11/01/2023 reseauinternational.net  10 min 🇬🇧 #222217

Interview du ministre conseiller de l'Ambassade de la Fédération russe en France, Alexander Zezyulin

par Daniela Asaro Romanoff et Dmitri DeKochko

1. Peut-on dire que l'Ukraine a été utilisée ?

Oui, tout à fait, je suis d'accord avec cette idée. Nous avons vu dans le cas ukrainien que l'Occident et surtout les États-Unis ont essayé de construire une soi-disant « anti-Russie » en Ukraine, ce qu'ils ont démontré non seulement ces derniers mois ou ces dernières années, mais au cours des décennies. Nous étions témoins d'un coup d'État en Ukraine, organisé de l'extérieur, c'était très évident et explicite en 2014, alors que les États-Unis collaboraient étroitement avec leurs alliés les plus proches pour atteindre cet objectif. Je ne veux pas pointer du doigt un pays ou un autre mais nous avons tous vu à la télé comment ce coup d'État avait été orchestré, donc ce n'est pas un secret, c'est difficile à nier.

2. Comment les médias mainstream parviennent à convaincre les gens du contraire ?

Par exemple, la presse occidentale ici en France et je crois aussi celle en Italie se sont littéralement jetées contre la Russie, oubliant souvent l'essence du métier de journaliste. Les journalistes se sont presque convertis en politiciens.

3. À votre avis, pourquoi ont-ils voulu utiliser l'Ukraine ?

Parce que l'Ukraine est l'un des pays les plus proches de la Russie, avec des liens de fraternité millénaires très fermes. À mon avis personnel, les Russes et les Ukrainiens constituent le même peuple.

J'ai travaillé en Italie et je peux garantir qu'il y a moins de différences entre les Russes et les Ukrainiens qu'entre les différentes régions italiennes.

Inciter à la guerre au sein du même peuple est vraiment désastreux.

4. Les Ukrainiens descendent anciennement des Cosaques ou bien ai-je tort ?

Les Cosaques se trouvent à la fois en Russie et en Ukraine, même aujourd'hui.

5. Pourquoi n'avait-elle pas réagi par exemple en 2014, elle aurait été comprise peut-être ?

Nous avons toujours réagi, mais notre réaction a toujours été contenue, à partir de 1991 avec l'effondrement de l'Union soviétique, la Russie a toujours préféré s'asseoir à la table du dialogue. Pourtant, nous avons vu que les accords n'ont jamais été respectés tant au niveau européen qu'au niveau bilatéral avec différents pays, comme ce célèbre cas de l'élargissement de l'OTAN. Au moment de la dissolution du pacte de Varsovie, Moscou a reçu des garanties verbales de certains États-membres de l'OTAN que cette alliance ne se serait pas étendue. Mais au cours des dernières années, nous avons vécu cinq « vagues » d'extension de l'OTAN. Dans le cas de l'Ukraine, l'OTAN se serait retrouvé presque à l'intérieur de la Russie... et je ne parle pas seulement de fraternité mais aussi des accords et des devoirs réciproques avec nos voisins.

En 2009, l'Ukraine a été invitée par l'Union européenne au soi-disant Partenariat oriental censé renforcer les relations entre l'Union européenne et les pays de l'ex-Union soviétique, y compris l'Ukraine. Et en 2013 l'UE a proposé à l'Ukraine de signer l'Accord de l'association lors d'un sommet du Partenariat oriental. L'Ukraine a été containte par Bruxelles à faire un choix : « soit avec nous, soit avec la Russie ».

De notre côté nous avons adopté une approche différente et proposé un dialogue entre la Russie, l'Union européenne et l'Ukraine car celle-ci avait de nombreux accords et traités avec la Russie et donc nous avons essayé de trouver des points de convergence entre nous tous, notamment dans le domaine économique et commercial. Malheureusement, la réponse de l'Union européenne était clairement négative, ils ne voulaient traiter qu'avec l'Ukraine et c'était l'un des facteurs qui ont conduit au coup d'État, de toute évidence, bien préparé.

Nous avons toujours proposé quelque chose de constructif mais nos propositions n'ont jamais été ni écoutées ni acceptées.

Lors de la Conférence sur la sécurité à Munich en 2007, notre président a averti l'Occident qu'il ne pouvait pas se comporter comme si nous vivions dans un monde unipolaire et qu'il ne pouvait pas imposer un certain mode de vie ou certaines règles au monde entier, mais malheureusement nous n'avons pas été écoutés.

