Alexander Bovdunov
[Source: geopolitika.ru]
1. La création de colonies et l'installation de colons ne sont pas équivalentes au "colonialisme". Par exemple, les Grecs anciens avaient de nombreuses colonies, mais ils n'ont jamais développé un système colonialiste.
2. "Empire" et "impérialisme" sont deux choses totalement différentes: le Mali, l'Égypte ancienne, les Incas et Sargon d'Akkad étaient des empires, mais pas des entités impérialistes.
3. Un empire est avant tout une grande puissance qui unifie en son sein un grand nombre de peuples et de sociétés. Cependant, un empire n'est pas nécessairement une puissance impérialiste ou colonialiste. Une telle thèse doit être démontrée.
4. Le "colonialisme" et l'"impérialisme" sont des concepts modernes utilisés pour décrire la montée du colonialisme européen à partir du 15ème siècle. En fait, les études de Fernand Braudel et d'Immanuel Wallerstein montrent qu'historiquement, ce que nous appelons "colonialisme" est le résultat de l'expansion du système-monde occidental sous la forme d'une mondialisation économique et d'une exploitation inégale à l'échelle planétaire, juste après les grandes découvertes géographiques. L'expansion économique, civilisationnelle et culturelle de l'Occident a impliqué la destruction des économies et des empires individuels en faveur de la création d'une économie mondiale unifiée. Le colonialisme est donc une forme de conquête culturelle de l'Occident sur le reste du monde.
6. Le colonialisme est le résultat de l'expansion européenne et américaine sur le reste du monde ; cette expansion est le résultat de la dislocation et de la destruction de la civilisation occidentale elle-même, comme le souligne à juste titre l'historien italien Franco Cardini : la mondialisation se caractérise par la transgression de toutes les limites, l'abolition des frontières et une expansion constante au nom du progrès infini de l'humanité. Il doit y avoir une croissance économique, culturelle et territoriale perpétuelle afin de maintenir de telles idées à flot.
7. Le colonialisme et l'impérialisme sont des phénomènes de la Modernité ou, plus précisément, une forme d'imposition de la Modernité au reste du monde : le lourd fardeau de l'homme blanc, etc.
8. De nombreux pays non occidentaux sont devenus des colonies en raison de la pression exercée sur eux par les puissances occidentales, tandis que d'autres ont dû s'adapter et s'occidentaliser partiellement afin de survivre. Cette dernière situation peut être appliquée à la Russie, à l'Empire ottoman, à la Perse, au Japon, à l'Abyssinie et, sans grand succès au début, à la Chine. Les pays modernisés de force ont fini par devenir la semi-périphérie du système mondial occidental et n'ont pas pu surmonter cette condition. La seule exception à cette règle a été le Japon après la Seconde Guerre mondiale, mais il a dû payer le prix de l'abandon total de son autonomie. Wallerstein soutient que l'incorporation de la Russie dans le système mondial au 18ème siècle a suivi un chemin très différent : les Russes ont renoncé à l'intégration économique dans le système mondial afin de conserver leur indépendance politique. De tels exemples sont très révélateurs : soit vous sacrifiez votre indépendance politique au nom de l'intégration économique, soit vous refusez l'intégration économique au nom de l'indépendance politique, au prix d'un siège permanent. Seules les puissances occidentales peuvent combiner les deux.
9. Il est absurde d'accuser les puissances semi-périphériques et périphériques de colonialisme et d'impérialisme (même l'Empire ottoman, avec ses "territoires d'outre-mer", ne répond pas à de tels critères). Le véritable colonialisme est fondé sur la concurrence pour dominer le système mondial et l'établissement d'un système de relations inégales à l'échelle planétaire. Peut-on reprocher à la Russie d'avoir fait une telle chose ?
10. Les accusations occidentales selon lesquelles la Russie est une puissance impérialiste reposent sur des arguments a-historiques, manipulateurs et racistes (les Russes sont "blancs", donc leur empire était tout aussi génocidaire que celui des autres puissances occidentales). Ces attaques visent à empêcher les autres civilisations d'utiliser l'expérience de la résistance de la Russie, seule civilisation non occidentale à avoir défendu avec succès son identité politique et sa tradition d'État impérial, comme exemple de lutte contre le mondialisme. Le discours anticolonial n'a un caractère scientifique que s'il est utilisé pour attaquer les mécanismes concrets de la domination mondiale (c'est-à-dire le système économique mondial actuel et ses fondements idéologiques) et non ses formes extérieures. L'attaque systématique des grands États périphériques et semi-périphériques sous la bannière de la lutte anticoloniale ne servira qu'à renforcer la domination du centre, une nouvelle forme de néo-colonialisme.