Déclaration du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et réponses aux questions des médias lors d'une conférence de presse à la suite des entretiens avec le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de la République du Mali Abdoulaye Diop, Moscou, 20 mai 2022.
Source: Ministère des Affaires étrangères
Mesdames et Messieurs,
Je suis ravi d'accueillir à Moscou mon collègue et ami, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de la République du Mali Abdoulaye Diop. Nous avons eu des entretiens substantiels sur la coopération bilatérale et sur l'agenda mondial et africain actuel.
Nos pays sont résolus à poursuivre le renforcement des liens russo-maliens, traditionnellement amicaux et à l'abri des aléas de la conjoncture internationale. Sur la base des résultats de la visite du ministre malien des Affaires étrangères à Moscou, nous avons défini les moyens de renforcer notre coopération dans différents domaines.
Nous avons eu une discussion détaillée sur les questions économiques. Nous pensons tous deux que nos échanges commerciaux sont bien en deçà de notre potentiel en termes absolus, malgré la croissance positive enregistrée au cours des trois dernières années. À ce titre, nous avons convenu d'aider à promouvoir la coopération pratique dans des domaines prometteurs tels que l'exploitation minière, l'exploration géologique, l'énergie, les infrastructures, l'agriculture et les technologies Internet. Nous avons concentré notre attention sur les aspects pratiques de l'organisation de la livraison de blé, d'engrais minéraux et de produits pétrochimiques russes dont le Mali a cruellement besoin dans le contexte des sanctions illégitimes de l'Occident.
Nous avons noté la dynamique positive de nos liens militaires et de l'industrie de la défense. Nous apprécions notre coopération culturelle et humanitaire, y compris la formation de professionnels maliens dans un large éventail de domaines dans les universités russes.
Nous avons exprimé notre gratitude à nos amis pour les informations substantielles et détaillées sur la situation actuelle au Mali et les efforts des dirigeants nationaux pour restaurer la stabilité interne et créer les conditions pour la tenue d'élections libres et démocratiques en temps voulu. Nous savons que les restrictions introduites au début de l'année par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest et les dernières sanctions de l'UE constituent un lourd fardeau pour l'économie malienne. Cela complique sérieusement la situation loin d'être simple du peuple malien et entrave la résolution des problèmes urgents du pays, dont le plus important est la menace du terrorisme. Nous connaissons les sanctions de par notre propre expérience. On peut dire avec certitude que les sanctions ne permettent pas d'atteindre les objectifs recherchés par les organisateurs de ces pressions illégales.
De toute évidence, la décision de Paris et de ses alliés occidentaux de mettre fin à l'opération antiterroriste Barkhane et aux activités de la task force européenne Takuba au Mali ne contribue pas à rétablir la sécurité. Il existe une menace réelle de voir apparaître des enclaves avec des vides de pouvoir, où les militants de différentes unités illégales peuvent faire ce qu'ils veulent. Ils se sont déjà préparés à l'action. Cela menace l'intégrité territoriale du pays. Nous en avons parlé plus d'une fois à nos collègues français. Leur mécontentement à l'égard des dirigeants maliens qui demandent l'aide de sources extérieures de protection et de sécurité est tout simplement une rechute du type de pensée coloniale que les Européens auraient dû abandonner depuis longtemps.
Nous avons réaffirmé la volonté de la Russie, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, de continuer à contribuer à la normalisation de la situation au Mali et de fournir une aide globale sur une base bilatérale, en partie pour renforcer les capacités de combat de ses forces armées et la préparation de son personnel militaire et des forces de l'ordre.
Nous échangeons régulièrement des évaluations de la situation dans la zone saharo-sahélienne et en Afrique occidentale, notamment en Guinée, au Burkina-Faso et au Tchad, ainsi qu'en Libye. Nos amis maliens partagent notre point de vue selon lequel les Africains eux-mêmes doivent avant tout régler les crises politiques internes en Afrique dans l'intérêt des Africains. Le travail de la communauté internationale est de leur apporter le soutien nécessaire. C'est ce que fait la Russie.
Nous avons remercié nos amis maliens d'avoir soutenu les résolutions russes lors de la 76e session de l'Assemblée générale des Nations unies. La délégation malienne a soutenu toutes nos initiatives. Nous avons convenu de renforcer la coordination au sein de l'ONU et d'autres plateformes internationales. Nous avons l'intention de le faire au sein du Groupe des amis pour la défense de la Charte des Nations unies, récemment créé à New York.
Nous avons évoqué la situation en Ukraine et autour d'elle, en partie, dans le contexte de la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies d'hier sur la sécurité alimentaire mondiale. Les pays occidentaux ont à nouveau tenté de rejeter la faute sur la mauvaise personne. Ils ont prétendu que la crise qu'ils ont créée entièrement par eux-mêmes, n'a pour origine que ce qui se passe maintenant autour de l'Ukraine et ont accusé la Russie de tout.
