Peu à peu la bataille des opérations militaires en Ukraine perd sa prépondérance dans la communication générale autour d'Ukrisis, dans une dynamique d'élargissement passant du seul domaine militaire au domaine de terribles remous économiques et de divers points de discorde et de désaccord de type stratégique, avec de très importants effets psychologiques qu'il est encore difficile d'identifier et par conséquent d'en évaluer les conséquences dans les comportements. C'est évidemment ce que nous désignerions comme une mise à découvert de la GrandeCrise dans sa phase finale, et dont Ukrisis est le détonateur initial.
Les positions de part et d'autre tendent, d'une part à se durcir en fonction d'une résolution russe de plus en plus affirmée, d'autre part à se diversifier selon les cahots de plus en plus brutaux (surtout économiques, - inflation, niveau de vie en baisse, difficultés d'approvisionnement y compris pour les produits de base de la survivance) que subissent nombre de figurants embarqués dans de grandes manœuvres crisiques.
Le phénomène le plus important reste le durcissement russe du fait de la perception de type-existentielle de Ukrisis du côté russe. Cela contrecarre les manœuvres selon les tactiques-'soft' ("douce"), d'apparence "démocratique" (communication offensive, 'regime change' et 'révolution de couleur'), affectionnées par les experts occidentaux en subversion. Tout durcissement affectant la population et les élites elles-mêmes (c'est le cas qui nous intéresse ici) tend à consolider la dynamique politique en-cours, à la protéger des effets de contagion et de dissolution nécessaires à ces tactiques-'soft'. L'effet d'Ukrisis, avec tout ce qui a précédé et les mesures-sanctions du bloc-BAO ont très largement accentué la capacité de résistance des structures russes. La guerre à laquelle menait le 'piège' des Occidentaux était censée affaiblir le tissu des structures russes ; elle provoque et accentuera le contraire (nous dirions : quelle que soit l'issue du conflit en cours) du fait de la résolution qu'elle instille dans la population et les cadres russes, un peu selon la logique développée par Norman Finkelstein.
Le durcissement russe
On peut prendre comme définition symbolique de la position russe parvenue à la phase opérationnelle avec cette "guerre contre l'OTAN" (ainsi définissent-ils désormais, à l'image de Lavrov, la guerre en Ukraine), ces phrases de Poutine telles que les a récemment rapportées Orlov. Elles datent de 2018 et sont dites d'un seul trait, alors en théorie et aujourd'hui prenant place dans une hypothèse opérationnelle, symbolisant la dimension tragique, sacrificielle, illustrant l'affirmation russe d'un destin qui se suffit à lui-même, autarcique du Ciel et sur la Terre, dostoïevskien dans l'âme, aussi ferme que la mort après la vie ; tout cela est d'une force d'autant plus grande, on le comprend en mesurant l'aspect vertigineux de cette pensée, que la Russie est l'une des deux superpuissances nucléaires, peut-être la première, et qu'elle envisage dans l'hypothèse de la menace de sa propre mise en cause existentielle la possibilité d'un affrontement nucléaire :
«...Et, enfin, si une victoire russe est impossible, elle ne le sera pas non plus pour les autres, car ils seront tous morts. "Nous irons tous au paradis en tant que martyrs, et ils mourront simplement comme des chiens parce qu'ils n'auront pas eu la chance de se repentir", a déclaré Poutine. "À quoi nous sert la Terre [à nous, Russes] si l'on n'y trouve plus la Russie ?" est une autre de ses citations mémorables. »
La position russe est désormais assumée sans à-coups, des réputés les plus durs à une grande partie de ceux que l'on a coutume de classer comme "libéraux". Ainsi, cette remarque concernant la grotesque (le mot est tout juste assez fort, pour qui juge raisonnablement hors de leur simulacre-bouffe) adhésion des Nordiques suédois et finnois, jusqu'alors protégés par leur neutralité, - où le diabolique Poutine s'offre un exercice de finesse ironique et matoise qui aboutit à la même dureté.
