12/12/2022 infomigrants.net  6 min #220567

« On est une grande famille » : en Côte d'Ivoire, des associations aident les migrants de retour à « se reconstruire »

L'association Realic sensibilise les jeunes ivoiriens aux dangers de la route de l'exil. Ici, dans un club de foot d'Abidjan, en novembre 2021. Crédit : Realic/Facebok

Après un an et demi d'exil, Boniface est rentré en Côte d'Ivoire en décembre 2017. Son année en Tunisie, où il a usé sa santé sur des chantiers de construction, l'a épuisé. Son arrestation violente, l'année suivante, et deux séjours dans des prisons en Libye, traumatisé. "C'était pas simple", commente-t-il sobrement.

Dans son quartier de Yopongon, à Abidjan, les candidats au départ sont nombreux. Depuis une petite dizaine d'années, le nombre d'Ivoiriens qui s'engagent sur la route de l'exil pour l'Europe est en augmentation. De 3 800 personnes en 2000, ils étaient près de 13 500 en 2019, d'après l'OCDE. Cette année, les ressortissants ivoiriens représentent d'ailleurs la 6e nationalité chez  les migrants débarqués en Italie, derrière l'Afghanistan. Depuis le 1er janvier 2022, 4 825 Ivoiriens sont arrivés dans le pays par la mer, sur 97 236 personnes.

Parmi ceux qui choisissent de tout quitter pour une vie meilleure ailleurs, ils sont nombreux, contraints ou non, à faire demi-tour. Pour beaucoup, ce retour est douloureux. Boniface avoue avoir eu "des moments de profond désespoir" lorsqu'il est rentré en Côte d'Ivoire. "J'avais des regrets plein la tête. Je n'arrêtais pas de me demander pourquoi est-ce que j'étais parti, comme ça. Et puis, surtout, je devais tout reprendre à zéro."

Boniface lors d'une présentation des activités de son association, à Abidjan. Crédit : DR

Parce qu'il connaît ce désarroi et cette solitude commune à beaucoup de migrants de retour, il a voulu agir. Dans un premier temps, en participant à l'initiative "Migrants comme messagers" pilotée par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Puis en créant, en août 2021, l'Association pour la réinsertion des migrants de retour en Côte d'Ivoire (Arm-ci).

"L'objectif, c'est d'aider les anciens exilés à réintégrer le tissu social, explique-t-il. D'abord en leur permettant de gagner leur indépendance financière, car beaucoup de migrants de retour doivent rembourser des personnes qui leur ont prêté de l'argent pour leur voyage. Ruinés, ils se terrent alors chez des amis et vivent comme des fugitifs". Pour les aider à retrouver du travail, Arm-Ci - en collaboration parfois avec l'Agence Emploi Jeunes d'Abidjan - accompagne ces personnes dans la construction d'un projet professionnel. "On fait un petit bilan de leurs compétences et on les guide ensuite vers les structures compétentes ou les organisations qui peuvent financer leur projet. Si un jeune a des capacités en mécanique par exemple, avec nos réseaux, on peut le diriger vers un garage qui va l'employer".

Après une année difficile en Tunisie où elle a vécu avec son fils d'un an, Hortense confirme : "Me lancer dans un nouveau projet m'a donné beaucoup de courage. À mon retour, je me sentais incapable de quoi que ce soit, mais il fallait bien que l'on vive. Je ne voulais pas être dépendante de mes parents". Après la création d'un salon de coiffure, dont les profits se sont taris avec le Covid-19, la jeune ivoirienne a finalement ouvert une petite boutique de vêtements à Yopougon.

"On ne juge pas les jeunes"

Tout aussi important que l'aide à l'indépendance financière, l'association apporte un soutien psychologique. "Le sentiment d'échec se mêle presque à chaque fois à un mal-être causé par les atrocités qu'ont vécues les migrants, en Libye ou ailleurs. Beaucoup de femmes ont subi des grossesses non désirées par exemple, affirme Boniface. Nous, chez Arm-ci, on les entoure, on est une grande famille où chacun a plus ou moins les mêmes histoires. Cela crée un climat de confiance qui les rassure et les aide à se reconstruire". "Quand cela ne suffit pas, ajoute-t-il, on les dirige vers les permanences psychologiques de l'OIM".

L'association Realic est basée dans le quartier Angré d'Abidjan. Crédit : InfoMigrants

Du côté du Réseau africain de lutte contre l'immigration clandestine (Realic), la démarche est la même : "Quand nous sentons que  le traumatisme est trop profond, que l'on n'est pas capable de le gérer, on oriente les anciens exilés vers des structures adaptées", abonde Florentine Djiro, sa présidente. Depuis son local du quartier Angré, à Abidjan, la petite équipe de l'association fondée en 2017 reçoit les migrants de retour, mais se polarise surtout sur des projets de sensibilisation à la migration.

"On ne juge pas les jeunes qui nous disent vouloir partir, mais on les alerte sur les dangers auxquels ils peuvent être confrontés sur la route. Ici en Côte d'Ivoire, il y a une véritable banalisation des risques. Il faut la déconstruire, explique Florentine Djiro. On leur dit par exemple qu'aller au Maroc ou en Tunisie avec un visa tourisme, même si c'est rapide et facile, ça ne leur assurera pas d'y rester. On sait que beaucoup d'Ivoiriens optent pour cette méthode, et ils se retrouvent ensuite dans la clandestinité, vulnérables à toutes sortes d'exploitation et de violences". Coincés, "leur seule porte de sortie, c'est la Méditerranée".

"Quand je vois des personnes de mon âge qui meurent dans la mer, ça me pince le cœur, confie Brice, bénévole de l'association. Alors je me dis que ceux qui veulent partir doivent connaître la vérité. Migrer, ce n'est pas une mauvaise chose. Mais il faut avoir les bonnes informations avant de tout quitter".

"Partir, c'était la suite logique"

Pour "dire la vérité" aux candidats à l'exil, Realic organise régulièrement des caravanes de sensibilisation à la migration dans les écoles et les clubs de foot du pays, et dans les localités familières aux départs, comme les quartiers d'Abobo et de Yopougon à Abidjan, et dans les villes de Port-Boué et de Daloua. Des bénévoles de l'associations se déplacent aussi auprès des leaders communautaires et des tontines [groupe d'amis ou de proches un groupe d'amis qui se réunissent régulièrement pour mettre leur épargne en commun ndlr] "dont la parole est très écoutée chez les jeunes", assure Florentine Djiro.

Au-delà de la prévention des risques, Realic leur expose aussi "les autres solutions" qui s'offrent à eux. "On leur explique les démarches de migration légale, ou on les guide vers des opportunités qui existent sur place et auxquelles ils n'avaient même pas pensé. Chez certains, partir est tellement courant, la pression familiale est telle, qu'ils n'ont rien envisagé d'autre".

"Partir c'était la suite logique", confirme Hortense, qui a choisi de s'exiler après avoir perdu son premier emploi en Côte d'Ivoire. "Le retour, ça l'était beaucoup moins. Mais mon père était tellement content de me voir, que cela a un peu atténué mon amertume".

La plupart des exilés n'ont pas cette chance. "Une fois rentrés, par honte, beaucoup se cachent et ne préviennent pas leurs parents, soupire Florentine Djiro. Le regard de la famille et de l'entourage sur eux est très dur. Dans certaines zones du pays, ces migrants de retour, on les appelle 'les maudits'".

Association Arm-ci : +225 0757005352 ; armci2022@gmail.com

Association Realic : +225 0151964524 ; contact@realic-ci.org

 infomigrants.net

 Commenter