Journal dde.crisis de Philippe Grasset
Quoi qu'il en soit, le moment fut exotique, marqué notamment par son « Fuck the UE » (« Que l'UE aille se faire foutre »), qui alla même jusqu'à faire s'excuser la Nuland auprès des vertueuses collectivités de la direction-UE. Pour autant (bis et re-bis), cela "ne modifia guère l'avis général sur la vertu américaniste alors et aujourd'hui".
Mais bon, cela resta dans les annales... Et voilà que l'on apprend que le non-moins vertueux 'YouTube' vient de faire sauter l'enregistrement de son catalogue. Singulière manœuvre qui a le curieux effet à contre-temps pour le censeur imbécile, en pleine Ukrisis, de nous rappeler qui en est la cause première dans la séquence présente, sans pour autant faire disparaître la pièce à conviction qui a été sécurisée de tous les côtés. Je pense que les algorithmes-censureuses sont encore plus imbéciles si c'est possible que les censeurs eux-mêmes et n'ont de cesse de rendre ces mêmes censeurs qui les ont activés, eux-mêmes encore plus imbéciles. De ce point de vue, ils se perdront irrésistiblement dans leur Mer des Sargasses-imbéciles.
Tout cela pour constater que 'ConsortiumNews' (CN), ayant odentifié le forfait, s'est empressé d'éditer une version écrite de l'entretien, pour que l'échange Nuland-Pyatt reste dans les archives. L'article de CN) qui nous présente l'affaire, reprend la version de la transcription de la BBC, postée le 7 février 2014 qui est, elle, toujours en ligne. (C'était le temps où la BBC conservait, épars, quelques débris de la BBC qu'on a oubliés de "canceller".) La vidéo de l'entretien qui a été retirée, avait été postée le 29 avril 2014 et avait bénéficié de 181 533 vues ; sauvegardée par CN, on la trouve donc toujours accessible Nuland-Pyatt leaked phone conversation _COMPLETE with SUBTITLES , mise en place par le même CN, et non encore censurée... Qui plus est, un 'addendum' à l'article original de CN signale qu'il existe une version de l'entretien avec des sous-titres en russe, qui bat, et de loin, tous les records de vision : près de 1,5 million de vues (1 480 875).
Pour mon compte, j'en ai assez dit pour ce qui est de la présentation de la chose, qui constitue, - je le répète parce que je n'arrive pas à me défaire de ma stupéfaction devant une telle maladresse, - un excellent rappel pour fixer les véritables responsabilités, puisque l'entretien reste partout disponible. J'en donne une version adaptée plus que traduite parce qu'elle est fortement hachée et marquée d'un langage de copinage bureautique parfois obscur ; je les assigne tous deux et d'office, Nuland et Pyatt, au tutoiement de camarades de combat puisqu'on les a vus côte-à-côte au milieu des foules pré-Maidan de décembre 2013 à Kiev, distribuer brioches et hamburger-McDo au nom de la civilisation millénaire... Puis, suivront quelques réflexions que je ne juge pas inintéressantes.
Ainsi, il était une fois en février 2014, au tout début, dans la 'FuckLand' du Victoria...
Victoria Nuland : « Qu'en penses-tu ? »Pyatt : « Je pense que nous sommes en train de jouer gros. Dans la pièce, Klitschko [Vitaly Klitschko, l'un des trois principaux chefs de l'opposition, boxeur poids lourd et actuel maire de Kiev] c'est l'électron libre, le plus compliqué. Il y a l'annonce qu'ils lui donnent le poste de vice-premier ministre ; tu as lu mes notes sur les problèmes de leur arrangement, et que nous essayons de savoir très vite où il en est. Mais je pense que l'argument que tu dois développer, lors de ton prochain appel téléphonique, ce devrait être exactement celui que tu as présenté à Yats [Arseniy Yatseniuk, un autre chef de l'opposition]. Je suis très content que tu l'as en quelque sorte mis à sa bonne place dans le scénario. Et sa réponse, je la trouve très satisfaisante. »
Victoria Nuland : « Bien. Je ne pense pas que Klitsch devrait entrer au gouvernement. Je ne pense pas que ce soit nécessaire, je ne pense pas que ce soit une bonne idée. »
Pyatt : « Ouais. Je suppose... en ce qui concerne cette idée qu'il n'entre pas dans le gouvernement, on le laisse simplement continuer ses activités et on ne fait rien de plus. Je m'intéresse simplement au processus en cours, avec l'idée de conserver les démocrates modérés ensemble. Le problème va être Tyahnybok [Oleh Tyahnybok, l'autre chef de l'opposition du parti 'Svoboda', ouvertement fasciste] et ses gars et je suis sûr que cela fait partie des manœuvres actuelles de [du président Viktor] Ianoukovitch... »
