26/06/2022 usbeketrica.com  9 min #210960

« Personne ne devrait être abandonné à l'enfer du béton ! »

Enseignant-chercheur à l'Université Lyon 2, le géographe Guillaume Faburel s'intéresse depuis 20 ans aux enjeux écologiques de l'urbanisation. Il est, entre autres, à l'initiative des  États généraux pour une société écologique post-urbaine qui se dérouleront, pour la deuxième année consécutive, en octobre prochain. Le mot d'ordre : imaginer une nouvelle géographie hors des grandes métropoles. Rencontre.

À l'occasion de la publication de  Pour en finir avec les grandes villes, manifeste pour une société écologique post-urbaine (Le passager clandestin, 2020), Guillaume Faburel postulait,  auprès d' Usbek & Rica, que « le Covid-19 a été... une caisse de résonance sur la question de l'inhabitabilité, l'invivabilité des surdensités, des très grandes agglomérations ».

Deux ans plus tard, l'auteur de l'essai  Les Métropoles barbares (Le passager clandestin, 2018), qui a œuvré avec d'autres organisations à la mise en place des premiers États généraux pour une société écologique post-urbaine, entend bien reconduire cet évènement regroupant une trentaine d'organisations comme le mouvement Colibris, Terre de liens ou encore des organisations prônant la décroissance. Au programme : repenser notre rapport à la terre, imaginer un nouveau modèle agricole, travailler sur le post-urbain, bref, dessiner les contours d'une nouvelle géographie.

Usbek & Rica : En 2020, vous co-fondez les États généraux pour une société écologique post-urbaine. Quels sont les objectifs de ce collectif ?

Guillaume Faburel : Ce mouvement, qui réunit une trentaine d'organisations avec le soutien de la Fondation de l'écologie politique, prône une autre géographie, moins centralisée, polarisée et concentrée autour des grandes villes. Aujourd'hui, il y a plus de 600 villes de plus d'un million d'habitants sur Terre et 50 agglomérations dépassent même les dix millions. L'équivalent d'une ville comme New York sort de terre tous les mois dans le monde. On n'a pas conscience de l'emballement progressif de l'urbanisation sur les 40 dernières années alors que cela pose énormément de problèmes d'un point de vue écologique mais aussi social, d'autant que la grande ville véhicule un imaginaire. Un imaginaire d'illimitation, un imaginaire de démesure, un imaginaire d'éternité... Des constructions de récit qui nous ont complètement déliées du vivant, arrachées de la nature, dépossédés de toute mesure.

Comment mettre à l'agenda politique et médiatique ces problématiques ?

Ces quatre axes évoqués précédemment renvoient à des mots « obus » comme « désurbaniser », « réempaysanner », « relocaliser », « déconcentrer », « décentraliser » et, au bout du bout, « décroître ».

Ce sont quand même des mots qui chatouillent un peu et qui rendent compliqué le rapport au politique et la mise à l'agenda, d'autant que le mouvement est né dans l'idée de ne pas s'adosser à des institutions. La volonté d'interpeller et de mettre en débat politique ces problématiques n'est venue que chemin faisant. Ce qui nous semblait le plus important c'était de nous adresser aux gens très directement. Néanmoins, la mise en place des premiers États généraux en octobre 2021 à Nedde a accouché de l'idée de ne pas s'arrêter à des évènements annuels et d'organiser également des moments d'interpellation. C'est dans cette optique que nous avons organisé une semaine post-urbaine au mois de mars 2022 qui comprenait notamment une adresse aux partis, des mouvements sociaux et des organisations syndicales. Mais je ne vous cache pas que les organisations politiques sont assez embêtés avec cette question...

Vous estimez que ces thématiques ne sont pas assez prises en compte ?

Pour les partis, cette affaire est très embêtante, car désurbaniser et réempaysanner cela veut dire, en quelque sorte, « démétropoliser ». Et quand on regarde de près les programmes politiques, il y a un seul parti qui est allé clairement sur le créneau de la démétropolisation : c'est le Rassemblement National.

Les partis de gauche, qui sont directement, soyons clair, la tendance idéologique de notre mouvement, sont encore très urbaphiles. Ce sont des champs de pensée qui sont nés dans les villes, et particulièrement dans les grandes. Les pensées de gauche, qu'elles soient installées ou radicalisées, considèrent encore la ville comme un lieu de mobilisation, d'émancipation et de transformation. La géographie électorale des présidentielles et des législatives ne fait que le confirmer.

Le problème c'est qu'elles ne voient pas encore que la ville, par sa matérialité et son métabolisme, est écologiquement dramatique : c'est un verrou qu'il reste à faire sauter, un nœud gordien encore à trancher. Ainsi, à l'exception de l'extrême droite qui, pour des raisons très identitaires, cultive de manière traditionnaliste l'idée d'un retour à la terre, l' urbaphilie demeure le centre de gravité et ne permet pas d'envisager sérieusement et simultanément la désurbanisation et le réempaysanement comme progrès et liberté, comme décence écologique et responsabilité sociale. On a appris que plusieurs grandes villes internationales s'enfonçaient sous le poids du béton et l'effet du pompage de l'eau. Il serait temps de changer un peu de lunettes.

Et du côté des médias ?

