21/05/2022 lesakerfrancophone.fr  9min #208591

 Si l'Ukraine gagne, pourquoi les États-Unis demandent-ils un cessez-le-feu ?

Ukraine. La débâcle commence

Par  Moon of Alabama − Le 20 mai 2022

Le 14 mai, je faisais  remarquer que les États-Unis avaient demandé à la Russie un cessez-le-feu en Ukraine :

Le compte-rendu américain de l'appel  dit :

« Le 13 mai, le secrétaire à la Défense Lloyd J. Austin III a parlé avec le ministre russe de la Défense Sergey Shoygu pour la première fois depuis le 18 février. Le secrétaire Austin a demandé instamment un cessez-le-feu immédiat en Ukraine et a souligné l'importance de maintenir les lignes de communication. »

Austin est à l'origine de l'appel et les États-Unis cherchent à obtenir un cessez-le-feu en Ukraine !!!

Hier, les officiers supérieurs étasunien et russe se sont  parlés au téléphone et là encore, les États-Unis avaient initié l'appel :

Le général Mark Milley, président des chefs d'état-major interarmées, et le général Valery Gerasimov, chef de l'état-major général russe, ont eu une conversation que le Pentagone a refusé de détailler au-delà de la reconnaissance de l'événement.

Les choses doivent aller mal en Ukraine pour que cela se produise. En effet, si l'on se fie à la « liste d'activité » publiée quotidiennement par le ministère russe de la Défense,  toutes les  positions de l'armée ukrainienne sont soumises à des tirs d'artillerie lourde et celle-ci perd environ 500 hommes par jour. En plus, des frappes russes efficaces sont menées sur des camps d'entraînement, des sites de stockage d'armes et des plates-formes de transport dans tout le pays.

En outre, la situation tactique sur la ligne de front orientale a changé après que les forces russes ont réussi à franchir la ligne de front fortement fortifiée.

Source :  liveuamap.com -  Agrandir

Il y a quelques jours, l'armée russe a avancé le long de la route H-32, a percé la ligne en direction de Propasna et a pris la ville. Depuis, elle a étendu son avancée en prenant plusieurs villages au nord, à l'ouest et au sud.

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Cette percée donne la possibilité de remonter les fortifications ukrainiennes le long de la ligne de front par des attaques de flanc ou par l'arrière. En coupant les lignes de ravitaillement des troupes ukrainiennes au nord et au sud, des enveloppes peuvent être créées qui mèneront finalement à des chaudrons sans issue pour les troupes ukrainiennes.

Ceci est particulièrement dangereux pour les quelques milliers de soldats au nord du renflement qui défendent actuellement les villes de Sieverodonetsk et Lysychansk dans la partie nord-est de la bulle supérieure.

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Le plan russe était de faire une autre percée du nord en poussant jusqu'à Siversk pour ensuite fermer l'enveloppe supérieure. Mais après plusieurs tentatives infructueuses de traverser la zone forestière et la rivière Seversky Donets, cette percée n'a toujours pas eu lieu.

La Russie est maintenant susceptible de pousser des troupes fraîches dans le renflement de Propasna pour étendre sa portée dans toutes les directions. Les rapports sur les actions en cours montrent que les combats et les bombardements intensifs sur la ligne de front se poursuivent et que les bombardements continuent également de cibler les carrefours logistiques.

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Les autres fronts en Ukraine sont actuellement relativement calmes, avec peu de tirs directs. Pourtant, les attaques d'artillerie russes, toujours quotidiennes, touchent toutes les lignes de front ukrainiennes et font des victimes chaque jour.

Quelque 2 000 soldats de la milice Azov et de l'armée ukrainienne ont quitté les catacombes d'Azovstal à Mariupol. Un millier d'autres pourraient encore s'y trouver. L'armée russe filtre ces prisonniers. Les membres de la milice Azov et d'autres milices seront traduits en justice. Les soldats de l'armée ukrainienne deviendront des prisonniers de guerre.

La pénurie d'essence et de diesel en Ukraine a actuellement de graves répercussions. Même l'armée ukrainienne rationne désormais son carburant. Depuis environ six semaines, la Russie a systématiquement bombardé les raffineries et les sites de stockage de carburant en Ukraine. Elle a également détruit les ponts ferroviaires le long des lignes qui acheminaient le carburant depuis la Moldavie et la Roumanie.

Dans le même temps, le gouvernement ukrainien continuait à réglementer le prix du carburant. Les prix de vente au consommateur du diesel et de l'essence sont fixés. Du coup, le coût du carburant importé de Pologne par des camions privés dépassait le prix que les propriétaires de stations-service pouvaient le vendre. En conséquence, les stations-service se sont retrouvées à sec, leurs propriétaires s'abstenant d'acheter du nouveau carburant.

Il y a trois jours, le régime de Zelensky à Kiev a finalement  mis fin au contrôle du prix du carburant :

Selon le (ministre de l'économie) Svyrydenko, le gouvernement s'attend à ce que le prix maximum du diesel ne dépasse pas 58 UAH (1,97 $) et celui de l'essence 52 UAH (1,76 $) par litre, une fois le contrôle levé.

« Dès que nous aurons le sentiment que les opérateurs du marché abusent de leur position, nous leur imposerons des sanctions », a-t-elle ajouté. « Nous surveillerons la situation au quotidien ».

