Vladimir Caller
On ne peut que souscrire au tweet d'Evo Morales le soir du coup d'état qui a destitué le président Pedro Castillo lorsqu'il invite la gauche à réfléchir : « Un gouvernement populaire ne doit jamais abandonner sa ligne idéologique ; croire que la droite peut accepter la gauche au pouvoir est une erreur historique ». A son tour le président mexicain Lopez Obrador visait aussi juste, nous dirions un peu plus juste, à propos de l'éviction de Castillo : « Nous regrettons qu'en raison des intérêts des élites économiques et politiques, depuis le début de la présidence de Pedro Castillo, une atmosphère de confrontation et d'hostilité ait été entretenue contre lui, l'amenant à prendre des décisions qui ont servi à ses adversaires pour consumer sa destitution. »
En effet, « Castillo a pris des décisions qui ont servi à ses adversaires ». Mais pas toujours en réponse au comportement hostile de ses adversaires, parfois de sa propre initiative, plus exactement à l'initiative d'un secteur de la gauche qui n'a pas attendu cette hostilité pour faciliter, involontairement bien sûr, l'objectif de la droite péruvienne qui avait besoin de prétextes pour en finir avec le règne d'un paysan qui osait contester ses privilèges. Prétextes contenus dans le programme même du candidat Castillo et dans d'autres initiatives qui, une fois élu, ont conforté les sinistres plans de la réaction. Expérience à réfléchir, pour reprendre les mots de Morales, car le problème est important pour une gauche (pas seulement latino-américaine) qui a tendance à négliger des notions, pourtant indispensables dans la lutte politique, tel le rapport de forces et la viabilité des programmes.
Le Pérou, centre du pouvoir espagnol dans la période coloniale, a une droite conservatrice particulièrement élitiste et la Constitution du pays, façonnée par Fujimori, reflète bien son hégémonie. Le candidat Castillo et ses soutiens de gauche ont proposé, comme objectif central de leur programme, de faire une nouvelle constitution, ce qu'on peut comprendre. Le problème est que lors du premier tour des élections Castillo n'a eu que 19 % des voix, c'est-à-dire un taux de soutien assez modeste à sa candidature et à son programme. Au second tour, il triompha avec 51 % des voix ; résultat qui s'explique par le rejet à la candidature de Keiko Fujimori (49% des voix), la fille de l'ancien président abhorré par les Péruviens. Et Castillo et la gauche étaient bien conscients du pourquoi de ces résultats.
Malgré cela, une fois élu, Castillo persista et proposa la révision de la Constitution. Or, me semble-t-il, on ne change pas la constitution d'un pays avec un avantage de 2% (et 19 % de « fonds propres » !). Ce n'est tout simplement pas démocratique et l'opposition ne tarda pas à s'approprier ce somptueux cadeau pour attaquer Castillo et l'obliger à faire marche arrière. Qu'à cela ne tienne, lors de la nomination de son cabinet ministériel Castillo nomma comme ministre des Affaires étrangères Hector Béjar, ancien chef de guérillas, âgé de 85 ans. Inutile de dire que l'opposition et les médias ont lancé une violente campagne accusant Castillo de collusion avec le terrorisme et l'obligeant à démettre Béjar 18 jours après sa nomination. Ebranlé, souhaitant 'réparer' sa faute, Castillo nomma à sa place Oscar Maurtua, personnage très proche de la Maison Blanche. Voilà ce qui donnent ces « victoires » d'une durée de 18 jours.
Enfin, Castillo décida, ce 7 décembre, de suspendre le Congrès et de gouverner par décrets pour contrer la féroce campagne de la réaction et ce fut le cadeau pour son enterrement. Non seulement la décision était mal ficelée (les conditions 'techniques', n'étaient pas réunies pour justifier une telle mesure) mais en plus la décision visait aussi l'élection « dans les plus brefs délais » d'un Congrès constituant en vue de la rédaction... d'une nouvelle Constitution « dans un délai ne dépassant pas neuf mois ». Revoilà donc le mantra de toujours. Cerise donc sur le gâteau pour alimenter les plans putschistes. Et motif pour nous demander, n'eut-il pas été mieux de proposer, de concentrer les efforts pour lancer des programmes, bien plus compréhensibles pour le grand public, visant à taxer lourdement les fabuleux bénéfices des grosses entreprises minières, très souvent contrôlées par des capitaux étrangers ? Ou pour lancer une chasse sans concessions des colossales évasions fiscales que connaît le pays depuis toujours, au lieu de s'obstiner, aveuglement, sur la question constitutionnelle ?
Grossier coup d'état bien entendu, même si façonné par des procédures pseudo institutionnelles via des résolutions du parlement et complété par une criminelle répression contre des protestataires désarmés. L'ambassadrice des Etats-Unis, Lisa Keena, ne pouvait pas rester en marge et c'est ainsi qu'immédiatement après le discours de Castillo annonçant sa décision, elle donna le coup d'envoi de l'opération par un tweet : « Les Etats-Unis demandent instamment au président Castillo de revenir sur sa tentative de fermer le Congrès et de permettre aux institutions démocratiques du Pérou de fonctionner conformément à la Constitution. » La tonalité est impérative, Madame ne donne pas un avis, elle donne des ordres vite exécutés. De l'autre côté de la barricade l'espoir, si ancien, d'avoir au Pérou un gouvernement au service des classes populaires fut mis en échec par des politiques, venant pourtant de la gauche, toujours 'maximalistes' mais peu préparées et non-viables. Et ledit espoir, de devenir encore plus incertain et bien plus lointain.
Source : « Le Drapeau rouge »