Par Amany Mahmoud
Dans une initiative exceptionnelle, le Hamas a autorisé un militant israélien à entrer à Gaza pour des entretiens avec les dirigeants du mouvement sur la possibilité de conclure un accord d'échange de prisonniers, après que la branche armée du Hamas a publié un clip vidéo d'un de ses prisonniers israéliens allongé malade dans un lit d'hôpital.
Pour la première fois depuis qu'il a pris le contrôle de la bande de Gaza à l'été 2007, le Hamas a accepté la demande d'Israël qu'une personnalité israélienne entre dans l'enclave côtière pour des entretiens avec ses dirigeants sur la possibilité de parvenir à un accord d'échange de prisonniers, alors que ces pourparlers sont au point mort depuis huit mois.
La décision du Hamas est intervenue après que sa branche armée, les Brigades Izz ad-Din al-Qassam, a publié le 28 juin une vidéo d' Hisham al-Sayed, un citoyen israélien détenu à l'intérieur de Gaza, dans laquelle on le voit allongé dans un lit d'hôpital et relié à un appareil respiratoire.
La vidéo semblait être une tentative du Hamas d'envoyer un message à la société israélienne et de mobiliser les familles des soldats israéliens détenus par le mouvement (qui, selon Israël, sont décédés).
Cela semblait également transmettre un message selon lequel Sayed, qui souffre déjà de problèmes de santé mentale, pourrait mourir parce que son état de santé s'est détérioré en raison de l'incompétence d'Israël dans le traitement de ce dossier. Ce message semble également viser à faire pression sur la société israélienne pour qu'elle prenne des mesures sérieuses pour sauver le prisonnier.
Le 29 juin, la chaîne israélienne Kan a rapporté que le Hamas avait accepté de laisser entrer un militant israélien à Gaza dans le but d' établir des contacts sur un éventuel accord d'échange de prisonniers.
Selon la chaîne, le militant israélien de gauche Yoel Marshak s'active depuis des années pour promouvoir une initiative civile pour résoudre le dossier des prisonniers et des disparus. Il a donc obtenu l'autorisation d'entrer à Gaza et d'ouvrir un canal direct de communication dans le but de faire avancer le dossier.
Le Hamas déploie des efforts constants depuis des années pour parvenir à un accord d'échange de prisonniers avec Israël, face au refus catégorique de ce dernier de conclure un nouvel accord en raison des demandes que l'agence israélienne de renseignements qualifie de « déraisonnables ».
Le Hamas a exigé qu'Israël libère les prisonniers palestiniens condamnés à la perpétuité en échange de la libération des prisonniers israéliens détenus à Gaza.
Le Hamas détient quatre prisonniers israéliens, dont les soldats Oron Shaul et Hadar Goldin, qui ont été capturés pendant la guerre d'Israël contre Gaza à l'été 2014 et qui, selon Israël, auraient été tués.
Parmi les quatre captifs figurent deux civils : Sayed, un Arabe israélien originaire de la région du Néguev, et Avraham Avera Mengistu, né en Éthiopie et immigré en Israël. Les deux citoyens avaient accidentellement pénétré dans Gaza par la barrière de séparation et avaient été arrêtés.
Depuis leur détention, des efforts arabes, en particulier égyptiens, ont été mis en oeuvre pour relancer l'accord d'échange de prisonniers.
Mais tous les efforts de médiation ont jusqu'à présent échoué en raison des enjeux élevés à la table des négociations et de l'indifférence apparente d'Israël quant au sort des deux citoyens arabe et éthiopien. Le Hamas affirme également qu'Israël essaie d'induire en erreur les familles des soldats en prétendant qu'ils ont été tués.
Israël a refusé de traiter la question de ses prisonniers à l'intérieur de Gaza pour éviter un scénario similaire à celui qui s'est produit en 2011, dans le cadre duquel le soldat israélien Gilad Shalit a été libéré en échange de 1114 prisonniers palestiniens.