Victoria Nuland : « [L'interrompant] Je pense que Yats est le gars qui a l'expérience économique, l'expérience de gouvernance. Il est le... Ce qu'il faut, c'est que Klitsch et Tyahnybok restent en dehors. Ils doivent se rencontrer plusieurs fois par semaine pour travailler ensemble, tu sais. Je pense juste que Klitsch là-dedans... S'il doit être à ce niveau pour travailler avec Yatseniuk, ça ne marchera pas, il ne fait pas le poids. »
Pyatt : « Ouais ouais, non, je pense que c'est vrai. Absolument d'accord, c'est réglé. Veux-tu que nous organisions une rencontre avec lui comme prochaine étape ? »
Victoria Nuland : « D'après ce que j'ai compris - mais dis-moi si j'ai tort, - c'est que les trois grands allaient à leur propre réunion et que Yats allait proposer dans ce contexte une... conversation à trois plus un ou à trois plus deux avec toi. N'est-ce pas ainsi que tu l'as compris ? »
Pyatt : « Non. Je pense... Je veux dire que c'est bien ce qu'il a proposé d'abord mais je pense que, connaissant simplement la dynamique qui s'est développée et dans laquelle Klitschko a joué un grand rôle, il va laisser un peu de temps avant la réunion prévue et en attendant il oriente ses partisans à ce point ; donc je pense que le fait de l'approcher directement aide à la gestion de la personnalité entre les trois et cela te donne également une chance d'agir rapidement sur tout cela et de nous mettre en position de contrôle avant qu'ils ne sz réunissent et qu'il explique pourquoi il n'aime pas ça. »
Victoria Nuland : « D'accord, bien. Je suis heureux de tout ça. Pourquoi ne pas le contacter et voir s'il veut parler avant ou après ? »
Pyatt : « OK, je le ferai. Merci. »
Victoria Nuland : « OK... encore un truc pour toi Geoff. [Un déclic se fait entendre] Je ne me souviens pas si je t'en ai dit parlé, ou si j'en ai parlé seulement à Washington... Lorsque j'ai parlé ce matin à Jeff Feltman [Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux affaires politiques], il avait un nouveau nom pour le poste à l'ONU, Robert Serry, je t'ai écrit ça ce matin ? »
Pyatt : « Ouais j'ai vu.
Victoria Nuland : « D'accord. Il a obtenu que [le secrétaire général de l'ONU] Ban Ki-moon acceptent que Serry puisse venir lundi ou mardi. Ce serait donc formidable, je pense, d'arranger notre affaire avec l'aide de l'ONU ; et alors, hein, que l'UE aille se faire foutre. »
Pyatt : « Pas exactement. Je crois que nous devons faire quelque chose pour qu'ils [les gens de l'UE] restent solidaires parce que tu peux être sûre que s'ils commencent à quitter la formation les Russes travailleront dans les coulisses pour essayer de torpiller cette affaire. Et encore une fois, le fait que cela se passe en ce moment, j'essaie toujours de comprendre comment Ianoukovitch essaie de faire dérailler tout ça. Il y a une réunion des cadres du Parti des Régions en ce moment et je suis sûr qu'il y a une discussion animée en cours dans ce groupe à ce stade. Quoi qu'il en soit, nous pourrions parvenir à verrouiller tout ça par le haut si nous agissons rapidement. Alors laisse-moi travailler sur Klitschko et si tu peux juste poursuivre de ton côté... Nous voulons juste essayer de faire venir quelqu'un avec une personnalité de stature internationale pour aider à boucler cette opération. L'autre aspect est de comprendre l'approche de Ianoukovitch, mais nous tomberons probablement d'accord sur ce point demain, lorsque nous verrons comment les choses commencent à se mettre en place. »
Victoria Nuland : « Bien et un dernier point, Geoff, quand j'ai écrit la note [le conseiller à la sécurité nationale du vice-président américain Jake] Sullivan a réagi aussitôt, VFR ['Very Fast Return'], disant que tu aurais besoin [du vice-président américain Joe] Biden et j'ai dit probablement qu'on mettrait demain les détails au point. Donc, Biden est prêt. »
Pyatt : « D'accord. Génial. Merci. »
Quelques considérations PhG
Je dois avouer que je n'avais jamais lu le document du verbatim de cette conversation avec une telle attention, très loin s'en faut. Cette fois, pour cause de traduction-adaptation, j'y ai été contraint. Il s'avère que c'est une conversation essentielle du coup d'État du Maidan par les USA. Finalement, dans le ton, le détail, la minutie, c'est presque un "coup d'État démocratique" ; on croirait une conversation entre deux "formateurs" d'un nouveau gouvernement comme il y a, en Belgique, un processus où le Roi nomme un Formateur pour faire un tour de table des partis avant de mettre au point une combinaison menant à un gouvernement viable, correspondant je l'espère aux intérêts de la Belgique, - si les intérêts et la Belgique existent ; sauf qu'ici le Formateur (les formateurs) sont deux-hauts fonctionnaires US et qu'ils ont été nommés par le secrétaire d'État des États-Unis pour parvenir à un gouvernement qui correspondra aux intérêts des États-Unis...
