10/10/2022 reseauinternational.net  11min #216916

 Israël refuse les amendements libanais au projet sur le tracé des frontières maritimes

Différend sur la frontière maritime : Le Liban et Israël au bord de la guerre

par Robert Inlakesh.

Avec l'armée de Tel-Aviv en état d'alerte et le Hezbollah menaçant de détruire les installations pétrolières et gazières israéliennes, un conflit est sur le point d'éclater.

Israël a annoncé qu'il était prêt à entrer en guerre avec le Liban, alors que les pourparlers sur la délimitation de la frontière maritime menés sous l'égide des États-Unis sont dans l'impasse. La question n'est pas seulement source de conflit entre Beyrouth et Tel-Aviv, elle devient également de plus en plus présente dans la politique israélienne à l'approche d'un nouveau cycle d'élections générales.

Jeudi, le Premier ministre israélien Yair Lapid a rejeté les amendements libanais à un accord de démarcation de la frontière maritime proposé par les États-Unis. La veille, des responsables israéliens auraient été informés de l'accord, ce qui a suscité beaucoup d'optimisme, une source anonyme ayant déclaré à Axios news que Lapid « a clairement indiqué qu'Israël ne fera aucun compromis sur sa sécurité et ses intérêts économiques, même si cela signifie qu'il n'y aura pas d'accord prochainement ».

Plus tard dans la journée de mercredi, le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, a ordonné à l'establishment militaire de se préparer à une confrontation armée avec le Liban. Une réunion du cabinet de quatre heures, à laquelle auraient assisté des personnalités importantes de l'establishment sécuritaire israélien, s'est ensuite achevée par l'annonce publique que le premier ministre et le ministre de la défense avaient reçu l'autorisation de frapper le Liban sans autre approbation du cabinet.

Des navires de la marine israélienne sont photographiés au large des côtes de Rosh Hanikra, une zone située à la frontière entre Israël et le Liban (Ras al-Naqura), le 6 juin 2022.

Pourquoi le Liban et Israël sont-ils au bord de la guerre ?

Début juin, un navire appartenant à la compagnie gazière Energean est arrivé sur le champ de Karish, riche en ressources, en Méditerranée orientale, afin de commencer les préparatifs de production de gaz naturel pour Israël. Le président libanais Michel Aoun a condamné cette arrivée, mettant en garde Tel-Aviv contre toute nouvelle « action agressive ». Le champ de Karish, ainsi que le champ voisin de Cana, sont depuis des années au cœur des négociations entre le Liban et Israël, qui se déroulent sous la médiation des États-Unis. Les deux nations ne sont toujours pas parvenues à un accord sur la démarcation de leurs frontières maritimes, Beyrouth considérant que Karish et Cana sont essentiels pour relancer son économie en déclin.

Alors que le Liban maintient, en raison d'arguments juridiques avancés lors de négociations précédentes, que l'ensemble de la zone doit être considéré comme des « eaux contestées », Israël maintient que l'ensemble du champ de Karish et la majorité du champ de Cana se trouvent dans sa propre « zone économique exclusive ». Le parti politique et militaire libanais Hezbollah, qui affirme disposer de 100 000 soldats prêts au combat, a ensuite pris part au débat, promettant de protéger les droits du Liban sur son pétrole et son gaz.

Le secrétaire général du Hezbollah libanais, Sayed Hassan Nasrallah, a déclaré que si aucun accord sur la frontière maritime n'était conclu et que le Liban n'était pas en mesure de garantir ses droits, une action militaire serait engagée. Nasrallah a promis que la nouvelle réalité serait la suivante : « Si nous ne pouvons pas avoir nos ressources, personne ne le pourra ». La ligne rouge du Hezbollah est l'extraction israélienne du champ de Karish avant la signature de tout accord : si cela se produit, le groupe a menacé de frapper non seulement l'infrastructure de Tel Aviv sur place, mais aussi toutes les autres installations pétrolières et gazières israéliennes en Méditerranée.

