26/12/2022 elcorreo.eu.org  12 min #221390

Rafael Poch de Feliu : « Résignés à une guerre longue »

par  Rafael Poch de Feliu*

Seul Lula pourrait jouer un rôle de médiateur crédible dans le conflit ukrainien, condamné à s'éterniser par les intérêts des puissances et l'impasse du champ de bataille.

« Coucher de soleil rouge sur le Dniepr »
Une œuvre du peintre russe AjipKuinzhi (1841-1910), né à Mariupol.

Le 5 décembre, l'Ukraine a attaqué deux bases nucléaires russes d'aviation stratégique, à Riazan et Saratov, à des centaines de kilomètres de sa frontière. Immédiatement après, le secrétaire d'État Antony Blinken a déclaré que Washington "n'encourage ni ne contribue aux attaques ukrainiennes sur le territoire russe", mais des sources militaires américaines et russes  Militarysources : Ukrainemissilesused US guidance - Asia Times soulignent que ces attaques, utilisant de vieux TU-141 soviétiques des années 1970 convertis en missiles de croisière, ont été rendues possibles par les systèmes américains modernes de communication et de navigation par satellite. Le 16 décembre, l'agence Tass  Moscow has data confirming US', Poland'sinvolvement in terror attacks in Russia - agency - RussianPolitics&Diplomacy - TASS a mentionné une société de l'Arizona comme fabricant des systèmes utilisés dans plusieurs attaques sur le territoire russe et a même cité le nom de l'aéroport polonais (Rzeszow) où les dispositifs auraient été testés et assemblés.

La implicación directa e intensa de recursos militares de la OTAN, no solo con armas y dinero, sino también con fuerzas especiales y todo tipo de recursos electrónicos y de posicionamiento de última generación, y no ya desde el inicio de la invasión sino desde inmediatamente después del cambio de régimen en Kíev del invierno de 2014, es algo conocido y admitido :

« Ce que nous avons fait à partir de 2014, c'est créer les conditions », a notamment expliqué le chef des opérations spéciales Richard Clarke, en août, dans une interview accordée à David Ignatius dans le Washington Post. « Lorsque les Russes ont envahi le pays en février, nous travaillions avec les forces spéciales ukrainiennes depuis sept ans. Avec notre aide, elles ont augmenté en nombre et, surtout, elles ont renforcé leurs capacités, tant en matière de combat d'assaut que d'opérations de renseignement ».

Attaquer les bases russes est parfaitement légitime pour l'Ukraine, d'autant plus que des bombardiers stratégiques russes TU-95 ont lancé des missiles sur des cibles ukrainiennes après avoir décollé de ces bases, mais du point de vue de la dialectique des superpuissances nucléaires, il s'agit d'une action à haut risque. Imaginer que la Chine ou la Russie utilisent leur technologie militaire pour permettre des attaques depuis le Mexique contre une base nucléaire américaine en Californie ou au Minnesota donne des frissons. Et c'est ce qui se passe.

Un responsable du ministère russe des affaires étrangères a déclaré que l'utilisation des satellites américains fait à son tour de ces moyens une cible militaire russe légitime et un analyste militaire chinois bien connu sur le portail  首页 (guancha.cn  ) a conseillé aux Russes de ne pas s'exposer à un tel « danger mortel ». Poutine a convoqué le Conseil national de sécurité après les attaques du 5 décembre, mais heureusement, les Russes savent ce qui les attend s'ils attaquent les satellites américains et semblent être davantage d'accord avec l'analyste chinois qu'avec leur éloquent diplomate.

C'est le genre de roulette insensée qui se joue en Ukraine. Cela illustre parfaitement la nature multiple et contradictoire de cette guerre. Multiple parce que l'invasion criminelle russe de l'Ukraine qui cause tant de souffrances à la population civile n'aurait pas été possible sans les éléments de guerre civile que le changement de régime de 2014 a déclenché à l'intérieur de l'Ukraine en imposant le récit nationaliste anti-russe et atlantiste à de larges pans de la population qui n'étaient pas d'accord avec lui, notamment, mais pas seulement, en Crimée et dans le Donbas. L'un n'aurait pas été possible sans l'autre.

