Voici un texte qu'il faut absolument lire, et même relire pour ceux qui en ont le temps. Depuis le début de l'intervention russe en Ukraine, des tas de raisons ont été avancées pour expliquer ce conflit, mais aucune d'entre elles ne va réellement jusqu'au fond du problème. Le texte ci-dessous montre à quel point les enjeux sont colossaux, et la petite Ukraine n'étant ici qu'une péripétie de cet affrontement titanesque qui a débuté bien avant le 24 février. Il s'agit d'une véritable lutte existentielle, non pas seulement pour la Russie, comme on le lit ici ou là, mais aussi et surtout pour les Etats-Unis dont la richesse et la puissance proviennent exclusivement de l'escroquerie du dollar qui leur permet de tout avoir gratuitement. Car en effet, qu'est-ce qu'une dette que l'on n'a pas à rembourser (car non remboursable) et que l'on peut multiplier à l'infini selon les besoins ? C'est la gratuité. Une dette de 30 000 milliards de dollars signifie juste qu'ils ont tout eu gratuitement à hauteur de cette somme. Si demain leurs besoins s'élevaient à 50 000 milliards de dollars, ce sera le nouveau montant de leur dette. Dans ce contexte, la hausse des prix, l'inflation (qui n'est en fait utilisée que comme variable d'ajustement, ajustable elle-même), etc., c'est du bla-bla.
Macron l'avait suggéré dès le début de l'opération spéciale russe en Ukraine : cette guerre sera longue. Il savait certainement de quoi il parlait. RI
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Analyse du Capitaine de Vaisseau Yves Maillard, ancien attaché naval à Moscou, qui répond au message de Jacques Myard, auquel je répondais moi-même dans mon dernier témoignage sur la qualité comparée des leaderships russes et otaniens.
Le capitaine de Vaisseau Yves Maillard aborde le volet économique et financier et donne un éclairage complémentaire intéressant. Dominique Delawarde
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par Yves Maillard.
Cher Monsieur le Maire
Vous m'avez aimablement communiqué votre intéressant dernier message relatif à la guerre en Ukraine. Je vous en remercie. Voici, si vous me permettez, les réflexions qu'il m'inspire.
Vous écrivez :
« La guerre en Ukraine évolue visiblement vers un affrontement direct entre la Russie et les États-Unis. Il est évident que Washington a armé depuis des années l'armée ukrainienne, formé leurs soldats, fourni tous les renseignements recueillis par la CIA et surtout par les écoutes effectuées par la NSA. »
Mais alors, pourquoi ne pas dire clairement toute la vérité, que vous faites opportunément ressortir ici, à savoir que depuis un certain temps déjà ce sont les États-Unis qui se préparent, de toute évidence comme vous le dites si bien, à la guerre contre la Russie ?
Pourquoi ? Qu'est-ce que les Russes ont bien pu leur faire aux Américains pour que ceux-ci leur en veuillent à ce point, qu'ils leur en veuillent à mort, car c'est bien de cela dont il s'agit ?
Ce n'est bien évidemment pas du sort des habitants de l'Ukraine dont les Américains se préoccupent. Ils s'en moquent. Les Américains, comme toujours, ne se soucient que de leurs intérêts. Les Américains en veulent à mort à la Russie, que ce soit celle de Poutine ou celle d'un autre s'il venait à être remplacé, parce que ce pays, depuis une vingtaine d'années, a entrepris de se débarrasser de ses créances d'État en dollars.
Premier pays à l'avoir fait, d'autres, comme la Chine, étant également en train de le faire, elle s'est défaite de l'essentiel de ses bons du trésor américains, une centaine de milliards de dollars. En les remplaçant par de l'or ou d'autres devises jugées plus solides. Également, mais à un moindre degré, pour s'affranchir de l'abusive extra-territorialité de la loi américaine qui prétend s'appliquer à tout détenteur de sa monnaie de par le monde.
