20/12/2022 infomigrants.net  5 min #221076

Validation du plan Rwanda : les Ong craignent un « effet domino »

De nombreux membres de la société civile sont critiques de l'accord passé entre le Royaume-Uni et le Rwanda. Crédit : picture alliance

Les réactions à la décision de la Haute Cour de Londres,  qui a validé hier le plan controversé d'externalisation de l'asile vers le Rwanda, ne se sont pas fait attendre. "Si le gouvernement persiste dans cette politique néfaste, cela abîmera la réputation du Royaume-Uni comme pays respectant les droits de l'Homme", alerte Enver Solomon, directeur général de l'ONG Refugee Council, contactée par Infomigrants. Cette ONG fait partie des requérants dans la procédure judiciaire intentée contre ce plan gouvernemental,  jusqu'ici suspendue depuis avril.

"Il est légal pour le gouvernement de prendre des dispositions pour relocaliser les demandeurs d'asile au Rwanda et pour que leurs demandes d'asile soient examinées au Rwanda plutôt qu'au Royaume-Uni", a conclu, lundi 19 décembre, le juge Clive Lewis, à l'issue d'une audience de cinq jours. Désormais, les exilés arrivés sur le territoire britannique de manière irrégulière pourraient donc être envoyés vers cette nation d'Afrique de l'Est. C'est là, à plus de 6 000 kilomètres de Londres, que leurs demandes d'asile seraient étudiées.

"L'arrangement entre le Royaume-Uni et le Rwanda contrevient aux obligations internationales du Royaume-Uni", martèle aujourd'hui le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (HCR). Le HCR ne fait pas partie des requérants dans la procédure judiciaire intentée contre le plan gouvernemental. Mais ses experts ont conseillé le tribunal, en particulier sur le respect de la Convention de Genève de 1951 régissant la protection internationale des migrants.

L'externalisation de l'asile, "un effet domino"

L'idée de l'externalisation de l'asile, défendue ardemment par le ministère de l'Intérieur britannique, est symptomatique d'une tendance globale. "La responsabilité de l'asile est transférée des pays riches vers d'autres pays, dits"en développement"", explique Emilie McDonnell, chargée de plaidoyer chez Human Rights Watch, à l'occasion d'une conférence animée sur Twitter, mardi. "C'est une décision nuisible que de déléguer ainsi ses responsabilités en matière d'asile".

L'Australie a été le premier pays à appliquer une telle politique à grande échelle, depuis le début des années 2 000. Les demandeurs d'asile sont envoyés par l'Australie sur d'autres territoires, dans des centres de rétention, pour y voir leurs dossiers examinés. Résultat : des "centres de détention externalisés, des prisons en plein air" avec des exilés retenus "dans des conditions atroces", rappelle Graeme McGregor, responsable des campagnes de l'ONG Detention Action, lors de cette conférence.

Copiant le Royaume-Uni, le Danemark a récemment avancé sur un accord avec le Rwanda. En parallèle, plusieurs pays européens,  dont l'Autriche par exemple, plaide pour une externalisation totale de l'asile hors de l'Union européenne. "Il y a un effet domino" des politiques d'externalisation, qui sont "une menace réelle sur la protection internationale des réfugiés", conclut Emilie McDonnell. Et cette décision de la Haute Cour pourrait accélérer la tendance.

Le Rwanda, loin d'être un pays "sûr"

Si le Royaume-Uni parvient à appliquer son plan, les exilés expulsés vers le Rwanda "ne disparaîtront pas. Ils rentreront simplement de nouveau dans la migration globale, en repartant d'un pays plus pauvre, moins sécurisé que le Royaume-Uni", souligne Graeme McGregor, de Detention Action.

Cent quarante millions de livres (près de 160 millions d'euros) sont déjà débloqués par le Royaume-Uni pour le Rwanda, dans le cadre de l'accord signé en avril. Mais "ce plan ne fonctionnera pas s'ils pensent que les gens vont rester là-bas", abonde Lewis Mudge, responsable de Human Rights Watch en Afrique centrale.

Le Rwanda, décrit par le gouvernement britannique comme un pays tiers "sûr", est en effet loin d'être accueillant pour les demandeurs d'asile. "La détention arbitraire et illégale y demeure courante" rappelle Lewis Mudge, avec des pratiques de "torture" régulièrement documentées.

La menace d'une expulsion vers le Rwanda "créé une grande détresse chez ceux que nous accompagnons, y compris des jeunes qui deviennent extrêmement anxieux et dans certains cas s'automutilent", indique Enver Solomon, du Refugee Council.

La nécessité d'une aide juridique pour les demandeurs d'asile concernés

Le bras-de-fer judiciaire, entamé depuis avril, n'est cependant pas terminé. La décision tombée lundi est favorable au gouvernement, mais les ONG comptent bien faire appel. L'affaire pourrait être portée, à terme, devant la Cour Suprême du Royaume-Uni, ou devant la Cour européenne des droits de l'homme, à Strasbourg. Il faudra attendre encore de longs mois pour une conclusion définitive.

L'examen au cas par cas des demandeurs d'asile menacés d'expulsion sera au cœur de la bataille. Les juges de la Haute Cour ont ordonné aux autorités d'étudier la situation particulière de chaque demandeur d'asile avant de l'envoyer au Rwanda. Cette nuance constitue la principale fenêtre de tir pour les ONG.

"Il est crucial que les personnes individuellement touchées par cette politique reçoivent une assistance juridique, autant qu'un soutien émotionnel", défend Graeme McGregor, de Detention Action.

Rendez-vous est donné le 16 janvier : une audience déterminera la viabilité des procédures d'appel. D'ici là, les traversées de la Manche entre la France et le Royaume-Uni se poursuivent. Le seuil des 40 000 traversées a été franchi. Au moins quatre personnes  sont décédées dans un naufrage la semaine dernière.

Ce plan Rwanda est "mauvais dans son principe et irréalisable dans la pratique", conclut Enver Solomon. "C'est une politique extrêmement coûteuse", dont le gouvernement estime qu'elle est dissuasive, alors que cela "ne fonctionne tout simplement pas. Cela force simplement les gens à faire des voyages de plus en plus dangereux". Le responsable du Refugee Council encourage plutôt à mettre en place "un système d'asile ordonné, humain et équitable, et développer des itinéraires sûrs tels que les visas humanitaires".

 infomigrants.net

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