J'estime qu'il y a quelques fétiches qui jouent le rôle de force d'interposition par rapport à nos idées. Par exemple, le Giec nous dit il y a quelques mois dans son « résumé adressé aux politiques » que, « loin d'être le problème, la ville est la solution » et que c'est dans les métropoles que la réponse peut être la plus efficace. Les économistes réunis pour cette adresse aux politiques vont même jusqu'à dire que c'est la solution pour les mondes ruraux et les peuples autochtones. C'est écrit noir sur blanc.

On est là dans une pensée qui est très normative et technophilique. Le solutionnisme technologique nourrit encore beaucoup d'illusions dans la majorité des médias, illusions sur la résilience et la transition des méga-machines urbaines. Cela interdit d'envisager le rétrécissement urbain, la décroissance urbaine, le débranchement de cette artificialité comme une option véritable, de notre point de vue seule solution viable.

Il n'y a donc vraiment rien à tirer de la technologie ?

Je sais qu'il existe des technologies dites « low tech » qui permettent à l'échelle individuelle ou communautaire d'abaisser son niveau de consommation. Je ne tirerai donc pas un trait définitif sur elle mais telle qu'elle est aujourd'hui envisagée comme solution politique, elle ne fait que nous faire accélérer dans la marche croissanciste en avant.

De plus, sur les deux siècles et demi écoulés, la technique est tout sauf neutre au regard de la situation mondiale que nous connaissons et particulièrement de la situation écologique. Et d'ailleurs, aucune technologie n'est neutre, si l'on en juge notamment les espoirs et les fabulations placées en elle.

Concrètement, comment pourrait se manifester cette géographie post-urbaine ?

D'un point de vue géographique, il faut cibler une strate que l'on a, hélas, trop longtemps mise au pas, pour ne pas dire dépossédée de sa propre fierté. Cette strate, telle qu'on la connaît en France, mais aussi en Allemagne ou en Italie, c'est celle des 10 000 petites villes de proximité, des bourgs-centre, des villages, des hameaux et des lieux-dits.

Il y a un maillage territorial qui couvre la quasi intégralité du territoire hexagonal. Il y a dans ce maillage la possibilité d'insuffler une politique par le bas, au plus près des ressources de vie et des écosystèmes, et ce pour faire autonomie. A condition de ne pas avoir comme modèle la métropole.

Et l'autonomie ce n'est pas l'autarcie. Il y a plein d'interdépendances à repenser, des solidarités à engager. Il faudrait, par exemple, se fédérer autour de bio-régions, en associant étroitement des initiatives qui peuplent déjà le territoire, que ce soit en matière d'habitat coopératif et d'habitat léger et mobile, d'agro-écologie paysanne et de permaculture, de réseaux d'entre-aide et de savoir-faire locaux...

Ces bio-régions auraient des périmètres variables selon les écosystèmes mais qui seraient globalement dessinés par une mobilité non fossile (dans un rayon de 20 à 30 km) pouvant accueillir jusqu'à 40 000 à 50 000 habitants. On a là quelque chose qui offre un potentiel et qui s'appuie sur des ressources existantes : ce n'est pas si illusoire ou idéaliste que ça. Il faut s'engager dans une déconcentration des masses humaines, des masses urbaines.

Il ne s'agit pas pour autant de s'arc bouter sur les modes de vie passés ; il faut composer avec notre modernité. Il y a notamment aujourd'hui trois millions de logements vacants dans les périphéries en France. Il faut être clair, une grande partie sont en ruine. Mais on a entre 500 000 et 600 000 logements que l'on pourrait restaurer très rapidement écologiquement pour proposer un accueil à des gens qui seraient désireux d'habiter ces lieux-là. Bref, il y a des ressources qui existent. Le monde d'après est déjà là.

Entre la guerre en Ukraine qui menace le monde d'une grave crise alimentaire et énergétique, la pandémie qui a ébranlé notre système ou, plus récemment, des épisodes caniculaires qui ont placé les grandes villes sous une cloche de chaleur, assiste-t-on à une fenêtre de tir qui pourrait profiter à la désurbanisation ?

Nous nous sommes rendus, par l'urbain, totalement dépendants vis-à-vis de dispositifs techniques et économiques pour nos propres ressources de vie : manger, se loger, se chauffer, se déplacer... Et les deux évènements proches, hélas, que sont la pandémie et la guerre en Ukraine, ont accéléré la prise de conscience de ces problématiques.

La question de la désurbanisation fait son chemin parce que l'on prend conscience de l'ensemble des chaînes auxquelles nous nous sommes attachées et l'ensemble des dispositifs desquels nous sommes dépendants qui sont écologiquement et humainement aujourd'hui devenus dramatiques. Il nous faudrait collectivement reprendre la main, au plus près des ressources locales et des écosystèmes de vie.

Quels sont les projets à court terme pour le collectif ?

On va lancer incessamment sous peu un appel national autour des bio-régions post-urbaines. Plusieurs collectifs se sont lancés dans la figuration de ce que pourraient être de telles bio-régions dans plusieurs régions françaises. Il s'agirait de diffuser et d'amplifier de telles réalisations comme alternative à la métropolisation des territoires.

Nous allons également reconduire, pour la deuxième année consécutive, des États généraux pour une société écologique post-urbaine qui se dérouleront la première quinzaine d'octobre, selon toute vraisemblance dans une communauté Emmaüs. Pour justement avancer sur interdépendances et autonomie, d'abord avec les plus démunis.

 usbeketrica.com

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