Journaliste Dimitri DeKochko : Il faudrait ajouter sur cette histoire de la conduite par rapport à la Russie et sur ce qui vient de se passer après les déclarations de Merkel sur le fait que les accords de Minsk n'étaient destinés qu'à renforcer l'Ukraine, à l'armer, à entrainer les hommes et à fournir les armes pour attaquer la Russie, que ce soit vrai ou faux ce que a dit Merkel, malheureusement cela s'est révélé être très vrai... On a déclaré aussi qu'elle voulait se couvrir pour qu'on ne la critique pas pour avoir fait les accords de Minsk.

Ce qui est intéressant c'est que le président Poutine en réagissant à Merkel, et cela a été diffusé à la télévision russe, a reconnu son erreur d'avoir fait confiance aux Occidentaux, car Poutine voulait appliquer les accords de Minsk malgré l'opposition des gens du Donbass, qui ne voulaient plus être ukrainiens; le président russe voulait jouer le jeu des relations internationales et des partenaires. C'est pas tous les jours qu'un président reconnait ses erreurs, chez nous ça se fait pas.

Nous avons rencontré à plusieurs reprises des violations des accords par l'Occident mais maintenant nous parlons aussi de confiance trahie, peut-être nous n'avons pas entièrement confiance mais nous avons essayé de faire de notre mieux.

En 2014, après le coup d'État, ils préparaient déjà le conflit en Ukraine, ils préparaient l'Ukraine à faire la guerre à la Russie, disant à l'opinion publique internationale qu'ils ne sont que des intermédiaires, ayant pour seul objectif de faire respecter les accords de Minsk ; mais en réalité nous avons constaté que dès le début l'intention de l'Occident était de préparer la guerre contre la Russie, en utilisant l'Ukraine comme instrument en lui fournissant d'énormes quantités d'armes, mais aussi en idéologisant le pays en faisant en sorte que toute la politique ukrainienne interne incite à la haine contre la Russie en décrivant les Russes comme leurs ennemis.

Peu de temps après les révélations de Merkel, le secrétaire général de l'OTAN, Stoltenberg, a déclaré : « depuis 2014, nous préparons l'armée ukrainienne ».

6. Comment voyez-vous l'avenir de ce conflit ?

La Russie a déjà annoncé ses objectifs, on nous a reproché d'imposer une sorte d'ultimatum mais il n'y a pas eu d'ultimatum, ce sont juste des propositions raisonnables auxquelles tout État souverain a droit.

À nos frontières nous avons besoin d'un pays souverain et libre, qui prend des décisions en fonction de ses intérêts nationaux et non de ceux d'autres États, surtout s'il s'agit d'un pays lié à la Russie avec une histoire millénaire et partageant la même langue avec nous et les même valeurs, et surtout nous avons besoin d'un pays pacifique qui ne constitue pas une menace pour notre peuple et notre pays, qui respecte les libertés et ne discrimine pas les minorités. Notre seul intérêt est d'avoir la paix et la prospérité à nos frontières et pour atteindre cet objectif nous avons proposé des négociations, nous nous sommes engagés sur cette voie mais elle a été brusquement interrompue, non pas par la décision de Kiev mais par décision d'autres pays. Jusqu'à présent nous avons démontré notre volonté de reprendre le dialogue et de mettre fin au conflit à travers des accords et des moyens pacifiques mais malheureusement nous n'avons pas été entendus et nous n'avons donc qu'à poursuivre l'opération militaire pour atteindre nos objectifs.

Nous voulons voir une Ukraine où il n'y a pas de discrimination et où le nazisme n'émerge pas à nouveau, un régime que nous pensions définitivement vaincu après la grande victoire de la Seconde Guerre mondiale. Malheureusement aujourd'hui il y a des tentatives pour le ressusciter, avec les alliés nous avons combattu le nazisme mais nous avons payé le prix fort en perdant près de 30 millions de nos compatriotes et ainsi nous avons libéré l'Europe, personne ne peut nier le rôle décisif des peuples de l'Union soviétique.

7. Condoleeza Rice a déclaré en se référant à la Russie « Aujourd'hui un pays si grand, si riche et avec de solides traditions ne doit pas exister ». La Russie en agace beaucoup, pensez-vous que c'est pour cela qu'elle devrait toujours être en alerte ?

