi d'une affaire d'extradition, que ce soit en première instance ou en appel, a le pouvoir de recevoir et d'examiner des assurances chaque fois qu'elles sont offertes par un État requérant », a déclaré le jugement de la Haute Cour.

Il a ajouté :

« Une offre d'assurances dans une affaire d'extradition est une question solennelle, qui nécessite un examen attentif par l'État requérant de sa volonté de prendre des engagements spécifiques envers un autre État. Il ne serait pas approprié d'exiger que cela soit fait sur une base contingente ou hypothétique ; et nous doutons de la praticabilité d'une telle approche. Nous n'acceptons pas que les États-Unis se soient abstenus, pour des raisons tactiques, d'offrir des assurances à un stade antérieur, ou qu'ils aient agi de mauvaise foi en choisissant de ne les offrir qu'au stade de l'appel. »

La Haute Cour a également tenté de justifier pourquoi les États-Unis ont attendu après l'audience d'extradition de septembre 2020 pour donner leurs assurances. « Nous observons que la décision selon laquelle toutes les conclusions finales doivent être faites par écrit, dans une affaire où les arguments ont été très variés pendant de nombreux jours d'audience, pourrait bien avoir contribué à la difficulté rencontrée par les États-Unis pour offrir des assurances appropriées plus tôt qu'ils ne l'ont fait », a déclaré la Cour.

Si la défense avait eu connaissance de ces garanties au cours de l'audience d'extradition devant le tribunal de district, elle aurait pu faire valoir des preuves tirées d'affaires antérieures sur leur manque de fiabilité. Mais elle n'a jamais eu cette chance.

Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News. Il a été correspondant à l'ONU pour le Wall Street Journal, le Boston Globe et de nombreux autres journaux. Il a été journaliste d'investigation pour le Sunday Times de Londres et a commencé sa carrière professionnelle comme pigiste pour le New York Times. On peut le joindre à l'adresse joelauria@consortiumnews.com et le suivre sur Twitter @unjoe.

Source :  Consortium News, Joe Lauria, 14-03-2022

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