Cependant, le Hamas accuse Israël de vouloir tromper l'opinion publique israélienne concernant les quatre prisonniers en affirmant que les deux soldats (Shaul et Goldin) ont été tués pendant la guerre et sont donc décédés. Mais le Hamas maintient qu'ils sont toujours en vie.
Compte tenu de la réticence d'Israël à faire progresser le dossier et du désir du Hamas de mobiliser l'opinion publique israélienne, en particulier les familles des Israéliens portés disparus, le mouvement palestinien a envoyé à plusieurs reprises des messages concernant les deux soldats israéliens.
En 2016, le mouvement a diffusé une vidéo montrant l'un des soldats israéliens en fauteuil roulant le jour de son anniversaire. Le Hamas avait également affirmé que l'un des deux soldats avait été blessé lors de la guerre israélienne contre Gaza en mai 2021.
Pourtant, toutes ces fuites, indices et insinuations n'ont pas abouti à relancer le dossier auprès des autorités israéliennes d'occupation.
Jusqu'à présent, aucune des factions de la résistance armée palestinienne, en particulier le Hamas, n'a révélé ce qui s'était passé lors de la visite de Marshak dans la bande de Gaza. Une source proche du mouvement de la résistance a refusé de donner des détails à Al-Monitor sur le déroulement de la visite.
Cependant, il semble que le dossier des prisonniers soit à nouveau au point mort compte tenu de l'incapacité du gouvernement de transition israélien à décider maintenant d'un accord.
Ismat Mansour, un expert des affaires israéliennes basé à Ramallah, a déclaré à Al-Monitor que le Hamas, en accordant au militant israélien la permission de s'entretenir directement avec les responsables du mouvement dans le dossier des prisonniers, a montré qu'il était sérieux et disposé à exploiter toute possibilité de relancer le dossier.
Le Hamas y a un grand intérêt car tout nouvel accord aura pour effet de renforcer sa popularité, d'autant plus que ses dirigeants se sont engagés à conclure cet accord, a-t-il ajouté.
Mansour estime qu'Israël n'est actuellement pas très enclin à l'idée de conclure un accord d'échange de prisonniers avec le Hamas parce que tout accord, quel qu'en soit le prix, provoquera des controverses et des critiques au sein de la société israélienne, et aucun des responsables politiques ne veut être impliqué dans un accord qui affecterait leur avenir électoral.
Il a ajouté que le Hamas tente de profiter de l'incertitude politique en Israël pour montrer à la société israélienne que les autorités négligent totalement le sort de leurs soldats détenus en Israël, en particulier après que des responsables israéliens ont tenté de convaincre le public et les familles que les prisonniers étaient morts.
Le général de division Yousef al-Sharqawi, général de brigade à la retraite des services de sécurité palestiniens et expert des affaires de sécurité palestiniennes, a déclaré à Al-Monitor que la médiation égyptienne n'est pas assez puissante et n'est pas en mesure de faire avancer le dossier des prisonniers.
selon lui, c'est pourquoi le Hamas a tenté de changer de tactique en publiant des vidéos sur les captifs israéliens dans le but de relancer le dossier. L'arrivée dumilitant peut être un signe qu'il y a réussi.
Sharqawi s'attend à ce que ce dossier revienne au premier plan et qu'Israël le fasse avancer, en particulier à la lumière des transgressions continues de la clôture de séparation par le Hamas, des efforts des familles israéliennes pour faire pression pour un accord d'échange et de la crainte de l'agence de sécurité israélienne que la résistance palestinienne prenne d'autres initiatives et force Israël à payer un prix bien plus lourd.
Peu de temps après avoir publié la vidéo sur Sayed, le Hamas aurait proposé aux médiateurs dans le dossier des prisonniers de prendre une initiative à caractère humanitaire impliquant la libération du prisonnier israélien en échange de la libération par Israël de tous les prisonniers palestiniens malades détenus dans les prisons israéliennes.
Israël n'a pour l'instant rien répondu.
Auteur : Amany Mahmoud
* Amany Mahmoud est une journaliste palestinienne indépendante et une jeune militante qui s'intéresse aux questions politiques et sociales.
13 juillet 2022 - Al-Monitor - Traduction : Chronique de Palestine