C'est vrai la Russie en agace beaucoup mais pas parce qu'on veut embêter mais parce qu'on est indépendant et qu'on veut décider en toute indépendance et cela en agace certains surtout ceux qui veulent l'hégémonie mondiale et cette pensée n'est pas seulement des États-Unis mais elle est très répandue. En fait ces derniers veulent préserver l'hégémonie mondiale et veulent décider pour le monde entier, ils sont aujourd'hui la partie la plus importante du problème et de cette situation internationale. Mais la Russie n'a pas d'aspirations hégémonistes, nous sommes prêts à coopérer avec tout le monde. Nous n'avons jamais été colonisateurs et nous ne le serons certainement pas aujourd'hui.

On voit aujourd'hui comment les choix politiques de certains pays reflètent leur passé de colonisateurs.

La Russie reste toujours vigilante et c'est pourquoi l'armée russe existe mais je le répète c'est uniquement à des fins de défense et nous n'avons aucune ambition expansionniste.

8. Les soi-disant « banksters » sont derrière les États-Unis et la vraie cause de toute cette situation, n'est-ce pas ?

C'est difficile à dire, mais il y a certainement des choix politiques et économiques à l'origine de la politique corrompue des États-Unis, je crois personnellement que ce sont les choix de la classe politique qui dictent cette ligne.

Nous sommes bien conscients qu'aux États-Unis le monde de la politique et celui des affaires sont liés et donc l'économie est utilisée comme une arme et souvent de manière très déséquilibrée et loin de respecter le droit international, nous le voyons aujourd'hui avec toutes les sanctions qui sont imposées à la Russie dans le but d'imposer leurs prix à diverses matières premières telles que le pétrole, ce qui est absolument contraire aux règles du marché international.

Les États-Unis violent les règles qu'ils ont eux-mêmes fixées.

L'économie fait aussi partie de cette concurrence souvent déloyale, mais les choix restent toujours à la classe politique.

9. La classe politique d'une certaine manière est élue par le peuple, par contre ces gens de l'économie internationale ne sont élus par personne mais ils commandent et ils sont contre la Russie depuis des siècles

Je suis d'accord avec votre raisonnement, les grands patrons ont beaucoup d'influence sur la classe politique, je ne veux pas parler des élections et de la vie politique d'autres pays, mais on sait très bien que très souvent les résultats des élections dépendent des dons, qui doivent ensuite être restitués d'une manière ou d'une autre.

10. Selon vous, les BRICS peuvent aider la Russie ?

Nous faisons confiance à nos partenaires, nous coopérons avec les BRICS depuis de nombreuses années et tous nos partenaires ont toujours respecté les accords, nous avons des intérêts communs et nous nous entraidons.

Il y a beaucoup de pays qui veulent faire partie des BRICS, notre ministre des Affaires étrangères Lavrov a déclaré qu'il y a environ 15 à 17 pays qui veulent faire partie des BRICS, nous tenons beaucoup aux BRICS et nous avons l'intention de développer ce format.

11. Les États-Unis essayent de détruire les BRICS et la collaboration entre les pays membres et ils essayent aussi par tous les moyens d'empêcher les pays d'Amérique latine comme l'Argentine et le Pérou d'en faire partie, qu'en pensez-vous ?

Vous avez très bien décrit les méthodes de la politique étrangère américaine qui ne sont évidemment pas les mêmes que celles de la Russie.

On voit la pression exercée par les États-Unis non seulement sur les États sud-américains mais aussi sur de nombreux pays africains, mais heureusement ces pays commencent à réagir ayant le courage de s'exprimer librement.

Journaliste Dimitri DeKochko : à propos des BRICS et de ce qui est passé en Amérique latine, on ne doit jamais oublier la doctrine Monroe qui reprocherait à la Russie de s'inquiéter des missiles installés en Ukraine. Il y a eu un article dans Foreign Affairs, montrant une discussion entre le Pentagone et le Congrès sur la guerre internationale contre la Russie qu'ils sont en train de préparer, article qui a été commenté par Medvedev en déclarant que la Russie envisage la possibilité que les États-Unis, qui essayent de faire une guerre internationale, vont envoyer après les Ukrainiens, les Polonais, les Roumains, ensuite les gens de l'Union européenne et enfin les Anglo-Saxons... Mais avant ça ils vont essayer d'isoler la Russie en faisant des promesses aux pays des BRICS et aux pays qui sont neutres ou qui soutiennent la Russie, donc c'est très important pour la Russie de maintenir les liens avec les BRICS. