Note
Bataille avec le chaos
• Description et interprétation religieuse d'un événement extraordinaire : la Sainte-Russie partant en guerre contre les armées 'Collectiv-West' de la civilisation du chaos. • Contribution : Alexandre Douguine.
Voici un texte du philosophe russe Alexandre Douguine qui développe une analyse métaphysique de l'Opération Militaire Spéciale (OMS) lancée par la Russie en Ukraine. Il l'identifie aussitôt, selon sa démarche de géopolitique métaphysique et ses références au rôle spirituel et religieux fondamental de la Russie comme "Troisième Rome", comme un affrontement de la Russie contre le chaos que représente l'offensive globaliste (voir le colonel Macgregor) de ce qu'il nomme "la nouvelle démocratie" :
« Si nous considérons le problème du chaos dans une perspective philosophique et historique, il devient tout à fait clair que l'Opération militaire spéciale (OMS) relève de la lutte de la Russie contre la civilisation du chaos, qui est, en fait, la "nouvelle démocratie", représentée par l'Occident collectif et sa proxy-structure enragée (l'Ukraine). »
Douguine tempère aussitôt ce caractère de bataille apocalyptique en observant que la Russie n'y était absolument pas préparée et qu'elle a été complètement surprise de se trouver engagée dans une telle bataille (ce qui peut correspondre assez joliment et avec une habileté dialectique rare à une explication opérationnelle des difficiles débuts de l'OMS et des possibles erreurs commises par les Russes dans les premières semaines). Il écrit ainsi, - mais avec une réserve de notre part puisqu'il parle du « chaos modéré du globalisme », ce qui nous semble très contradictoire du reste de la description (mais le qualificatif "modéré" est peut-être une erreur, un faux-sens de la traduction)...
« Évidemment, en première approximation, la Russie n'attendait rien d'autre que la reconnaissance de sa souveraineté en tant qu'État-nation et la protection de ses intérêts nationaux, et le fait qu'elle ait dû affronter le chaos modéré du globalisme pour y parvenir a été en quelque sorte une surprise pour Moscou, qui a entamé l'OMS avec des objectifs beaucoup plus concrets et pragmatiques.... ...et les dirigeants russes ne s'attendaient pas ou même ne soupçonnaient pas une confrontation sérieuse avec l'institution du chaos, - surtout sous sa forme aggravée. »
Douguine cite encore l'une ou l'autre faiblesse de la Russie dans cette affaire. S'il donne un rôle métaphysique fondamental à la Russie dans l'absolu, on voit qu'il ne porte guère d'estime à l'actuelle direction et à l'actuelle politique, dont il estime qu'elles ne sont pas consciente de l'enjeu, même si elles y viennent par la force des choses... Et cette "force des choses", bien entendu, c'est le « chaos du globalisme », qui nous semble donc bien ne pas être « modéré » du tout :
« Mais comme l'Occident globaliste moderne refuse à la Russie toute souveraineté, même relative, il l'oblige à faire monter les enchères sans cesse. Elle se retrouve ainsi dans la position d'une société en rébellion contre le monde moderne, contre le chaos égalitaire, contre la croissance rapide du vide et l'accélération de la dissipation... »
Alors, il fallut bien y aller :
« La Russie, - peut-être pas sur la base d'un choix clair et conscient, -s'est retrouvée en opposition à la civilisation du chaos... »
On retrouve assez souvent ce pessimisme peut-être outrancier de Douguine sur l'actuelle direction (ce qui réduit à une rumeur de salon le rôle d'"éminence grise" de Poutine qu'on lui fait volontiers jouer). Ainsi lorsqu'il parle d'une confrontation entre le chaos unipolaire de l'"Ouest collectif" et la multipolarité voulu par « la Russie et ses alliés prudents et souvent hésitants », on peut effectivement juger ce propos exagérément pessimistes. Les "alliés" de la Russie (des Chinois et des Indiens aux Saoudiens, aux Turcs, aux Indonésiens, etc., et le reste du monde non-OTAN) se révèlent à une vitesse fulgurante qui est le contraire de la prudence et de l'hésitation, à partir d'une position attentiste et souvent alignée sur Washington.
Mais l'on retrouve bien ici l'excès de la pensée métaphysique et de la foi de l'orthodoxe eurasien qu'est Douguine. Il applique effectivement un jugement métaphysique sur des événements qui ne le sont pas par eux-mêmes, et peuvent donc paraître fades. Selon nous, l'aspect métaphysique de la métahistoire ne se manifestent pas bruyamment ; ils existent et se font directement sous nos yeux, - c'est l'exceptionnalité tout à fait extraordinaire du temps, - mais notre tâche ardue est bien entendu de les distinguer au milieu d'un chaos de communication... Ainsi désignons-nous les vérité-de-situation (VdS) qu'il s'agit d'identifier dans un temps courant devenu fou, et nous atteignons ainsi à la métaphysique.
On dirait que Douguine attend que, dans cette époque extraordinaire, la métaphysique se manifeste d'elle-même de l'événement, comme si l'événement n'était que métaphysique ; nous proposons plutôt l'idée que le fait extraordinaire de cette époque qui l'est autant est que l'on trouve directement de la métaphysique dans l'événement, mais qu'il faut pouvoir l'identifier.
Pour le général, on dira que l'analyse de Douguine est extrêmement utile parce qu'elle élève l'événement en cours à la hauteur qui est la sienne, qui est évidemment spirituelle.
« Pour résister à la puissance du chaos de manière vraiment efficace, il faut un réveil spirituel à grande échelle, une transformation profonde et un renouveau des fondements, principes et priorités spirituels de l'ordre sacré. »
Il s'agit bien d'un bouleversement civilisationnel et anthropologique total, et nullement d'un simple avatar géopolitique de plus. On acceptera ou pas son interprétation religieuse qui lui est propre, ou bien on l'acceptera en la discutant, etc., - cet aspect est pour nous somme toute secondaire, - même s'il ne l'est évidemment pas pour Douguine. L'essentiel est l'interprétation qu'il donne de l'événement perceptible par tous, - l'OMS en Ukraine, - qui rencontre un sentiment de plus en plus général qu'on se trouve devant ce que nous qualifiions hier (rappelé par un de nos lecteurs) de cette façon tumultueuse :
«... cette "époque terrible" que nous vivons... d'une rupture tectonique des civilisations, un événement historique (métahistorique) qui égale, et peut-être même dépasse tous les plus grands événements de l'histoire notre civilisation. Nous vivons des temps épiques et sublimes où le monde historique et le cosmos métaphysique basculent dans une ère nouvelle. »
Le texte d'Alexandre Douguine est en français sur 'euro-synergies ;hautefort.com' le 1 er janvier 2023, venu du texte russe publié sur ' geopolitika.ru '.