par M.K. Bhadrakumar.
Le récit Occidental délirant résulte d'un échec colossal du Renseignement quant à la stratégie militaire et quant aux intentions politiques russes.
Le récit occidental, accompagné d'une censure des médias qui n'avait pas de précédent même au plus fort de la guerre froide, a effacé ou bloqué les rapports objectifs sur les évènements. Il s'est accompagné d'une guerre de l'information implacable. Cela a créé une impression accablante dès le début du conflit ukrainien que la Russie était condamnée à échouer dans ses opérations militaires spéciales.
Les spéculations allaient bon train sur le fait qu'il y aurait, inévitablement, un changement de régime en Russie alors que la désaffection populaire allait se répercuter de manière explosive contre les dirigeants face à l'engagement du pays dans une guerre délétère qui détruit la vie des gens et ruine l'économie.
Pareil récit Occidental délirant résulte d'un échec colossal des services de renseignement en Occident quant à la stratégie militaire et quant aux intentions politiques russes.
En mars, lorsque les forces russes se sont retirées de Kiev et des régions du nord dans une manœuvre habile, le président américain Joe Biden a effectué un tour d'honneur en Pologne et a proclamé la chute du président russe Vladimir Poutine.
Cependant, dans la réalité, le conflit avait atteint un point de basculement, mais c'était d'une manière tout à fait différente de ce a quoi s'attendaient les Occidentaux. Que la Russie ne pouvait pas se permettre de perdre la guerre ou que sa capacité pour soutenir une longue guerre n'ont jamais fait de doute ne leur est pas venu à l'esprit. Il s'agit d'une confrontation existentielle pour la Russie, alors que, pour les États-Unis et l'OTAN, il ne s'agit que de la fin d'un complot militaire planifié et exécuté depuis 2014 pour affaiblir la Russie. Ceci a été a récemment admis franchement par le secrétaire général de l'alliance, Jens Stoltenberg.
Un pays peut survivre à des revers géopolitiques et continuer à progresser, comme l'a fait la Fédération de Russie. Mais une défaite face à Napoléon ou Hitler aurait signifié un cours différent de l'histoire pour la Russie. C'est le nœud du problème dans le conflit ukrainien, d'un point de vue historique. La Russie mène un combat existentiel comme elle en a mené dans le passé.
Le triomphalisme du récit occidental a obscurci toute pensée rationnelle. En réalité, le choix rationnel des États-Unis aurait était de mettre fin au conflit, lorsque les délégations de l'Ukraine et de la Russie se sont rencontrées à Istanbul et ont élaboré un accord (en fait paraphé), qui répondait aux attentes de Moscou à ce moment-là ; accord stipulant à la base la démilitarisation de l'Ukraine, le statut neutre et la reconnaissance des deux républiques séparatistes du Donbass aux frontières administratives dominantes et la reconnaissance de la Crimée comme partie intégrante de la Russie.
Cela aurait été un règlement avec lequel Washington aurait pu vivre, mais au lieu de cela, enivré par les pensées grisantes d'infliger une défaite écrasante à la Russie et de forcer un changement de régime au Kremlin, l'administration Biden a freiné le régime fantoche à Kiev et a sabordé le Pacte d'Istanbul.
Le conflit passa alors à l'étape suivante, qui conduisit à la victoire russe à Marioupol et au contrôle de la mer d'Azov ; et, le lancement de l'offensive pour repousser les forces ukrainiennes jusqu'aux limites administratives du Donbass, telles qu'elles existaient avant le coup d'État de Kiev en 2014.
Avec les dernières victoires dans l'agglomération de Severodonetsk-Lysychansk et l'imminente attaque contre Slaviansk et Kramatorsk, la dernière ligne défensive des forces ukrainiennes dans toute la région dans les semaines à venir, un nouveau point de bascule se dessine.
Le conflit menace d'entacher la crédibilité de l'administration Biden et la réputation de l'OTAN.
Logiquement, Washington devrait saisir ce point de basculement et modifier toute sa stratégie. Mais il est hautement improbable qu'il le fasse.
Premièrement l'administration Biden craint que la situation qui se dessine expose les limites de la puissance américaine devant l'audience mondiale ; qu'une Russie renaissante redouble de prestige sur le plan géopolitique, et que la marée en faveur d'un monde multipolaire devienne irréversible. Tout cela dans un contexte d'inexorable montée de la Chine en tant que superpuissance numéro un.
Deuxièmement, des fissures sont apparues dans l'alliance occidentale alors que la fatigue de la guerre s'installe, que les économies européennes entrent en récession, grâce au contrecoup des sanctions contre la Russie, alors que, d'autre part, la Russie s'installe dans une « nouvelle normalité ». Cela aura de sérieuses implications futures pour le leadership transatlantique des États-Unis et aura un impact sur la politique européenne.
Troisièmement, il y a un risque élevé que le sol sous les pieds anglo-américains en Ukraine se dérobe brutalement. En plus des termes du défunt pacte d'Istanbul, la Russie peut maintenat exiger non seulement la reconnaissance des limites administratives du Donbass en 2014 mais aussi un corridor terrestre inattaquable reliant la Crimée à l'arrière-pays russe par l'intégration d'une large bande au nord de la Crimée, incluant Kherson et peut-être Zoporozhia.
La Russie exigerait également l'abrogation des sanctions occidentales.
De toute évidence, le régime de Kiev s'effondrerait s'il acceptait de telles conditions de reddition. D'un autre côté, tout l'agenda derrière le coup d'État de la CIA en 2014 en Ukraine s'effondrerait également.
Pour Biden, qui était intimement associé au coup d'État de 2014 en tant qu'homme de main du président Obama dans le cloaque de la politique ukrainienne, cela causerait une grande détresse politique et annulerait même sa candidature à la réélection en 2024. Il suffirait que les démons du grenier montent les escaliers, en particulier que tout soit mis au grand jour sur l'entreprise de plusieurs millions de dollars de son fils avec des laboratoires biologiques en Ukraine.
Biden semble également enclin à laisser passer le point de basculement qui se dessine et à poursuivre la trajectoire actuelle. C'est ce à quoi s'attendent les divers groupes d'intérêts et profiteurs de guerre aux États-Unis et au sein du régime ukrainien.
Pour être sûr, les incitations à continuer sont nombreuses et juteuses lorsqu'un système d'artillerie occidental avancé coûtant des millions est proposé sur le marché noir ukrainien pour 120 000 $ ! Incapable de saisir celui ci, la communauté mondiale devra peut-être attendre le prochain point de basculement, à l'automne.
source : The Tribune
via Bruno Bertez