Nous avons beaucoup parlé ces derniers mois, du Mexique et surtout de son président, Lopez Obrador, dit AMLO avec ses initiales complètes. Il tient avec son pays un rôle très particulier vis-à-vis de son voisin du Nord qui est la matrice de la GrandeCrise. Depuis le début de l'année et depuis le début d'Ukrisis, nous avons beaucoup parlé d'AMLO et du Mexique, en correspondance aussi bien avec le rôle des USA qu'avec Ukrisis, marquant ainsi leurs préoccupations et leur rôle essentiels tant régionaux qu'internationaux :
• Le 30 janvier 2022, « Paroles d'AMLO » ;
• le 2 mars 2022, « Le Mexique est-il l'Ukraine des USA ? » ;
• le 3 mars 2022, « Suis-je l'Ukraine de mon désordre ? » ;
• le 16 mars 2022, « Ukrisis, ou la révolte du Sud profond » ;
• le 28 mars 2022, « Un nouveau "front" au Sud ? » ;
• le 18 avril 2022, « RapSut-USA2022 : La passoire du Sud »
• le 12 mai 2022, « "Si loin de Dieu",... si près des USA »
• le 11 juin 2022, « Monroe pleure sa doctrine »
Ce que nous voulons mettre en évidence, déjà signalé plus haut et ici détaillé pour montrer l'importance du cas, c'est la position singulière du Mexique, avec chaque fois une politique à mesure, - par rapport aux USA et à sa crise intérieure, par rapports à la crise de cette puissance avec le groupe des Latinos des Amériques, et par rapport à Ukrisis. Ce pays a donc un rapport unique avec les facteurs essentiels de la GrandeCrise, et Obrador a une posture politique et une politique tout court qui tiennent compte de tous ces facteurs :
Il est sur l'immense frontière du Sud des USA, où se développe une énorme crise migratoire ;
Il assure de facto le leadership de la contestation des Latinos des Amériques qui refusent de constituer l'arrière-cuisine de la basse-cour Sud des USA ;
Il ne cesse d'affirmer une position de plus en plus dure à l'encontre de la politique américaniste-occidentaliste antirusse dans le cadre enchanteur d'Ukrisis.
C'est dans ce dernier domaine qu'on observe la toute dernière sortie d'AMLO, marquant un pas de plus dans le durcissement de sa position anti-USA/anti-bloc-BAO. Il attaque en effet les livraisons d'armes faites aux Ukrainiens, qui ne font que prolonger la guerre, - "je fournis les armes, vous fournissez les morts".
« S'adressant aux journalistes lors de son point de presse quotidien lundi, Obrador a abordé le conflit Ukraine-Russie. S'il s'est abstenu de désigner un pays en particulier, il a déclaré que ceux qui envoient des armes à Kiev, - une politique fortement encouragée par les États-Unis et la plupart de leurs alliés de l'OTAN, - contribuent à faire des victimes dans tous les camps."Comme il est facile de dire : 'Voilà, j'envoie tant d'argent pour des armes, je fournis les armes et vous fournissez les morts'. C'est immoral", a-t-il déclaré, ajoutant : "La guerre en Ukraine n'aurait-elle pas pu être évitée ? Bien sûr. Cette politique a échoué et regardez les dégâts qu'elle cause, la perte de vies humaines". »
Cette intervention d'AMLO le place un peu plus dans une position internationale à partir de son leadership régional de l'Amérique Latinos. Il étend ainsi peu à peu (au regard de ses précédentes interventions concernant Ukrisis) son domaine d'activité hors de la sphère des Amériques., et bien sûr selon une orientation qui se fait de plus en plus anti-BAO, c'est-à-dire anti-USA. On comprend que cet activisme le rapproche d'une dynamique générale qui concerne tous les acteurs importants du courant anti-impérialiste, anti-occidentaliste, de cet Occident qui a épousé aveuglément et passionnément la conception atlantiste (OTAN, UE et le reste).
