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Ce dimanche, la vice-présidente grecque de l'instance, Eva Kaili, ainsi que trois autres personnes ont été inculpées et écrouées.
Eric VIDAL / AFP
Deux eurodéputés, dont la vice-présidente du Parlement européen, la socialiste grecque Eva Kaili, ont été interpellés depuis vendredi à Bruxelles. Ils sont soupçonnés, avec d'autres personnes issues des rangs de la gauche, dont l'assistant parlementaire et le compagnon d'Eva Kaili, Francesco Giorgi, de corruption, impliquant "un pays du Golfe", à savoir le Qatar.
Au total, six personnes ont été interpellées par la police belge. Outre la vice-présidente du Parlement européen, son compagnon et son père, il s'agit d'un dirigeant syndical italien, Luca Visentini, et l'ancien eurodéputé Pier-Antonio Panzeri. En Italie, l'épouse et la fille de ce dernier ont également été interpellées. Le domicile d'un autre eurodéputé socialiste, le Belge Marc Tarabella, a été perquisitionné.
Le parquet fédéral a annoncé, sans mentionner les noms, que quatre des personnes interpellées ont été placées en détention provisoire pour "appartenance à une organisation criminelle, blanchiment d'argent et corruption" et deux autres libérées par le juge. La vice-présidente du Parlement européen figure parmi les personnes écrouées, affirment des médias.
"Environ 600 000 euros en liquide"
Toujours sans dévoiler un nom, le parquet explique que "ce pays du Golfe" est soupçonné d'"influencer les décisions économiques et politiques du Parlement européen, en versant des sommes d'argent conséquentes ou en offrant des cadeaux importants". Les bénéficiaires ne sont autres que des "personnalités ayant une position politique et/ou stratégique significative" au sein du Parlement. C'est le journal Le Soir et l'hebdomadaire flamand Knack qui ont révélé qu'il s'agissait du Qatar.
Dans le cadre d'une enquête de quatre mois, menée par un juge financier bruxellois, la police belge a mené 16 perquisitions au total dans diverses communes de Bruxelles, mettant la main sur "environ 600 000 euros en liquide", ainsi que "du matériel informatique et des téléphones portables" dont les contenus seront analysés.
Ces "cadeaux ou avantages offerts pourraient être liés à la volonté du Qatar d'améliorer sa réputation décriée en matière de droits humains et de traitement des travailleurs étrangers", notamment dans le cadre de l'organisation de la Coupe du Monde qui se déroule actuellement.
L'annonce de l'interpellation, l'inculpation et la mise en détention de la vice-présidente du Parlement européen a provoqué un séisme au sein de l'Union européenne. L'ancienne présentatrice télé, âgée de 44 ans, une des quatorze vice-présidentes du Parlement européen, a vite été suspendue par l'institution européenne, qui lui a retiré son titre et son pouvoir. Le Parti socialiste grec, Pasol-Kinal, dont elle est membre, a vite annoncé qu'elle avait été "écartée".
Pier-Antonio Panzeri est président de l'ONG Fight Impunity, qui promeut la lutte contre l'impunité et la justice internationale. Dans le conseil d'administration honorifique de cette organisation se trouvent notamment le prix Nobel de la paix Denis Mukwege et l'ancien Premier ministre français Bernard Cazeneuve. Les bureaux de l'ONG ont été perquisitionnés.
Si plusieurs figures politiques droite y vont vu, 𝕏 à l'instar de l'eurodéputé François-Xavier Bellamy "l'infiltration, non seulement d'un État, mais aussi de l'islam politique dans nos institutions" qui est "utile pour mieux comprendre certaines positions, en particulier à gauche", d'autres comme Philippe de Villiers, fondateur du Puy du Fou, 𝕏 ont estimé qu'il "apparaît urgent d'élargir l'enquête à la présidente Von Der Leyen au sujet de ses liens avérés avec le laboratoire Pfizer". Et d'ajouter : "Tout pouvoir incontrôlé est corruptible."
