Par Jean-Luc Baslé - Le 4 avril 2022
Cette décision répond à plusieurs objectifs. Elle souligne la dépendance européenne au gaz russe. Elle libère quelque peu l'économie russe en desserrant le carcan dans lequel elle est enfermée. Elle permet à la Russie de reconstituer ses réserves de change. Ce faisant, elle révèle l'incohérence des sanctions.
Un tour de passe-passe
La façon la plus simple pour l'Allemagne de se procurer des roubles est de facturer ses exportations en rouble. L'exportateur allemand n'ayant pas l'usage de ces roubles, préfère facturer ses produits en euros. L'Allemagne n'a donc pas ou peu de roubles en caisse. Elle peut se les procurer auprès de la Banque de Russie. En échange, cette dernière demandera des dollars (ou des euros) qu'elle déposera sur son compte à la succursale de Citibank de Francfort, par exemple. Les dollars de cette dernière sont comptabilisés sur les livres de la Citibank New York laquelle les dépose sur son compte à la Réserve fédérale de New York. Tous les dollars qui circulent à travers le monde et qui ne sont pas investis dans des actifs financiers se retrouvent sur les comptes de la Réserve fédérale à New York. Il en va de même pour la livre sterling comptabilisée sur les livres de la Banque d'Angleterre à Londres ou l'euro sur les livres de la Banque centrale européenne à Francfort.
L'incohérence des sanctions
La Réserve fédérale ne va-t-elle pas geler ces dollars, comme elle a gelé les actifs financiers de la Russie ? Si elle le fait, l'Allemagne sera privée de gaz et la décision de Poutine s'assimilera à un embargo. Si elle ne le fait pas, elle démontra l'incohérence des sanctions.
Quarante nations ont imposé des sanctions à des degrés divers à travers le monde dont l'ensemble des vingt-sept nations de l'Union européenne. Hors Union européenne, treize nations ont adopté des sanctions. Ensemble, ces quarante nations représentent 15% de la population mondiale et 60% de la richesse produite (statistiques de la Banque mondiale 2020). Ni la Turquie (membre de l'OTAN), ni Israël, ni l'Arabie saoudite (nations proches des États-Unis) n'ont imposé de sanctions. La Chine et l'Inde ont également refusé de le faire en dépit des pressions exercées par les États-Unis.
Au regard du droit international, les sanctions constituent un casus belli et sont illégales. Elles sont aussi inefficaces.
Jean-Luc Baslé est un ancien vice-président de Citigroup, et diplômé de l'Université de Columbia et de l'Université de Princeton. Il est l'auteur de « Le système monétaire international : Enjeux et perspectives ».
P.S. La décision de Vladimir Poutine ne s'insère pas dans le cadre d'un nouveau système monétaire international - chose qui prendra du temps si elle ne se réalise jamais.