Et alors, c'est un tournant dans la méthodologie US pour prendre le contrôle d'un pays étranger.
• En voyant en parallèle à ce travail le film 'Ukrain in Fire' réalisé en 2016 par Oliver Stone (disponible en version sous-titrée français), qui raconte cette prise de pouvoir, on prend conscience qu'après la chute du communisme et de l'URSS, les USA modifièrent complètement leur méthodologie de prise du pouvoir chez les autres. Ils abandonnèrent la priorité donnée aux méthodes d'action violente (coup d'État militaire par la violence armée, organisé par la CIA) pour une méthode plus soft dont l'Ukraine-2014 est l'archétype achevé.
• Ils passèrent à la "révolution de couleur" avec moins ou pas de violence mais l'utilisation de la pression des foules, mais les résultats furent mitigés. Avec l'Ukraine, le "coup d'État démocratique" précède la "révolution de couleur" et achève le schéma : la "révolution de couleur" n'est plus la cause d'un "coup d'État démocratique" incertain, puisque le gouvernement nouveau est formé hors de toute méthodologie, elle est la conséquence du "coup d'État démocratique" puisqu'ouvrant la voie à un gouvernement-fantôme déjà formé par le département d'État, - le seul organisme disposant des contacts et des méthodes pour pénétrer en douceur les milieux politiques pour former le gouvernement-fantôme prêt à entrer en fonction. La "révolution de couleur" vient ensuite pour adouber la chose.
• La conséquence de ce changement de méthodologie est que l'instrument central et directeur de l'action US est le département d'État, et non plus la CIA. Cette évolution se fit à partir des années 1990 après la transformation complète de la CIA en instrument d'action violente, précurseuse des "forces spéciales" avec lesquelles, depuis, la CIA a quasi-complètement fusionné.
• Dans le cas ukrainien, la CIA, qui n'aime guère perdre de ses prérogatives, a finalement tout de même joué un rôle en intervenant un février 2014 en mode-"forces spéciales" pour transformer le "coup d'État démocratique" du département d'État en émeute ultra-violente qui changea complètement les conditions et mit au premier plan les forces extrémistes, hyper-nationalistes et néo-nazies, qui s'imposèrent comme partenaires incontournables du nouveau gouvernement déjà prêt à prendre le pouvoir. Du coup, la formule-soft du département d'État se transforma en une forme de gouvernement beaucoup plus violent, conduisant aux mesures extrémistes antirusses et anti-russophones, vers une situation de pression extrême, voire d'autoritarisme totalitaire dans certaines zones, - désormais, totalement avec le clown-Zelenski, devenu le masque grotesque de cette pathologie du Système qui ne parvient plus qu'à faire du totalitarisme-bouffe. Tout cela entraîna immédiatement (dès le printemps 2014) la violence qu'on connaît, avec notamment les lois anti-russophones, la guerre du Donbass, la sécession de la Crimée, et un régime policier autoritaire paradoxalement au sein d'un désordre que ne pouvait contenir le gouvernement conçu pour établir et diriger une situation bien contrôlée permettant une prise en main en douceur de l'Ukraine par les USA.
• On peut entendre, dans une interview d'Obama à CNN le 31 janvier 2015, le président US dire la phrase ci-dessous à propos du renversement brutal du 21 février à Kiev, alors qu'un accord avait été signé entre trois ministres de pays de l'UE (Pologne, Allemagne, France), le président Ianoukovitch et son opposition (où se trouvait le "gouvernement-fantôme" US) ; accord aussitôt et complètement déchiré par l'émeute brutale poursuivant le Maidan sous l'impulsion de l'extrême-droite ; tout cela alors que Poutine se trouvait encore tranquillement au Jeux Olympiques de Sotchi (prévus jusqu'au 23 février)... Et cette phrase dite pour Poutine et exonérant le président russe de toute ambition impérialiste, vaut en un sens aussi pour Obama lui-même, avec le département d'État doublé par la CIA et ses "forces spéciales" diverses, dont les néo-nazies...
«... [E]t dès lors que Mr. Poutine prit sa décision concernant la Crimée et l'Ukraine, - non pas selon un projet de grande stratégie mais parce qu'il avait été pris de cours par les protestations du Maidan suivies de la fuite de Ianoukovitch après que nous ayons arrangé un accord de transition de gouvernement en Ukraine... »
•... Alors, qui dira d'où vient Ukrisis ? Moi, je pense que les événements ("souveraineté spirituelle") ont joué leur jeu en manipulant des forces humaines concurrentes, même si du même camps, imposant en Ukraine une hyper-instabilité et donnant l'essentiel du pouvoir à une puissante composante extrémiste, néo-nazie et antirusse dont le dessein était bien la guerre contre la Russie. Entretemps, comme on imagine, le département d'État s'est reclassé, a pris l'extrémisme à son compte parce que, pour lui, seule compte la bataille bureaucratique, et de reprendre la main que la CIA lui a dérobé pour un temps de grande violence et de viol des accords tout frais signés.