Israël a depuis répondu par des menaces, allant de la promesse d'éliminer toute la banlieue sud densément peuplée de Beyrouth qui sert de bastion au Hezbollah, à l'avertissement récent de Benny Gantz selon lequel l'ensemble du Liban « paierait un lourd tribut » à toute action militaire du Hezbollah. Maintenant que les négociations ont atteint un point décisif, il y a de fortes craintes qu'une action militaire soit entreprise, soit par Israël, soit par le Hezbollah.

Des menaces vides de sens ?

Les menaces les plus récentes proférées par les dirigeants militaires et politiques de Tel-Aviv ont semé la panique parmi les Israéliens vivant près de la frontière libanaise. Cependant, il est fort possible que la rhétorique vise un public national. Israël va entamer un nouveau cycle d'élections nationales en novembre et la démarcation des frontières maritimes a récemment été utilisée comme une arme contre les dirigeants israéliens actuels, ce qui a poussé les ministres à agir pour sauver la face.

Le leader de l'opposition israélienne et ancien Premier ministre de longue date, Benjamin Netanyahou, a commencé à s'en prendre à Yair Lapid, Premier ministre par intérim, en septembre, en publiant une vidéo dans laquelle il affirmait que Lapid avait « totalement plié face aux menaces de Nasrallah » et que le Hezbollah l'avait forcé à retarder l'extraction du champ de Karish. Netanyahou a continué à critiquer fortement la façon dont ses adversaires politiques gèrent la question de la ligne de démarcation, en affirmant de la même façon qu'Israël recule devant les menaces proférées par le Hezbollah libanais.

l'État d'Israël avec un énorme réservoir de gaz qui vous appartient, citoyens d'Israël.
Il le fait sans débat à la Knesset et sans référendum. Lapid n'a aucun mandat pour remettre à un État ennemi des territoires souverains et des biens souverains qui nous appartiennent à tous."

Les propos de Netanyahou sonnent juste dans la mesure où Lapid a manifestement été contraint de prendre très au sérieux la question de la démarcation des frontières maritimes et a cédé sur des positions tenues par Tel-Aviv dans le passé. En outre, l'extraction du gaz du gisement de Karish a également été retardée, car Energean, qui détient les droits d'extraction du site, était initialement prêt à commencer les opérations fin septembre et s'est jusqu'à présent abstenu de le faire. Toutefois, si Netanyahou était resté Premier ministre, il n'aurait guère eu d'autre choix que de faire de même.

Les menaces du Hezbollah sont très sérieuses et le groupe a apparemment la capacité de les mettre à exécution et de détruire toutes les installations pétrolières et gazières d'Israël. Cependant, à l'heure actuelle, le camp d'extrême droite israélien dirigé par Netanyahou impute la situation à la faible gouvernance de Lapid, qui serait prêt à céder des territoires appartenant à Israël. Pour cette raison, il est probable que Yair Lapid tente de retarder l'extraction du gaz du gisement de Karish afin d'écarter la question jusqu'après les élections.

La nécessité d'un accord pour le Liban

Le Liban considère que la question de Karish et de Cana fait partie intégrante de sa survie. Selon certains experts de l'ONU, le pourcentage de Libanais vivant dans la pauvreté avoisine les 80%, tandis que le pays subit des coupures de courant 24 heures sur 24, un taux de criminalité en hausse et une instabilité civile. Certaines personnes sont même aperçues en train de chercher de la nourriture dans des poubelles ou de se battre pour des miches de pain dans des boulangeries. Mettre la main sur un éventuel gisement de pétrole et de gaz de plusieurs milliards de dollars est une question de vie ou de mort pour Beyrouth, mais pas pour Tel-Aviv, qui jouit d'une stabilité économique bien plus grande.