« Le vice-ministre russe des affaires étrangères, Sergei Ryabkov, a récemment déclaré que l'adhésion de la Finlande ou de la Suède ne manquerait pas d'accroître la "tension militaire" en Europe de l'Est, tandis que le vice-président du Conseil de sécurité russe, Dimitri Medvedev, a suggéré de déployer des armes nucléaires [sur la côte de la Baltique].» Le président Vladimir Poutine a semblé offrir une réaction plus modérée lundi [16 mai], déclarant que Moscou n'a "aucun problème" avec Stockholm ou Helsinki et que leur adhésion à l'OTAN "ne constitue pas une menace directe pour la Russie".
» Il a toutefois ajouté que "l'expansion de l'infrastructure militaire sur ce territoire [Suède ou Finlande] entraînera certainement notre réaction" et que la réaction de la Russie "sera fonction des menaces qui seront créées pour nous". »
Nous continuons à mettre en évidence le cas de Dimitri Medvedev, "libéral occidentaliste" affirmé, comme archétype de la réaction de durcissement des élites russes. Medvedev ne cesse de radicaliser sa position, jusqu'à mettre en cause l'"ordre du monde" sous hégémonie anglo-saxonne. Il est devenu, en Russie, le spécialiste de la description des conséquences catastrophiques de l'action du bloc-BAO et des conditions à mettre en place pour un 'Nouvel Ordre Mondial', multipolaire et antagoniste de l'anglosphère.
« Les sanctions sévères imposées à la Russie par les États-Unis et leurs alliés en raison du conflit en Ukraine vont modifier l'ordre mondial existant, a écrit [sur son compte 'Telegram'] l'ancien président russe Dmitri Medvedev, aujourd'hui vice-président du Conseil de sécurité de son pays....» Un certain nombre de "chaînes d'approvisionnement mondiales" vont être détruites par les sanctions, ce qui risque de provoquer "une crise logistique majeure"... "Certaines compagnies aériennes occidentales pourraient également faire faillite en raison de l'impossibilité d'utiliser l'espace aérien russe".
» Les crises énergétiques dans les États qui ont imposé des sanctions autodestructrices sur le pétrole et le gaz russes vont s'aggraver, les prix de l'énergie continuant à augmenter, a-t-il prédit. "Une véritable crise alimentaire internationale va apparaître, avec la perspective d'une famine dans certains États."
» L'instabilité des monnaies nationales, l'inflation galopante et la destruction des protections juridiques de la propriété privée conduiront à des urgences monétaires et financières, touchant des pays individuels ou des blocs internationaux entiers, écrit Medvedev.
» "De nouveaux conflits régionaux éclateront" dans des endroits où les tensions sont restées sans solution pendant des décennies, tandis que "les terroristes intensifieront leurs activités en pensant que l'attention des gouvernements occidentaux est détournée par ses querelles avec la Russie"... De nouvelles épidémies pourraient se déclencher en raison d'une coopération internationale inéquitable dans la région et de "faits directs d'utilisation d'armes biologiques".
» De nombreux organismes internationaux, qui se sont révélés inefficaces dans leurs tentatives de régler le conflit ukrainien, vont se décomposer, ajoute-t-il, en nommant la principale organisation européenne des droits de l'homme, le Conseil de l'Europe.