Les prix prévus sont inférieurs à ceux demandés actuellement en Allemagne, et ce sans avoir à transporter le carburant par camion sur les 600 kilomètres qui séparent la Pologne de Kiev. La menace de sanctions signifie également que les grossistes locaux seront peu incités à vendre du carburant. Le salaire moyen en Ukraine étant d'environ 480 dollars par mois, les prix réels du carburant deviendront bientôt un autre choc économique.

Le gouvernement ukrainien poursuit également  ses attaques contre les syndicats et le droit du travail :

En mars, le Parlement ukrainien a adopté une loi de guerre qui  réduit considérablement la capacité des syndicats à représenter leurs membres, a introduit la « suspension de l'emploi » (ce qui signifie que les employés ne sont pas licenciés, mais que leur travail et leur salaire sont suspendus) et donne aux employeurs le droit de suspendre unilatéralement les conventions collectives.

Mais au-delà de cette mesure temporaire, un groupe de députés et de fonctionnaires ukrainiens vise désormais à « libéraliser » et à « désoviétiser » davantage le droit du travail du pays. Selon un projet de loi, les personnes qui travaillent dans des petites et moyennes entreprises - celles qui comptent jusqu'à 250 employés - seraient, de fait, exclues du droit du travail en vigueur dans le pays et couvertes par des contrats individuels négociés avec leur employeur. Plus de 70 % de la main-d'œuvre ukrainienne serait touchée par ce changement.

Dans un contexte où l'on craint que les responsables ukrainiens ne profitent de l'invasion russe pour faire passer une déréglementation radicale du droit du travail attendue depuis longtemps, un expert a averti que l'introduction du droit civil dans les relations de travail risquait d'ouvrir une « boîte de Pandore » pour les travailleurs.

Au total, la situation socio-économique de l'Ukraine est catastrophique. La situation militaire est encore pire. Marioupol est tombée et les troupes russes qui y sont encore pourront bientôt aller ailleurs. L'avancée à Propasna menace d'envelopper toute la ligne de front nord ainsi que le noyau de l'armée ukrainienne.

On ne parle plus de la « victoire » de l'armée ukrainienne, comme à Kiev ou à Karkov, où les troupes russes se sont retirées en bon ordre après avoir fini de tenir les forces ukrainiennes en place.

Le commandement ukrainien a envoyé plusieurs brigades territoriales sur les lignes de front. Ces unités étaient censées défendre leurs villes d'origine. Elles sont composées d'hommes d'âge moyen appelés sous les drapeaux. Ils ont peu d'expérience du combat et manquent d'armes lourdes. Plusieurs de ces unités ont publié des vidéos disant qu'elles abandonnaient. Elles déplorent que leurs commandants les aient quittées lorsque leur situation est devenue critique.

Le fait que l'armée ukrainienne utilise désormais ces unités comme chair à canon montre qu'il ne lui reste que peu de réserves.

Les armes qui arrivent de l'ouest ont du mal à atteindre les lignes de front et ont eu jusqu'à présent très peu d'effet. Elles ne sont que des gouttes d'eau sur une plaque chauffante.

Toutes ces raisons expliquent pourquoi Austin et Milley ont téléphoné à leurs homologues russes. Ce sont également les raisons pour lesquelles les rédacteurs du New York Times  appellent l'administration Biden à cesser ses fanfaronnades et à adopter une position plus réaliste :

Les récentes déclarations belliqueuses de Washington ; l'affirmation du président Biden selon laquelle M. Poutine « ne peut pas rester au pouvoir », le commentaire du secrétaire à la défense Lloyd Austin selon lequel la Russie doit être « affaiblie » et la promesse de la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, disant que les États-Unis soutiendront l'Ukraine « jusqu'à ce que la victoire soit remportée », sont peut-être des proclamations de soutien enthousiastes, mais ne favorisent pas des négociations.

En fin de compte, ce sont les Ukrainiens qui doivent prendre les décisions difficiles : Ce sont eux qui se battent, meurent et perdent leurs maisons à cause de l'agression russe, et ce sont eux qui doivent décider à quoi pourrait ressembler la fin de la guerre. Si le conflit débouche sur de véritables négociations, ce seront les dirigeants ukrainiens qui devront prendre les douloureuses décisions territoriales qu'exigera tout compromis.

(Alors que la guerre se poursuit, M. Biden devrait également faire comprendre au président Volodymyr Zelensky et à son peuple qu'il y a une limite à ce que les États-Unis et l'OTAN sont prêts à faire pour affronter la Russie, et une limite aux armes, à l'argent et au soutien politique qu'ils peuvent rassembler. Il est impératif que les décisions du gouvernement ukrainien soient fondées sur une évaluation réaliste de ses moyens et de la quantité de destruction que l'Ukraine peut encore supporter.

Affronter cette réalité peut être douloureux, mais ce n'est pas de l'apaisement. C'est ce que les gouvernements ont le devoir de faire, et non de courir après une « victoire » illusoire. La Russie ressentira la douleur de l'isolement et des sanctions économiques débilitantes pendant des années encore, et M. Poutine entrera dans l'histoire comme étant un boucher. Le défi consiste maintenant à se cesser toute euphorie, à arrêter de se gausser et à se concentrer sur la définition et l'achèvement de la mission. Le soutien de l'Amérique à l'Ukraine est un test de sa place dans le monde au XXIe siècle, et M. Biden a l'occasion et l'obligation de contribuer à définir ce qu'elle sera.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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