Une chaîne d'emails échangés au sein du Home Office au Royaume-Uni (équivalent du ministère de l'Intérieur), et dont la BBC a eu connaissance, révèle l'embarras des autorités britanniques concernant la gestion des migrants arrivés sur le territoire. Au cœur de la polémique : environ 450 migrants, transférés du centre d'enregistrement surpeuplé de Manston - depuis évacué - vers des centres de détention. Ces derniers y sont restés au-delà des délais légaux, apprend-on dans cet échange daté du 4 novembre.
"Leur détention n'est plus légale car ils ne peuvent être détenus que le temps de la vérification de leur identité et ensuite seulement pour une durée maximale de cinq jours", détaille ainsi l'un des courriels sur un ton alarmiste. "La plupart sont là depuis plusieurs semaines, plus longtemps que certains cas à Manston. Il faut les déplacer dans des hôtels le plus vite possible." Les services du Home Office ont par ailleurs indiqué qu'ils "travaillaient sans relâche pour déplacer les gens dans des hôtels et d'autres hébergements aussi rapidement que possible".
Ces échanges électroniques ont eu lieu au lendemain d'une visite de la ministre de l'Intérieur, Suella Braverman, en pleine controverse autour des conditions de vie des exilés dans le centre de Manston.
Ce centre, ouvert en janvier et censé accueillir les exilés pendant 24 heures, avant leur transfert dans des logements temporaires, était alors " catastrophiquement surpeuplé", avait indiqué le journal The Guardian. Prévu pour une capacité maximale de 1 600 personnes, il comptait à la date du 31 octobre près de 4 000 occupants, dont de nombreuses familles et jeunes enfants. Le 1er novembre, le ministre britannique de l'Immigration, Robert Jenrick, avait annoncé que la population du centre avait été réduite au cours de la nuit du 31 octobre au 1er novembre. Certaines de ces personnes avaient donc été menées dans des centres de détention.
"Le Home Office a perdu le contrôle du système"
La responsable de l'opposition travailliste Yvette Cooper a réagi à la publication du contenu de ces emails en déplorant l'attitude des autorités. Ces messages, selon elle, "prouvent que [les membres du] Home Office savaient qu'ils étaient en train d'enfreindre la loi et révèlent à quel point leur gestion chaotique a mené à cette situation."
"Sous la direction [de Mme Braverman], le Home Office a perdu le contrôle du système et a engendré des frais de justice potentiellement considérables pour les contribuables", a encore asséné Yvette Cooper.
Le dossier Manston a fait couler beaucoup d'encre ces derniers mois. L'image d'une jeune migrante courant vers les grilles du centre pour remettre une lettre poignante à des journalistes, dans laquelle elle dénonçait les conditions de séjour dans ces lieux, avait fait la une des médias, début novembre. "On est comme en prison, alertait l'adolescente. Il y a beaucoup d'enfants ici. Ils ne devraient pas être ici. Ils devraient être à l'école, pas en prison."
Un homme qui était hébergé dans le centre est par ailleurs décédé le 19 novembre, à l'hôpital. Il avait été hospitalisé après s'être "senti mal". La cause de son décès n'a pas été rendue publique mais une autopsie a révélé que l'homme souffrait de diphtérie.
Limiter le recours à des hôtels
La ministre de l'Intérieur Suella Braverman a été jugée responsable de la situation dans ce centre surpeuplé. Selon la presse britannique, elle aurait cherché à limiter le recours à des hôtels pour accueillir ces migrants, ignorant les avertissements de responsables de son ministère sur le caractère illégal d'un tel blocage, ce qu'elle a démenti.
Les hébergements dans des hôtels ont, eux aussi, été dénoncés pour leur défaillance ces derniers mois. Selon des données obtenues en octobre, là encore par la BBC, 116 enfants migrants, arrivés seuls dans le pays, ont disparu des radars de l'administration après avoir été logés dans des hôtels gérés par le Home Office entre juillet 2021 et août 2022. Ils pourraient être tombés aux mains de réseaux d'exploitations, alertent les associations. Cette solution d'hébergement n'est normalement pas destinée au jeune public mais les structures dédiées pâtissent d'un manque de place.
Les arrivées au Royaume-Uni, à bord de petites embarcations à travers la Manche, se poursuivent à une cadence soutenue. Le pays n'a jamais vu autant de migrants traverser : près de 45 000 depuis le début de l'année, contre près de 30 000 l'année précédente.