» "De nouvelles alliances internationales de pays seront formées, - basées sur des principes pragmatiques plutôt que sur l'idéologie anglo-saxonne". Une nouvelle architecture de sécurité sera créée, mettant en évidence "la faiblesse des concepts occidentalisés des relations internationales", "l'effondrement du monde centré sur l'Amérique" et "l'existence d'intérêts internationalement respectés des pays concernés, qui traversent actuellement une phase aiguë de leurs contradictions avec l'Occident". »
Les élites en dissidence
D'une façon générale, on peut prendre le cas du témoignage de Jacques Sapir pour avoir une idée qualitative de l'évolution des élites russes, jusqu'alors considérées comme le talon d'Achille pro-occidental de la résolution russe. Souverainiste de gauche, Sapir a de nombreux contacts avec la Russie depuis des années, y compris des cycles de conférence universitaires. Il a été un collaborateur régulier de RT.com et de Spoutnik, avec énormément de contacts dans les élites russes ; nous écrivons "a été" puisqu'il a cessé toute collaboration (d'ailleurs dans les meilleurs termes) avec ces deux médias le 24 février en condamnant très fermement la guerre lancée par la Russie. En même temps et selon une position sur laquelle on peut s'interroger, très répandue chez de nombreux intellectuels français et européens, il reconnaît que l'Occident a remarquablement bien préparé cette guerre dans les trente dernières années, à coups de provocations, de promesses non tenues, de traités dénoncés, enfin de "pièges" stratégiques... Cette observation rejoint celle de Norman Finkelstein présentée hier :
« [Les Russes] avaient, si je puis dire, le droit historique de le faire [l'invasion en Ukraine]. 30 millions de personnes [tuées pendant la Deuxième Guerre mondiale], et maintenant ils vont recommencer, ils vont recommencer. Non, non, vous savez je ne peux pas aller dans ce sens, je ne peux pas aller avec ceux qui reconnaissent la légitimité des arguments de Poutine [sur l'extension de l'OTAN vers l'Est, dans un but agressif] mais qui ensuite qualifient l'invasion de criminelle. Je ne peux pas voir ça de cette façon.
Ou encore, disons sur un autre plan, cette hypothèse de Joe Lauria, dans sa présentation du site 'ConsortiumNews' et de la nécessité de la dissidence dans un monde accablé de mensonges et de simulacres-bouffe :
« Il n'y avait aucune autorisation du Conseil de sécurité pour [l'opération russe en Ukraine]. Malheureusement, le sens du droit international a été dégradé par des violations en série par les États-Unis, à travers de nombreux coups d'État et invasions depuis la Seconde Guerre mondiale. Un argument en faveur de l'invasion russe pourrait être basé sur la théorie de la guerre juste développée avant l'ONU par Saint Augustin et Saint Thomas d'Aquin, ce qui explique peut-être pourquoi le pape a rappelé que l'OTAN l'avait indirectement provoquée. Allons-nous essayer de faire tomber le pape maintenant pour 'désinformation' ? »
Le cas de Jacques Sapir est intéressant parce qu'il est un fervent partisan de liens de l'Europe avec la Russie (hors de la tutelle atlantiste). C'est dire s'il a pu identifier chez les nombreux intellectuels avec lesquels il entretient des liens cette tendance "russo-européiste", et par conséquent lui-même d'autant plus attentif et crédible au renversement de cette tendance qu'il observe, qui est d'une extrême brutalité, parfois même dans les termes de ses interlocuteurs. Sapir donc, sur 'Livre Noir', le 16 mai 2022 (vidéo, autour de la 25ème minute) :
« Vous avez un mouvement de désoccidentalisation du monde, et il se reproduit en Russie, et là il a même été accéléré par les sanctions... Je suis très impressionné par le fait que... Je connais bien toute une série de gens dans l'élite politique russe... C'étaient des gens qui étaient plutôt bien disposés par rapport aux pays occidentaux et que j'ai vus basculer non pas simplement depuis ces deux derniers mois, mais que j'ai vu basculer dès le mois d'octobre dernier...» Vous prenez quelqu'un comme Fedor Loukianov, qui est à la fois l'un des responsables de 'Club Valdaï' et le rédacteur en chef de 'Russia in Global Affairs'... Loukianov expliquer, grosso modo, que la Russie est entrée sur un cap de collision avec les pays de l'UE... Et l'un des premiers résultats des sanctions... [c'est] de voir tous ces gens basculer en trois semaines dans une forme de nationalisme agressif... Et d'une certaine manière, au plus on fait des sanctions contre l'élite russe, au plus cela soude [cette élite] autour des plus durs du Kremlin......