À gauche, l'eurodéputée Manon Aubry a estimé samedi sur France info que "ces révélations sont extrêmement préoccupantes et disent quelque chose du niveau de corruption de certains élus". "Il était clair que certains députés avaient pour mission de défendre les intérêts du Qatar", raconte l'élue, qui milite depuis des mois pour l'adoption au Parlement européen d'une résolution dénonçant la violation des droits humains dans ce pays. "Est-ce que j'avais en face de moi des négociateurs du Parlement européen, des députés, ou des agents du Qatar ?, s'était-elle alors interrogée.
Le Qatar, "chef de file en matière des droits du travail"
Peu avant le début du Mondial, elle avait rencontré au Qatar le ministre qatari du Travail, Ali bin Samikh Al Marri. À l'issue de cette visite, elle avait salué l'engagement du Qatar à poursuivre les réformes du travail, selon un tweet de l'ambassadeur de l'Union à Doha, Cristian Tudor.
"Aujourd'hui, la Coupe du monde de football au Qatar est une preuve concrète de la façon dont la diplomatie sportive peut aboutir à une transformation historique d'un pays dont les réformes ont inspiré le monde arabe", avait aussi déclaré Eva Kaili à la tribune du Parlement européen le 22 novembre.
"Le Qatar est un chef de file en matière de droits du travail", avait-elle affirmé. Ses déclarations ont étonné dans les rangs de la gauche et des libéraux. "Je crains de comprendre maintenant...", a tweeté samedi sur Twitter l'eurodéputé français Pierre Karleskind, en rappelant un vote de socialistes contre une résolution sur la violation des droits humains au Qatar.
Nous venons d'ajouter cette résolution à l'agenda de la session Plénière de cette semaine.
(Pas bien compris pourquoi les socialistes ont voté contre...)
Eva Kaili n'a pas pu bénéficier de son immunité parlementaire car l'infraction qui lui est reprochée a été constatée "en flagrant délit", explique-t-on. Elle était en possession de " sacs de billets" lorsqu'elle a été interpellée, vendredi soir.
La présidente du Parlement européen Roberta Metsola a convoqué pour lundi une réunion des présidents de groupes à Strasbourg pour évoquer l'enquête judiciaire belge.
Officiellement, Doha reconnaît "400 à 500" travailleurs migrants morts
Depuis l'attribution de l'organisation de la Coupe du Monde en 2010, le Qatar a été sans cesse critiqué sur les conditions de travail des travailleurs migrants. Fin novembre, le directeur de l'organisation du Mondial, Hassan al-Thawadi a déclaré que "400 à 500" travailleurs migrants sont décédés sur les chantiers du Mondial qui se déroule actuellement.
Un chiffre bien supérieur à celui soutenu jusque-là par Doha. Ses déclarations ne démentaient toutefois pas la position officielle précédente, mais la nuance. "L'estimation est autour des 400, entre 400 et 500 morts", a-t-il dit. "Je n'ai pas le nombre exact. C'est quelque chose dont nous avons déjà parlé (...) Nous avons toujours été transparents là-dessus (...) Un mort, c'est déjà trop. C'est aussi simple que cela", a-t-il ajouté lors de la même interview.
Le nombre de travailleurs migrants décédés dans la construction des stades ou des autres infrastructures a aussi fait l'objet d'enquêtes de la part de journalistes et d'organisations. En février 2021, The Guardian a publié son enquête dans laquelle le journal affirme que "plus de 6 500 travailleurs issus d'Inde, du Pakistan, du Bangladesh, du Népal et du Sri Lanka sont décédés au Qatar depuis l'attribution de l'organisation de la Coupe du Monde", en 2010.
The Guardian écrivait même que le nombre total de décès serait supérieur, car les données d'autres pays, dont les Philippines ou le Kenya, qui comptent de nombreux ressortissants travaillant au Qatar, n'ont pas été recueillies.
De son côté, Doha a toujours réfuté ces chiffres, avançant encore et toujours les chiffres officiels bien moins importants de 37 décès, entre 2010 et 2022, toutes causes de mortalité confondues.