La Russie avait parfaitement le droit de faire cela. En 1960 le général de Gaulle, dont une resplendissante image illustre votre bureau au premier étage de votre mairie de Maisons-Laffitte, bureau que vous mettiez à ma disposition il y a quelques années quand j'y exerçais les fonctions de Conciliateur de Justice, le général de Gaulle donc, sur le conseil de Jacques Rueff, a fait exactement la même chose en exigeant de l'Amérique le remboursement en or des dollars détenus par la France (Or provenant en grande partie de la Banque de France, évacué en catastrophe par les croiseurs français au printemps 1940 en zigzaguant entre les sous-marins allemands, et qui avait servi à financer l'armement des huit divisions de la 1° Armée de la France Libre)
La Russie a fait cela car il y a largement de quoi mettre en doute la solidité de la dette souveraine américaine, supérieure à 30 000 milliards de dollars, qui continue sans cesse de s'accroître (5 milliards par jour en moyenne), dette qui, matériellement, ne pourra jamais être remboursée en valeur. En face de cette dette, des créanciers qui tôt ou tard à l'échelle de la planète se rendront compte que leur créance sur l'Amérique est douteuse, pour ne pas dire irrécupérable.
Pour l'Amérique la volonté russe d'indépendance vis-à-vis de la monnaie américaine, car il ne s'agit pas d'autre chose, est considérée, non pas comme un geste inamical, mais comme une véritable déclaration de guerre, car c'est toute la suprématie mondiale dont l'Amérique jouit abusivement, par son dollar émis massivement sans contrepartie dont elle inonde la planète, appuyée sur une force militaire écrasante à laquelle personne n'est en mesure de s'opposer, qui est mise en cause.
Cette indépendance monétaire russe a toutes les chances de faire tache d'huile à l'échelle mondiale et pour l'Amérique c'est inacceptable. Elle a énormément à y perdre quand le monde se rendra compte qu'il est floué, abusé, volé par l'Amérique avec son dollar de papier qui ne lui coûte rien mais avec lequel elle achète tout, elle corrompt tout, elle pourrit tout.
Il faut tuer la Russie !
C'est ce que depuis plusieurs années réclament à cor et à cri nombre de personnalités américaines, membres du Congrès, gouverneurs d'État, officiers généraux. Et pas la tuer n'importe comment, mais en bombardant, au besoin, la Russie à l'arme nucléaire, carrément, et en proclamant ouvertement cette volonté dans les médias. Et cela n'émeut personne. Et cela bien avant la guerre en Ukraine. Ce sont eux qui veulent délibérément la guerre.
Trois pays, dans les décennies passées, ont essayé de se débarrasser de leurs créances sur le Trésor américain, pour la même raison, à avoir des doutes sur la solidité du dollar, en voulant simplement consolider durablement, en la convertissant notamment en or, la richesse que leur procurent leurs revenus pétroliers : l'Iran, l'Irak et la Libye. Tous les trois ont été sauvagement écrasés. Comme les Indiens d'Amérique. Face aux États-Unis, ils n'étaient pas en capacité de se défendre.
Avec la Russie, c'est différent, cette capacité, elle l'a
Les États-Unis ne peuvent pas attaquer de front la Russie comme le souhaitaient follement certains, non seulement parce que les Russes ont des bombes atomiques plus puissantes, en plus grand nombre, portées par des missiles plus rapides, non seulement parce que les Américains seraient passés pour l'agresseur aux yeux du monde, mais parce qu'en révélant à la terre entière la cause réelle de la guerre, financière et monétaire, ils auraient sûrement accéléré le processus, pourtant de toute manière inéluctable, à terme, de dédollarisation des économies mondiales, de révélation que le dollar est intrinsèquement une imposture.
Il fallait à l'Amérique trouver un moyen de faire la guerre à la Russie, sans passer pour l'agresseur. Ce moyen, elle croit l'avoir trouvé, en fomentant sur plusieurs années l'affaire ukrainienne.
Poutine est tombé dans le piège que lui a tendu l'Amérique, en agressant un pays au motif, réel, que des populations russes y étaient non seulement maltraitées (des milliers de morts civils en huit ans), mais aussi susceptibles de l'être plus encore à brève échéance (l'armée ukrainienne massée devant les provinces séparatistes sur le point de les attaquer).
On ne va pas « vers un affrontement direct entre la Russie et les États-Unis ». Cet « affrontement direct », on y est déjà, et ce depuis le début. C'est ça, et pas autre chose, la guerre actuelle en Ukraine.
Il est absurde, ridicule même, de réduire à la personnalité de Poutine la responsabilité de cette guerre.
Si Biden décide, si rapidement, de dépenser des sommes si considérables, des dizaines de milliards de dollars, pour mener cette guerre, par Ukrainiens interposés, c'est bien parce que ce qu'il y défend autre chose, inavouable, que le sort de ces pauvres Ukrainiens.
On va voir comment Poutine, soutenu par 90% de la population russe, va s'en sortir.