» Et mes collègues russes, au mieux, ils disent : "on n'en a plus rien à faire, de ce que vous [Occidentaux] pensez... »
Et, pour clore cette question, Sapir nous précise que, dans le meilleur des cas, c'est-à-dire avec tous les problèmes essentiels qui nous déchirent étant réglés, il n'y aura pas de retour des élites russes vers une coopération et des relations amicales avec l'Occident pendant une vingtaine d'années... « Le temps d'une génération... »
Curieuse, étrange opération... Entre son Europe agonisante au son des roulements de mécanique de van der Leyen, et son outre-Atlantique au rythme des bégaiements chuchotés de Biden, le bloc-BAO semble en train de réussir magnifiquement "la sortie de la Russie" de son propre système (le bloc-BAO) ; et alors, l'on découvre à mesure que se fait cette "sortie" que la Russie tenait dans ce système un rôle d'équilibre et de stabilisation important, voire crucial. Le principal effet à attendre chronologiquement, et le plus important à nos yeux, - plus important que l'énigme du "nouvel ordre" comme celui que détaille Medvedev, - c'est la perspective que cette "sortie de la Russie" entraîne un déséquilibre catastrophique du système-BAO. Et alors, tout se passe comme si la Russie n'attendait que cela, l'occasion de sortir de ses relations tordues et masochistes avec le bloc-BAO, et qu'elle la saisit comme un don du Ciel : il s'agit là d'un grand "événement" chargé de sa " souveraineté spirituelle" autonome, qui s'active de lui-même, sans nécessité d'une stratégie élaborée à l'avance, en fait comme une sanction des sanctions de l'autodestruction du Système.
Selon ce que nous confie Sapir, l'élite russe s'est donc brutalement retournée selon une impulsion de quelques mois qui laissait prévoir cette possibilité, et elle a été conduite à retrouver en fait le sentiment populaire, qui se traduit par le soutien à Poutine en pleine expansion (d'un peu plus de 60% avant le 14 février à un peu plus de 80%) et un soutien à l'"Opération Militaire Spéciale" en Ukraine dans les mêmes eaux. On notera par ailleurs que l'expression "soutien à Poutine" est trompeuse et renvoie aux obsessions de "personnalisation" et de "diabolisation" chères à nos pratiques démocratiques. En réalité, le "soutien à Poutine" exprime le soutien à la politique gouvernementale russe qui résulte d'un consensus des forces s'exprimant dans le pouvoir, que ce soit les organes de sécurité, l'armée, le monde scientifique et universitaire, les oligarques, etc., - c'est-à-dire, justement "les élites" dans son sens le plus large. La Russie est-elle le seule pays d'importance au monde à évoluer vers une telle proximité entre le peuple et ses élites ? On répondra comme il convient et on en tirera les conséquences qu'on veut.
Folie de la politique de confiscation
Pour compléter ce dossier sur cet effet des sanctions, notamment vis-à-vis des élites russes qui représentaient jusqu'ici, par leur influence pro-occidentale, un atout important du bloc-BAO en Russie, et cet atout que le bloc-BAO est en train de détruire systématiquement, - nous ajoutons un texte sur « la politique américaine de confiscation ». Il s'agit donc du volet des sanctions-confiscation, visant notamment les avoirs des oligarques et autres possesseurs russes de biens placés dans les pays occidentaux. Ces mesures sont censées pousser les élites friquées de Russie, incapables d'imaginer un monde sans le paradis américaniste en dollars, à faire chuter Poutine, libérer l'Ukraine et imposer la langue américaniste-Hollywood à la Russie entière. Ce singulier calcul, d'une extrême sottise, on dirait d'une sottise hypnotisée par elle-même comme l'est l'hybris américaniste, semblerait donc provoquer l'inverse, - la colère et le "allez vous faire voir".
