© Zakaria ABDELKAFI Source: AFP
Manon Aubry lors de la campagne des élections européennes en 2019 (image d'illustration).
Commentant l'affaire qui ébranle le Parlement européen depuis les arrestations de plusieurs personnes lors d'une opération anticorruption en lien avec le Qatar, dont l'eurodéputée grecque Eva Kaili, l'élue insoumise Manon Aubry a dévoilé sur Twitter le 11 décembre les coulisses de ce qu'elle qualifie de «pire scandale de corruption de l'histoire» des institutions européennes.
Selon l'eurodéputée, ce scandale n'est «pas surprenant au vu de ces derniers mois», durant lesquels elle a été systématiquement confrontée à l'opposition du groupe des socialistes et démocrates - auquel appartenait Eva Kaili - lorsqu'elle tentait de faire adopter une résolution condamnant les violations des droits humains au Qatar, pays hôte du Mondial de football, malgré des «preuves innombrables et l'émotion générale». «J'ai vu directement l'ingérence de l'émirat» à cette occasion, affirme-t-elle.
En négociant une résolution sur le Qatar, j'ai vu directement l'ingérence de l'émirat.
Voici les coulisses d'une histoire qui n'a pas encore été racontée⤵️
A l'ouverture de la Coupe du monde, Manon Aubry revient à la charge et affronte une fois de plus l'opposition du groupe socialiste lors de la conférence des présidents du Parlement européen, mais réussit à faire voter le 21 novembre un texte condamnant les atteintes aux droits humains au Qatar à une courte majorité.
Cependant, les socialistes obtiennent la coordination des négociations sur le texte et vont adopter des positions qui sidèrent l'Insoumise, puisque leur proposition de résolution ne tarit pas d'éloges sur les «efforts considérables» qu'aurait accomplis l'émirat en matière de droits de l'homme, y voyant même un exemple à suivre pour les pays du Golfe.
Le groupe socialiste a chanté les louanges du «partenariat stratégique» avec le Qatar
En particulier, alors que la mort de milliers de travailleurs sur les chantiers du Mondial était au cœur de la polémique, la résolution socialiste vante les «réformes adoptées par les autorités qatariennes en consultation avec l'Organisation internationale du travail afin d'aborder la question de la gouvernance de la migration de la main-d'œuvre» et constate que les changements initiés ont déjà «amélioré les conditions de travail et de vie de centaines de milliers de travailleurs».
«Cerise sur le gâteau, la résolution salue le "partenariat stratégique" entre l'UE et le Qatar, en particulier pour l'approvisionnement en gaz naturel liquéfié», rappelle aussi Manon Aubry.
Ces propos ont également été tenus par la vice-présidente grecque du Parlement européen Eva Kaili, le 21 novembre. Une «terrible vidéo», a commenté le journaliste Mickaël Correia, puisqu'elle se vantait devant les parlementaires d'être la seule à dire que «le Qatar est un leader en matière de droits du travail». Elle dénonçait alors les tentatives visant à «discriminer» le royaume, malgré les efforts de ce dernier pour «s'ouvrir au monde». En verve, la vice-présidente dénonçait alors des attaques moralisatrices des critiques du Qatar visant à obtenir «une attention médiatique de bas étage», ce qui avait fait tiquer certains socialistes grecs, comme le notait alors le média Euractiv.
Manon Aubry décrit également les négociations à huis clos qui ont eu lieu sur le texte en question et relate les propos de membres du groupe socialiste remettant en cause l'enquête du Guardian sur les nombreux décès de travailleurs au Qatar, ou suggérant de parler de «problèmes» plutôt que de «violations des droits humains».
«Etrangement, j'arrive à obtenir des avancées dans le texte dès que cela ne concerne pas le Qatar», raconte l'élue, alors qu'un fond d'indemnisation pour les victimes abondé par la Fifa ne pose guère problème. L'opposition à ses propositions et amendements est à ce point systématique qu'elle se demande si le Qatar a infiltré le Parlement européen dans une 𝕏 vidéo publiée alors, ajoutant avoir été contactée par l'ambassade de ce pays au moment de ces débats, ce qu'elle a refusé.
L'argent qatari a acheté la complaisance du Parlement européen
D'après Manon Aubry, le constat est sans appel : «L'argent qatari a acheté la complaisance du Parlement européen», affirme-t-elle, en préconisant de «faire le ménage dans les institutions européennes» et d'y renforcer les règles éthiques afin d'empêcher toute ingérence de ce type à l'avenir. «Il serait également utile de se pencher sur les liens entre le Qatar et l'ensemble des membres des institutions européennes», a-t-elle plaidé, en citant le nom du 𝕏 commissaire grec Margaritis Schinas (droite) : ce responsable de la «promotion du style de vie européen» a multiplié les éloges du Qatar et attire donc les soupçons, selon elle.
«On n'achète pas des députés comme des clubs de foot», a lancé l'eurodéputée en conclusion de ces révélations. La présidente du Parlement européen Roberta Metsola devrait s'exprimer sur cette affaire à l'ouverture de la session plénière mensuelle rassemblant tous les eurodéputés à Strasbourg ce 12 décembre. Le groupe de gauche emmenée par Manon Aubry a indiqué qu'il réclamerait une commission d'enquête «pour faire toute la lumière sur les défaillances des institutions européennes et des règles éthiques actuellement en vigueur».