29/06/2022 euro-synergies.hautetfort.com  4min #211156

Rathenau, Rapallo et la droite allemande

Karl Richter

(Page Facebook de Karl Richter)

Il y a quelques jours, c'était le centenaire de la mort de Walther Rathenau. Il a été assassiné le 24 juin 1922 par des fanatiques nationalistes qui lui reprochaient ses origines familiales juives et sa "politique d'accomplissement" envers les puissances victorieuses de la Première Guerre mondiale. Rien n'est plus faux : pendant la guerre, Rathenau s'était distingué plus que quiconque en concentrant tous les efforts d'armement du Reich, en augmentant leur efficacité et en atténuant autant que possible les effets du blocus maritime anglais. Sans la création, à son initiative, d'un office spécifique pour la gestion des matières premières essentielles à la guerre, l'Allemagne aurait probablement été confrontée à une crise des matières premières dès 1914/15. Plus tard dans la guerre, il s'est notamment engagé en faveur de l'emploi massif de civils belges pour les affecter à l'économie de guerre allemande et a même refusé l'armistice en 1918. Pour l'avenir, il envisageait la création d'une zone économique centre-européenne unifiée sous la direction de l'Allemagne - un projet qui fut à nouveau à l'ordre du jour pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque l'on discuta de l'ordre d'après-guerre après une victoire allemande.

En fait, Rathenau était un libéral. Cependant, sous l'influence de la guerre, il s'est imposé comme théoricien de l'économie planifiée et d'une "économie commune", qui devait continuer à marquer l'ordre économique après la guerre. Les sociaux-démocrates s'opposèrent à ce projet, ce qui est révélateur. Il inspira plus tard le "socialisme de guerre" de Lénine - mais encore plus le "miracle de l'armement" allemand, rendu possible par le futur ministre national-socialiste de l'armement Albert Speer à partir de 1942, en soumettant l'économie de guerre allemande à un contrôle étatique strict, tout en conservant ses structures de capital privé.

Rathenau a réussi son plus grand coup en tant que ministre des Affaires étrangères de la République de Weimar, lorsqu'il a jeté un froid sur l'opinion publique mondiale en signant le traité de Rapallo avec la Russie soviétique en avril 1922: il a redonné à l'Allemagne vaincue une liberté de mouvement considérable, du moins à l'Est, et a rendu possible une coopération fructueuse avec l'Armée rouge pendant des années, dont la Wehrmacht a encore largement profité.

Tout cela n'a pas empêché une poignée de tueurs à gages nationalistes d'assassiner Rathenau le 24 juin 1922 au cours d'un déplacement officiel. Il s'agissait sans aucun doute de l'une des actions les plus stupides et les plus butées que la droite allemande ait jamais réussies - et l'on peut légitimement s'interroger sur ses commanditaires. Les milieux anglo-américains tentaient déjà de saboter tout ce qui pouvait rapprocher l'Allemagne et la Russie. Les assassins de Rathenau - officiers, membres de la bourgeoisie - pourraient sans problème tendre la main aux partisans "nationalistes" de l'Ukraine d'aujourd'hui, dont la haine folle de la Russie ne fait que servir les transatlantistes (ndt: c'est ainsi que l'on désigne les atlantistes et les partisans de l'OTAN en Allemagne).

J'ai toujours apprécié Rathenau, qui était un esprit brillant et, en outre, un excellent écrivain, notamment en raison de sa rationalité glaciale. Bien que Prussien jusqu'au bout, tout sentimentalisme noir, blanc et rouge lui était totalement étranger. Il n'y avait pour lui aucune interdiction de penser. Comme Bismarck, il rejetait toute idée de colonialisme allemand, car il jugeait les colonies non rentables. Son traité surprise avec la Russie, mise au ban de la communauté internationale, est aujourd'hui plus actuel que jamais. Rathenau, le Prussien, le Juif, l'homme politique, était avant tout un grand patriote allemand. Aujourd'hui encore, il dépasse de loin, de très loin, certains homoncules au pouvoir.

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