© Emmanuel DUNAND Source: AFP
Magistrats, avocats et greffiers se sont rassemblés devant le tribunal judiciaire de Paris pour dénoncer le manque de moyens de la justice, le 22 novembre 2022.
22 nov. 2022, 15:36
Des rassemblements ont eu lieu dans plusieurs villes et des grèves des audiences ont été organisées ce 22 novembre, les magistrats, avocats et greffiers ayant appelé à la mobilisation contre «une justice au rabais», un an après une tribune qui avait étalé au grand jour leur «souffrance» au travail.
«La réalité du terrain, ce sont toujours des audiences surchargées []..., des délais au-delà du raisonnable, des jugements non expliqués», écrivent 19 syndicats et organisations de magistrats, d'avocats ou de conseillers d'insertion dans un 𝕏 communiqué commun appelant à «renvoyer toutes les audiences» du jour.
Des rassemblements ont eu lieu à Orléans, Nice ou encore Poitiers. Dans la capitale, une manifestation s'est déroulée à la mi-journée devant le tribunal judiciaire situé dans le XVIIe arrondissement, afin d'exprimer le ras-le-bol d'une profession qui reste, selon les syndicats de magistrats, confrontée à une «charge de travail titanesque». «Justice au rabais, justice en danger», «Justice en colère, on va pas se laisser faire», ont scandé les manifestants, dont certains avaient revêtu leurs robes noires ou rouges.
Plusieurs députés de La France insoumise sont venus leur apporter leur soutien, dont Antoine Léaument, Thomas Portes ou encore Ugo Bernalicis, ce dernier étant souvent en première ligne sur des thématiques de sécurité et de justice.
Il est temps de mettre fin à une justice au rabais, et enfin lui donner des moyens à la hauteur.
Europe Ecologie-Les Verts a également publié un communiqué de soutien au mouvement, dénonçant le «leurre» et le «coup de com'» des Etats généraux de la justice, lancés en octobre 2021 à Poitiers par le président de la République afin de remédier à la profonde crise de l'institution.
Les rassemblements surviennent un an après la tribune signée par 3 000 magistrats et publiée dans Le Monde, qui avait alerté sur les conditions de travail d'une institution rongée par une «grave perte de sens». Ecrit après le suicide d'une jeune collègue, le texte a aujourd'hui été paraphé par près de 8 000 magistrats, auditeurs de justice et greffiers.
Malgré un budget en hausse, une institution «délabrée»
Les Etats généraux de la justice ont conforté ce diagnostic en dénonçant en juillet «l'état de délabrement avancé» de l'institution, constat auquel le ministère a tenté de répondre en décrochant pour 2023 une troisième hausse consécutive de 8% de son budget annuel.
«Avec ce budget de presque 10 milliards d'euros, le ministère de la Justice poursuit son changement de dimension avec des moyens à la hauteur de ses missions», avait estimé fin septembre le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, qui doit bientôt dévoiler un nouveau plan d'action.
L'exécutif s'est par ailleurs engagé à recruter 8 500 magistrats et personnels de justice supplémentaires d'ici à la fin du second quinquennat Macron et a annoncé une hausse de salaire de 1 000 euros mensuels en moyenne pour les juges judiciaires.
Le compte n'y est toutefois pas, selon les organisations professionnelles. «Si des recrutements de magistrats et de fonctionnaires de greffe sont prévus pour 2023, ils sont largement insuffisants et aucun plan d'action clair n'a été défini comme l'exigerait pourtant l'urgence de la situation», écrivent-elles dans leur communiqué commun.
Selon un rapport du Conseil de l'Europe datant de début octobre, la France continue d'allouer moins de crédits à la justice que ses partenaires européens au PIB comparable : elle y consacrait 72,50 euros par habitant en 2020, contre 82,20 euros en Italie, 88 en Espagne et 140,70 en Allemagne. Selon les syndicats, les professionnels de la justice restent «en proie à une perte de sens» tandis que les justiciables sont «réduits à l'état de "dossiers" et de "stocks"».
En décembre 2021, magistrats et greffiers étaient déjà descendus dans la rue pour dire la «désespérance» de ceux qui rendent la justice au quotidien, un sentiment relayé au sommet de la hiérarchie judiciaire, certains de ses représentants s'étant alors mobilisés.
Plus récemment, à la mi-octobre, le décès d'une magistrate de 44 ans, en pleine audience de comparution immédiate à Nanterre, a provoqué une nouvelle onde de choc. Une minute de silence a été observée dans plusieurs juridictions et l'Union syndicale de la magistrature a pointé les conditions de travail «particulièrement difficiles» à Nanterre.
Le 17 novembre, ce tribunal a reçu la visite, rarissime, et le soutien des deux plus hauts magistrats français, le premier président de la Cour de cassation Christophe Soulard et le procureur général près la Cour de cassation François Molins. «Le constat de la souffrance du monde judiciaire n'est plus tabou», a déclaré à l'AFP ce dernier. «On en parle à tous les échelons judiciaires. Mais au-delà de ce constat, est-ce qu'il y a des choses qui avancent ?», a-t-il questionné.