Le texte de Ivan Timofeev (Docteur en sciences politiques et directeur de programme au 'Russian International Affairs Council' [RIAC]) examine les mécanismes juridiques mis en place pour "légaliser" aux USA cette pratique de piraterie postmoderne de haute technologie. Il faut préciser par rapport à ce texte que madame Yellen, secrétaire au trésor, vient d'annoncer que la saisie des $300 milliards d'avoirs de la Banque Centrale russe actuellement gelés n'est « pas actuellement légal » aux USA ; on espère que le Congrès va mettre bon ordre à cette situation intolérable. On rappelle alors que
« Certains experts ont également qualifié le gel des avoirs russes de plus grande perte de crédibilité pour les États-Unis et leurs alliés, ainsi que pour le système financier occidental. »
On retrouve cette idée de la confiance perdue du Système dans les domaines où ils se jugeait indétrônable, de la finance et de la monnaie, dans le texte de Tomofeev. (Sources : ici et ici, sous le titre : « Les actions de confiscation accentuent l'escalade du conflit ».)
« Le 28 avril, le président américain Joe Biden a appelé le Congrès à adopter une nouvelle législation sur la confiscation des actifs russes. Les propositions présidentielles ont été préalablement élaborées au niveau des principales agences responsables des sanctions: le Trésor (sanctions financières), le Département d'État (responsable des sanctions en matière de visas et des aspects politiques des mesures restrictives), le Département du commerce (contrôle des exportations) et le Département de la justice (qui poursuit les contrevenants aux régimes de sanctions).» Les propositions de Biden sont les suivantes :
» • Premièrement, créer un mécanisme efficace pour la confiscation des biens situés aux États-Unis et appartenant à des "oligarques" sanctionnés ou à des personnes impliquées dans des activités illégales. Auparavant, ces avoirs étaient seulement gelés, c'est-à-dire que leur accès était interdit, mais formellement, ils restaient en possession de leurs propriétaires. Cela peut être contestée devant un tribunal fédéral américain. Toutefois, l'expérience montre que les précédentes tentatives des entreprises russes pour obtenir la levée des sanctions n'ont pas été très fructueuses. Il propose également de faire de la réception de fonds provenant directement de transactions corrompues avec le gouvernement russe une infraction pénale. Le concept de ces transactions et leurs paramètres restent encore à décrypter.
» • Deuxièmement, l'administration Biden fait pression en faveur d'un mécanisme qui permettrait le transfert des actifs saisis auprès des "kleptocrates" pour dédommager l'Ukraine des dommages causés par l'action militaire.
» • Troisièmement, la confiscation d'actifs qui est mise en oeuvre pour aider à contourner les sanctions américaines, ainsi que l'inclusion de toute tentative d'échapper aux sanctions dans la loi sur la corruption et les organisations influencées par le racket (RICO). L'administration estime également nécessaire d'étendre à 10 ans le délai de prescription pour les infractions en matière de blanchiment d'argent.
» Quatrièmement, il est proposé d'approfondir l'interaction avec les alliés et partenaires étrangers. Dans l'UE, en particulier, des biens d'une valeur de plus de 30 milliards de dollars ont déjà été saisis.
» Au Congrès, de telles propositions apparaissent depuis longtemps sous la forme d'une série de projets de loi. En mars-avril 2022, deux projets de loi de ce type ont été introduits au Sénat (S. 3936 et S.3838) et cinq à la Chambre des représentants (H. R.7457, H. R. 7187, H. R.7083, H. R.6930 et H. R.7086). La plupart de ces projets de loi sont co-parrainés par des républicains et des démocrates, ce qui signifie qu'ils sont très susceptibles de créer un consensus entre les partis. Il est très probable que la version finale du projet de loi soit beaucoup plus détaillée que les projets de loi déjà introduits et qu'elle tienne compte des propositions de l'administration Biden.
» Le nouveau mécanisme juridique donnera aux États-Unis à la fois des avantages et des inconvénients. Parmi les premiers, on peut attribuer l'émergence d'instruments plus efficaces pour la défaite finale du grand capital russe, tant aux États-Unis qu'à l'étranger. Les autorités américaines disposeront de plus de pouvoirs en matière de sanctions secondaires et de mesures d'exécution pour empêcher le contournement des régimes de sanctions. Il est possible que de telles mesures soient également appliquées aux partenaires russes de pays tiers. En outre, ces saisies permettront d'apporter une aide militaire et financière à l'Ukraine en utilisant l'argent russe. Washington envoie déjà des milliards de dollars à Kiev, et la portée de cette aide est susceptible d'être considérablement élargie. Si l'Union européenne suit l'exemple des États-Unis (et il ne fait aucun doute qu'elle le fera), l'Ukraine pourrait à l'avenir s'attendre à recevoir des dizaines, voire des centaines de milliards de dollars d'aide provenant de fonds russes. Une telle mesure serait bien accueillie par les contribuables américains et européens. Avec toute leur sympathie pour l'Ukraine, ils préfèrent l'aider aux dépens des actifs russes, plutôt que des leurs.