Contradictoire, car avec cette importante réserve, on peut défendre le droit légitime des Ukrainiens à leur souveraineté et à leur intégrité territoriale et en même temps s'opposer à la guerre par procuration que les États-Unis et l'OTAN mènent en Ukraine contre la Russie, avec la Chine en tête. Il est impossible à ce stade de rejeter cette approche, à laquelle souscrivent ouvertement et sans complexe ses protagonistes, comme une spéculation abstraite. Le dernier à l'expliquer a été le chef de Stratcom, Charles Richard, l'un des principaux commandants militaires américains :

« La crise ukrainienne que nous traversons actuellement n'est qu'un échauffement. Le grand moment arrive et nous ne tarderons pas à être testés comme nous ne l'avons pas été depuis longtemps », explique Richard dans une interview publiée par le New York Times le 22 novembre. L'Ukraine est un terrain d'essai où les capacités russes sont jaugées et où l'on « teste et observe les nouvelles avancées en matière de technologie et d'entraînement qui changent la façon dont nous combattons », explique le journal dans la même enquête.

C'est l'aspect essentiel qui empêche la gauche d'embrasser la cause ukrainienne aux côtés de ceux qui viennent de mettre le feu au Moyen-Orient, de la Libye à l'Afghanistan, en passant par la Syrie, le Yémen et l'Irak, avec pour résultat plus de trois millions de morts et quarante millions de personnes déplacées et réfugiées, et qui font maintenant chauffer les moteurs de la troisième guerre mondiale. Et c'est précisément le scénario qui détermine la position majoritaire du Sud mondial dans ce conflit, tandis qu'en Europe une pseudo-gauche de droite (la ligne de démarcation entre la gauche et la droite est le soutien au néolibéralisme et au bellicisme) danse au son des tambours de la guerre et du militarisme enveloppés dans le drapeau ukrainien.

La plupart des pays du monde ont condamné l'agression de la Russie contre l'Ukraine à l'ONU, tout en se dissociant des sanctions contre la Russie destinées à « ruiner » ce pays (la ministre allemande des affaires étrangères Annalena Baerbock), à « démanteler pas à pas la capacité industrielle de la Russie » (Ursula von der Leyen), pour ne citer que deux politiciens européens ratés, protagonistes de sanctions aussi ruineuses pour l'UE que bénéfiques économiquement et géopolitiquement pour les États-Unis. Il y a encore moins de consensus dans le monde sur la ligne occidentale d'armement illimité de l'Ukraine et la mauvaise foi de négociation démontrée dans les accords de Minsk de 2015, qui visaient à « gagner du temps » (Angela Merkel dans des déclarations à Die Zeit) afin de « créer des forces armées puissantes » (Petro Porochenko, ancien président de l'Ukraine) et dans le désintérêt manifeste pour une solution de paix négociée démontré ces derniers mois.Que se passe-t-il entre-temps à Moscou ?

Séance du soir sur la première chaîne de télévision russe. Les visages irrités des vedettes de la télévision, les visages découragés des experts et analystes patriotiques, en septembre et octobre, à l'occasion de la contre-offensive ukrainienne réussie, ont fait place à autre chose. Maintenant, ces mêmes personnes dégagent une confiance arrogante. Ils annoncent un prochain retournement de situation sur la ligne de front. L'économie russe fonctionne, s'adapte, les relations extérieures se transforment et se resserrent. Le commerce de la Russie avec la Chine non seulement ne diminue pas, mais augmente de manière dynamique, confirme le Wall Street Journal  Xi Jinping double son pari sur Poutine. « J'ai une personnalité similaire à la tienne ». WSJ. Les sanctions sont impuissantes. En Europe, les tensions et les difficultés s'accroissent. Privée d'électricité, l'Ukraine se vide et y envoie ses centaines de milliers de réfugiés, qui deviendront de plus en plus encombrants. La société russe se satisfait des versions officielles, comme la société américaine l'a fait «  Мнесэтимлегчежить » : почемуфактынеспасутотпропаганды - Posle Media avec la guerre en Irak, avalant les arguments justificatifs avec le même calme. Les « Patriots », que les Etasuniens vont livrer à l'Ukraine, sont des modèles anciens, pas très efficaces et très chers dit-on. Combien de temps les Américains et les Européens pourront-ils supporter une subvention de guerre aussi ruineuse ? Aux États-Unis, l'establishment est divisé, le Département d'État étant prêt à poursuivre la guerre jusqu'au dernier Ukrainien et le Pentagone beaucoup plus prudent, comme s'il prenait au sérieux « l'offensive d'hiver » russe. Même le chef d'état-major de l'armée, le général Mark Milley, a averti en novembre qu'il n'y avait pas de victoire en vue dans cette guerre... Pour le reste, les rapports quotidiens sur les attaques ukrainiennes aveugles contre les villes du Donbas (écoles, hôpitaux), les décorations pour les défenseurs héroïques de la patrie et un Poutine détendu et en forme occupent de longs segments de l'actualité... L'Occident se lassera-t-il ?