Les informations que l'on reçoit relatives à la situation militaire sur le terrain sont contradictoires. Pour certains l'armée russe avance lentement mais sûrement en prenant des positions que les Ukrainiens ne pourront pas reprendre, pour d'autres elle s'est enlisée et face à une armée ukrainienne déterminée et très bien armée par les Occidentaux elle finira par perdre, au mieux la face, au pire tout ce qu'elle a conquis.
En fait, que la Russie fasse au final la conquête, ou non, des « républiques sécessionnistes » de l'Est de l'Ukraine, ce n'est pas l'essentiel, c'est secondaire, au regard du motif réel de la guerre. Ce motif c'est le nécessaire écrasement, la destruction de la Russie, coupable de s'être attaquée à la suprématie du dollar, outil absolu de la domination hégémonique mondiale de l'Amérique.
Et comme il n'est pas possible de réduire militairement la Russie, l'Amérique a entrepris de la réduire financièrement par cette vague ahurissante de sanctions financières et monétaires draconiennes sans limites, se voulant dévastatrices, qui s'abat sur elle en ce moment, laquelle n'a rien à voir avec la guerre militaire en Ukraine, qui n'a servi que de prétexte pour déclarer cette guerre financière.
Cette guerre financière n'est pas la conséquence de l'agression russe, c'était le but recherché en faisant tout ce qui a été possible de faire pour pousser Poutine à commettre cette agression, comme Davy Croquett, le cow-boy du XIX° siècle héros de notre enfance, excitait les Indiens afin de leur faire commettre des exactions dont ils étaient « punis » en étant tous massacrés.
Comment la Russie va-t-elle faire face à cette guerre financière? C'est ça la vraie question, plus que la guerre dans le Donbass. Toute émotion légitime suscitée par les horreurs qui s'y passent mise à part.
La Russie a de vrais atouts pour faire face à cette guerre économique et financière
Comme elle en a eu face à Napoléon qui, au prétexte d'y importer les « valeurs » de la Révolution Française (sur la Place Rouge à Moscou il y a un socle de statue, sans statue, et s'il n'y en a pas c'est parce qu'il était prévu d'y mettre celle de l'empereur qui mettrait fin au servage en Russie, et comme cet empereur c'est Napoléon, on n'y a toujours mis personne), cherchait à obtenir de la Russie qu'elle ne se plie pas au blocus continental décrété par les Anglais depuis leur écrasante victoire à Trafalgar. Avec les Anglo-Saxons, la guerre est toujours, de près ou de loin, économique et financière.
Comme elle a su faire face au « Barbarossa » d'Hitler parti pour y conquérir un « espace vital », mais qu'elle a su repousser au prix de dizaines de millions de morts, civils et militaires.
La bataille du Donbass dont les medias nous montrent chaque jour les abominables images, ce n'est que la partie émergée de l'iceberg, l'autre partie étant la terrible bataille qui est engagée, quasiment à l'échelle planétaire.
Je pense que les Américains sous-estiment la capacité des Russes de résister à cette guerre qui sera longue et dure, pour tout le monde, y compris, bien évidemment, pour nous les Européens.
Il n'est pas certain que les États-Unis la gagneront, même s'ils sont les plus forts, presque en tout.
La Russie a des finances saines. Elle est peu endettée. Elle n'a pas de déficit budgétaire. Sa balance commerciale est excédentaire. Ce qui n'est pas le cas, et de loin, de tous les pays gravitant autour et sous la domination contrainte du dollar. Elle a dans à peu près tous les domaines la capacité d'être autonome, capacité renforcée au fil du temps par les « sanctions » précédentes. Sa « rupture » avec le monde, voulue par les Américains, elle l'est surtout avec les Occidentaux, eux-mêmes asservis au dollar. Les deux géants que sont la Chine et l'Inde, pour ne parler que d'eux, sont rétifs à ces « sanctions ». La communication de la Russie dans tous les domaines avec le reste du monde passera par eux, certainement, et se poursuivra, certainement aussi.
Espérons seulement qu'aucun des deux « fous », Poutine et tout autant Biden, ne cédera à la tentation de recourir à l'arme nucléaire. Le pire n'est jamais sûr dit-on, heureusement.
Yves Maillard
Capitaine de vaisseau honoraire
Ancien attaché naval près l'ambassade de France à Moscou
Ingénieur en Génie Atomique (Armes)
envoyé par le général Dominique Delawarde