» Si les avantages de ces mesures porteront leurs fruits dans un avenir très proche, les inconvénients se feront sentir plus tard. Tout d'abord, la Russie elle-même entreprendrait de confisquer les actifs appartenant à l'Occident sur son territoire. Il est évident que Moscou prendra ces mesures avec grande prudence - il est toujours dans l'intérêt de la Russie de préserver les vestiges des investissements et des liens établis. Cependant, des mesures sélectives et ciblées sont tout à fait possibles. En réponse au transfert des biens russes à Kiev, Moscou peut confisquer certains biens dans les territoires occupés de l'Ukraine, et le territoire lui-même peut être considéré comme un bien confisqué. Il peut être transféré, par exemple, vers la juridiction des républiques populaires de Donetsk. En d'autres termes, les expériences de confiscation accentuent l'escalade dans tout conflit.
» Un autre inconvénient pour les États-Unis est la perte significative d'influence sur certains segments de l'élite russe. Les biens et les actifs étaient des "points d'ancrage" pour un nombre considérable d'hommes d'affaires russes. Ils considéraient les États-Unis et d'autres pays occidentaux comme des "havres de paix" et des lieux où règnait l'État de droit. Maintenant, la Russie est devenue leur seul refuge. Cet évolution peut devenir un avantage pour les autorités russes, qui auront plus d'occasions de consolider l'élite autochtone. La suspicion des agences gouvernementales et des institutions financières à l'égard des Russes en général (y compris les petites et moyennes entreprises et les particuliers) réduit également la motivation pour l'émigration d'une plus grande partie des citoyens russes.
» Enfin, la marche victorieuse des autorités américaines, européennes et autres sur les biens russes fragmente les craintes légitimes des investisseurs d'autres pays. Un mauvais signe pour eux est que les motifs criminels de la saisie des biens et les concepts de corruption, de kleptocratie et autres ne sont "soudainement" devenus pertinents qu'après le début du conflit en Ukraine. La question se pose : s'il existait un dossier criminel sur les Russes sous sanctions, alors pourquoi n'a-t-il pas été publié en masse plus tôt ? La réponse est simple. La plupart des Russes qui sont tombés sous le coup des sanctions n'avaient apparemment tout simplement pas de tel dossier. Ou bien cela n'était pas suffisant pour les soupçons et les accusations d'infractions pénales (blanchiment d'argent, etc.). Se soumettre aux sanctions est une conséquence de la politique. Cela signifie que la confiscation d'actifs est motivée par des raisons politiques et n'est pas associée à la violation de la loi.
» Par conséquent, les investisseurs d'autres pays peuvent avoir des soupçons explicites ou implicites qu'ils pourraient être les prochains sur la liste.
» Les États-Unis entretiennent des relations conflictuelles avec la Chine, l'Arabie saoudite, la Turquie et une foule d'autres pays. Des dizaines de projets de loi sur les sanctions sont introduits au Congrès américain à leur sujet. Il est clair que des événements extraordinaires doivent se produire avant que les Américains puissent commencer à imposer des sanctions sur le modèle russe et contre les pays désignés. Une confiscation massive de leurs biens est peu probable, du moins pour l'instant. Mais la confiance est une catégorie psychologique subtile. Les investisseurs ne comprennent pas toujours les subtilités de la politique. Cela signifie qu'ils peuvent avoir un désir naturel de diversifier leurs actifs. Pour les banques et les fonds d'investissement américains, il est peu probable que ce soit une bonne nouvelle. »