En Afghanistan, il leur a fallu vingt ans pour se débarrasser de cette guerre absurde dans laquelle 2300 milliards de dollars ont été dépensés, et lorsqu'ils l'ont fait, c'était pour mieux se concentrer sur l'action actuelle contre la Russie et la Chine, ce qui n'est pas bon pour Moscou non plus. Même si les militaires, soutenus par Washington, finissent par déloger Zelensky à Kiev en vue de négociations, il sera très difficile pour l'Ukraine d'accepter ce que les Russes définissent comme « les réalités du terrain » : leur céder les 100 000 kilomètres carrés qu'ils occupent sur les 600 000 kilomètres carrés de l'Ukraine. Et tout ce qui serait inférieur à cela - et ce pourrait être beaucoup moins - serait une perte pour la Russie, dont l'existence du régime est en jeu dans cette guerre. Pour l'Occident, toute paix qui ressemblerait à une victoire russe serait une défaite qui confirmerait son déclin aux yeux de la majorité du monde. Donc tout indique que la guerre sera longue.

Avec ce pronostic, la question est de savoir qui pourrait y remédier, qui pourrait jouer le rôle de médiateur.

Le président brésilien Luiz Inácio'Lula' da Silva prendra ses fonctions le 1er janvier. Sa reconnaissance de l'État palestinien sur les frontières de 1967, appuyée par une demi-douzaine de pays d'Amérique latine, sa médiation réussie avec l'Iran, qui a rendu possible l'accord nucléaire auquel les États-Unis ont reculé, et, surtout, son leadership dans l'intégration continentale sud-américaine et la consolidation des pays émergents avec des objectifs communs d'intégration politique, de réforme des « institutions internationales » de l'Occident et de dé-dollarisation, ont rendu l'empire furieux et expliquent, selon ses propres dires, le coup d'État suivi d'un emprisonnement que Lula a subi au Brésil en 2018. Aujourd'hui, les circonstances sont très différentes de celles qui l'ont porté au pouvoir en 2003 : il a gagné les élections de justesse, la situation n'est pas favorable à l'expansion de la distribution des revenus, bien au contraire, et, de plus, il doit faire face à une extrême droite bolsonariste puissante qui bénéficie d'un énorme soutien social. Comme l'a souligné Steve Ellner,  « Washington ammeisten an Präsident Lula da Silva fürchtet : BlockfreiheitundLoslösungvom US-Dollar »  (nachdenkseiten.de), le meilleur terrain pour consolider le mandat de Lula est la politique étrangère : réaffirmer le leadership brésilien à la tête d'un vaste mouvement international de pays non alignés.

Le conflit en Ukraine, l'incapacité démontrée des puissances à le résoudre et leur engagement commun dans une guerre longue et désastreuse qui ne semble pas avoir de vainqueurs, offre à Lula le défi de démontrer sa crédibilité pour parvenir à un accord avec le soutien de la véritable « communauté internationale » qui a tracé la ligne de l'ONU : condamnation de l'invasion russe et en même temps opposition à une guerre d'hégémonisme occidental qui affaiblit le rôle de la Russie dans l'équilibre mondial. Un tel affaiblissement aurait des conséquences désastreuses non seulement pour la puissance nucléaire de la Russie, avec tous les dangers qui en découlent, mais aussi pour l'ensemble du Sud dans sa lutte contre l'hégémonisme belliciste de l'Occident.

Ce sont des considérations qui ne comptent pas en Europe et aux États-Unis, mais qui sont fondamentales en Amérique latine, en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient. Grâce à une médiation habile en Ukraine, Lula pourrait être le porte-drapeau des intérêts de la majorité de la population mondiale.

Rafael Poch de Feliu* pour son  Blog personnel

Original : «  Resignados a una larga guerra »

 Rafael Poch de Feliu. Catalunya, 22 décembre 2022.

Traduit de l'espagnol pour  El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi

 El Correo de la Diaspora. Paris, le 27 décembre 2022

* Rafael Poch deFeliu ha sido durante más de veinte años corresponsal de La Vanguardia en Moscú, Pekín y París. Antes estudió historia contemporánea en Barcelona y Berlín Oeste, fue corresponsal en España de Die Tageszeitung, redactor de la agencia alemana de prensa DPA en Hamburgo y corresponsal itinerante en Europa del Este (1983 a 1987).  Blog personal. Autor de : « La Gran Transición. Rusia 1985-2002 » ; «  La quinta Alemania. Un modelo hacia el fracaso europeo » y de «  Entender la Rusia de Putin. De la humillación al restablecimiento ». Otros blogs :  Diario de París  ;  Diario de Berlín (2008-2014)  ;  Diario de Pekín (2002-2008)  ;  Diario de Moscú (2000-2002)  ;  Cuaderno Mongol

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