L'hypothèse d'un 'G-8'
C'est à cette lumière qu'on va rappeler une très récente intervention du Speaker de la Douma russe, évoquant la répartition des puissances (économiques, démographiques, etc.) rassemblées par les effets des sanctions antirusses, au nom d'une opposition à ces sanctions, et en subissant les effets. Cette intervention est une attaque non dissimulée contre l'ancien G-8 réduit au G-7, et prétendant rassembler les plus grandes puissances du monde (en termes économiques au moins), et continuant à prétendre se poser en une sorte de "directoire du monde". RT.com notait, le 11 juin :
« Dans une communication sur 'Telegram', le Speaker de la Douma Viacheslav Volodine a inclus un tableau avec des données du FMI sur le PIB basé sur la parité de pouvoir d'achat (PPA) des pays qu'il appelle le "nouveau G8" et des pays formant l'actuel G7 (après la suspension de la participation de la Russie au bloc en raison du vote de la Crimée en 2014, le G8 s'est effectivement transformé en G7).» "Le groupe des huit pays ne participant pas aux guerres des sanctions rassemblés en termes de PIB mesuré en PPA, - Chine, Inde, Russie, Indonésie, Brésil, Mexique, Iran, Turquie, - a une avance de 24,4% sur l'ancien groupe", écrit Volodine.
» Selon lui, les économies des membres du G7, - États-Unis, Japon, Allemagne, Grande-Bretagne, France, Italie et Canada, - continuent à "s'effondrer sous le poids des sanctions imposées à la Russie". »
On remarque évidemment que le Mexique fait partie de cette évocation d'un "nouveau G-8" et qu'il se trouve ainsi comptabilisé dans une hypothèse dont le caractère hautement politique serait aussitôt évident. En fait, on n'est pas loin de suggérer qu'il s'agirait d'un BRICS élargi (où l'on trouve par ailleurs l'Afrique du Sud, puissance africaine qui permet à ce continent de figurer), où l'Amérique Latine avec le Mexique aurait une place et un poids importants. Cette place et ce poids auraient une importance politique également si, par exemple justifié par sa position dans les sondages, Lula redevenait (après ses premiers mandats des années 2000) président en octobre face à Bolsanaro. Au-delà, on peut imaginer d'autres nébuleuses en formation avec ces mêmes groupes de pays, par exemple autour d'organisations telles que l'OCS (Organisation de Coopération de Shanghai) dont l'élargissement au-delà de sa sphère régionale et continentale serait plus que justifié par l'élargissement constant de l'OTAN.
Ce que nous sous-entendons d'une façon générale, c'est que cette affirmation constante de Lopez Obrador, même avec un Mexique prudent du fait de son intime proximité des USA, se place dans le courant général qui a pris corps depuis Ukrisis, d'une façon structurée, très affirmée sinon offensive (ou contre-offensive), pour mettre en cause l'hégémonisme européiste-américaniste. Ainsi, le Mexique, « si loin de Dieu et si près des Etats-Unis », pourrait trouver un nouvel équilibre en faisant de sa proximité des Etats-Unis un atout antiSystème s'il s'avérait que Dieu favorise la "Résistance" en favorisant une organisation dynamique type-BRICS renforcée et opérationnellement dynamisée ; cette proximité passant du stade d'une prudence défensive à celui d'une position de pression offensive au nom d'un groupe à la puissance affirmée, surtout en cette époque cruciale où les USA ne cessent de s'enfoncer de plus en plus profondément dans une crise existentielle sans précédent.
Il nous apparaît bien possible que Lopez Obrador joue cette carte, avec une arrière-pensée qui, outre d'être continentale, se ferait beaucoup plus globale, lui-même devenant un des leaders des "néo-Non-Alignés" du "Sud profond" qui comprendrait tout ce qui n'est pas bloc-BAO. L'hypothèse est largement étayée par la multiplication de ses prises de position, par le fait qu'il ne cesse d'affirmer et de durcir indirectement au départ et de plus en plus directement une position de contestation des hégémonistes occidentalistes-américanistes encalminés comme jamais auparavant dans l'incroyable choc en retour que porte la non moins incroyable cascade de sanctions déchaînée depuis le 24 février. Si effectivement, - nous insistons sur ce point, - Lula redevenait président en octobre au Brésil, c'est toute l'Amérique Latine qui, avec deux leaders structurants des deux plus grands pays du continent, basculerait décisivement dans le camp de la "Résistance".
Mis en ligne le 15 juin 2022 à 15H40