Le médiateur américain dans les pourparlers entre le Liban et Israël, Amos Hochstein, a donné une interview à la chaîne de télévision américaine al-Hurra en juin, riant lorsqu'on l'a interrogé sur la perspective d'échanger le champ de Karish contre Cana. Quelques mois plus tard, après que le Hezbollah a intensifié ses menaces et que le chef du groupe, Nasrallah, a déclaré qu'on ne se moquerait pas du peuple libanais, cette question est devenue assez grave. Les États-Unis, qui ont un parti pris clairement pro-israélien, sont désormais contraints de prendre les pourparlers beaucoup plus au sérieux.

Au début de l'année, alors que l'Union européenne cherchait d'autres fournisseurs de gaz, un accord a été signé entre Tel-Aviv et Bruxelles, aux termes duquel Israël enverrait du gaz par gazoducs à l'Europe via l'Égypte. Cela a encouragé Tel-Aviv à annoncer son intention de doubler sa production de gaz, et le champ de Karish est essentiel pour y parvenir.

Le champ de Cana, en revanche, n'a pas encore été exploré et son développement prendra du temps. Malgré cela, l'une des principales raisons du rejet par Israël de la proposition libanaise est que Beyrouth refuse de payer à Tel-Aviv des redevances pour le gaz qu'il extrairait du champ de Cana s'il était cédé au Liban. Beyrouth ne peut s'engager dans un tel accord, car cela signifierait une normalisation des liens avec le régime de Tel-Aviv, qui occupe toujours les fermes de Chebaa, une zone que le Liban revendique comme son territoire légitime.

"De hauts responsables ont déclaré qu'Israël a informé le Liban via les USA que l'injection de gaz fait partie du processus d'exploitation de la plate-forme et n'est pas le début de la production de gaz."
Israël tremble à la perspective d'une guerre...

בכירים ישראלים אמרו כי ישראל עידכנה את לבנון באמצעות השליח האמריקני הוכשטיין כי הזרמת הגז הינה חלק מתהליך ההרצה של האסדה ואינה התחלה של הפקת גז

La question de savoir si la guerre aura lieu se résume maintenant à savoir si les querelles entre les partis politiques israéliens et les responsables individuels amèneront Tel-Aviv à adopter une approche belliqueuse et à faire avancer la production de gaz dans les champs contestés avant qu'un accord ne soit conclu. Si tel est le cas, il ne fait aucun doute que le Hezbollah ouvrira le feu si sa ligne rouge est franchie. L'enjeu pour Israël est un revenu énergétique supplémentaire, tandis que pour le Liban, c'est potentiellement une question de vie ou de mort. Aucun des deux camps ne souhaite la guerre, mais l'un a beaucoup à gagner et l'autre a tout à perdre.

***

Pour rappel, voici les menaces de Nasrallah dans son  discours du 13 juillet 2022 :

« Je déclare à l'ennemi ce soir : qu'il ne se trompe pas dans ses calculs. Que les Américains et Hochstein ne se moquent pas des Libanais et n'essaient pas de les duper. Les Libanais ne se laisseront pas duper. Le message des drones [envoyés par le Hezbollah au-dessus de la plateforme d'extraction de Karish, et abattus avec difficulté par l'aviation & la marine israéliennes] n'est qu'un début, un début modeste (qui ne donne qu'un petit aperçu) de tout ce que nous pouvons faire. Si les choses tournent mal, nous ne nous contenterons pas de cibler Karish. Nous sommes à l'anniversaire de la guerre de 2006, donc enregistrez la nouvelle équation : Karish, au-delà de Karish et bien au-delà de Karish [référence à l'équation de 2006 promettant de frapper « Haïfa, au-delà de Haïfa et bien au-delà de Haïfa »]. Aujourd'hui, j'ai demandé aux frères concernés au sein du Hezbollah de me présenter la liste de tout ce qui se trouve face aux côtes palestiniennes. Nous recensons et suivons de près (l'activité de) tous les champs (pétrolifères et gaziers), de tous les puits de pétrole, de toutes les plateformes maritimes, dont nous connaissons les noms, l'activité, l'état opérationnel ou non, lesquelles sont encore en phase de prospection, etc. Tous ces détails sont en notre possession. Si vous voulez continuer à étouffer le Liban, je ne parle plus seulement de l'équation de Karish : la question est beaucoup plus vaste pour nous. Si vous voulez continuer à imposer l'équation selon laquelle il est interdit au Liban de sortir de la crise en exploitant ses ressources naturelles en gaz et en pétrole, personne ne pourra extraire de gaz ou de pétrole, et personne ne pourra vendre de gaz ou de pétrole. D'accord ? Vous avez compris ou je dois me répéter, comme on dit ? Et ce quelles que soient les conséquences.