Je tiens à remercier nos collègues pour les discussions utiles et l'invitation à visiter Bamako, ce que je ne manquerai pas de faire.
Question : La Russie a renforcé sa coopération avec le Mali et d'autres pays qui sont traditionnellement sous influence française. Compte tenu des circonstances, y a-t-il un risque que la confrontation entre la France et la Russie au Mali s'intensifie ? Moscou envisage-t-il de discuter avec Paris de la coopération dans ces pays ?
Sergey Lavrov : Je suis d'accord avec ce que mon collègue a dit. Puisque votre question porte sur les relations entre la Russie et la France dans le contexte de l'évolution de la situation en Afrique, j'ai la chose suivante à dire. Nous comprenons, mais nous n'aimons pas vraiment les tentatives de la France ou d'autres pays de l'UE de revendiquer la domination d'une région particulière, y compris l'Europe. Lorsque la Russie développait - comme elle continue de le faire - des contacts étroits avec la Serbie, la Bosnie-Herzégovine et d'autres pays des Balkans occidentaux, Federica Mogherini, alors déjà Haute représentante de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a déclaré de manière assez catégorique que l'UE était préoccupée par les tentatives de la Russie d' « infiltrer » les Balkans occidentaux, car ils sont le domaine de l'UE.
En parlant de l'Afrique, j'ai rencontré le ministre français des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian et l'actuel haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell lors de la session de l'Assemblée générale des Nations unies qui s'est tenue à New York en septembre 2021.
Tous deux ont exprimé, de manière plutôt tendue, leur inquiétude quant à l'élargissement des contacts de la Russie avec l'Afrique, en particulier le Mali. Ils ont exposé leur position d'une manière plutôt coloniale : L'Afrique est la zone de responsabilité, d'influence et d'intérêts de l'UE. Je ne peux pas accepter ce genre d'arguments, car il s'agit de néocolonialisme pur et simple et d'une incapacité à se défaire des vieilles habitudes qui ont conduit l'Afrique à une situation critique à l'époque. Les échos du passé colonial sont encore perceptibles, notamment les frontières entre les États africains qui ont été tracées sans tenir compte d'autres facteurs que les possessions coloniales de certaines puissances.
Il existe d'autres difficultés auxquelles nos amis africains sont aujourd'hui confrontés. J'ai rejeté ces affirmations et rappelé à nos partenaires de l'UE (en parlant de qui était historiquement présent où) que lorsqu'il s'agit des territoires contigus à la Fédération de Russie, ils n'hésitent pas à élaborer diverses stratégies (la stratégie arctique ou la stratégie pour l'Asie centrale) et à les proposer ensuite aux pays de la région. Sans parler de la profondeur de l'implantation de l'UE en Ukraine. Elle y a développé divers programmes pendant de nombreuses années après l'indépendance de l'Ukraine. Nous ne leur avons rien dit, car ils opéraient en toute liberté à proximité des frontières de la Fédération de Russie. Ces deux poids, deux mesures sont tristes. Nous sommes prêts à discuter de toute question internationale avec nos collègues occidentaux de France ou d'ailleurs, mais à une condition : Nous le ferons de manière civilisée et dans le respect des intérêts de chacun et, surtout, du droit de toute région ou de tout pays en question (dans ce cas, le Mali) à choisir ses partenaires librement et sans aucun diktat. Nos collègues français essaient maintenant de dicter au Mali avec qui il peut ou ne peut pas communiquer. Ceci est inacceptable et ne donne pas une bonne image de la République française ou des bonnes manières françaises.
Question (retranscrite du français) : Le Mali a un projet clair pour demain qui est de recevoir des hydrocarbures. La Russie est-elle prête à fournir ces hydrocarbures au Mali ?
Sergueï Lavrov : Nous avons précisé tout à l'heure que la visite actuelle du ministre Diop était axée sur les liens bilatéraux actuels et futurs dans tous les domaines, principalement le commerce et l'économie. La délégation conduite par le ministre comprend des chefs d'autres ministères, notamment le ministère des Transports et des Infrastructures, le ministère de l'Économie et des Finances, et le ministère des Mines, de l'Énergie et de l'Eau, ce qui signifie que le Mali est sérieux dans la poursuite d'accords spécifiques. La délégation a déjà eu et aura d'autres réunions avec des départements et ministères spécifiques de la Fédération de Russie. Nous pouvons déjà parler de résultats. Nous poursuivrons ces accords par l'intermédiaire du ministère des Affaires étrangères en tant que coordinateur de nos relations avec les pays étrangers, en l'occurrence, nos amis maliens.
Les discussions ont porté sur les questions que vous avez mentionnées, notamment les livraisons de blé, d'engrais et de produits pétroliers. Toutes ces questions sont traitées par les services compétents. Sur la base des résultats de cette visite, nous allons soumettre des propositions au gouvernement de la Fédération de Russie.
Source: mid.ru
Traduction Arretsurinfo.ch