O peuple libanais, nous sommes arrivés au bout de la piste. Nous sommes arrivés au bout de la piste. Quiconque vous promet quelque chose d'autre, qu'il explique ce qu'il promet (pour sauver le Liban). Qu'est-ce qu'il promet ? Qui va sauver le Liban ? Ils ne veulent même pas vous donner une heure (supplémentaire) d'électricité ! Alors qu'une simple signature des Américains suffirait, ils n'ont rien d'autre à faire et ne perdraient pas un sou. Mais ils veulent que ce pays s'effondre, qu'il soit en proie à la famine, qu'il cède et renonce à ses droits, qu'il soit leur esclave. Mais c'est impossible. Quiconque veut être un esclave, grand bien lui en fasse. Mais ce n'est pas à celui qui veut être libre de céder. Dans tout peuple, dans tout pays, dans toute nation, dans tout État, l'homme doit fondamentalement avoir de la souveraineté, de la liberté, de l'indépendance, il doit jouir de ses ressources naturelles qui vont sauver son peuple de l'ignorance, de l'analphabétisme, de la maladie, de la faim... Telle est la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui.

Il y a des gens qui veulent que le peuple libanais meure de faim et s'entretue devant les boulangeries, les stations d'essence, qu'on s'entretue pour pouvoir manger une bouchée de pain, car la livre libanaise n'a plus aucune valeur, de même que les salaires. Il y a des gens qui veulent détruire ce pays. Mais non (nous ne les laisserons pas faire) ! Je le dis ce soir en toute franchise, si le choix est que le Liban ne soit pas aidé - et la voie naturelle pour l'aider est sa richesse en hydrocarbures -, et que le Liban soit poussé vers l'effondrement, la famine, le peuple qui s'entretue, non, non, non, non (jamais nous ne le permettrons). La guerre est plus digne, beaucoup plus digne. Que ce soit la menace de guerre, ou même la guerre réelle ! C'est beaucoup plus digne et beaucoup plus noble ! La première voie, qui consiste à laisser les choses continuer vers l'effondrement, l'anarchie et les gens qui s'entretuent à cause de la faim, n'a aucun horizon. Elle n'a aucune issue. Mais la guerre a un horizon. Si nous décidons d'aller vers la guerre, il y a une issue. Cela peut amener l'ennemi à se soumettre (à nos demandes). Peut-être qu'il se soumettra avant la guerre, peut-être qu'il se soumettre au début de la guerre, peut-être au milieu, peut-être à la fin ! Il se soumettra et on imposera nos conditions, et on gagnera des centaines de milliards de dollars (en vendant nos hydrocarbures), ce qui sauvera le pays ! Et quiconque meurt dans une telle guerre mourra en martyr. C'est mieux que de mourir à cause d'une bagarre à la boulangerie, à la station d'essence, dans un vol de mobylette ou autre. »

Lire la traduction intégrale de ce discours ici : «   Nasrallah : si le Liban ne peut pas exploiter ses hydrocarbures, nous paralyserons l'industrie israélienne »

source :  Russia Today via  Le Cri des Peuples

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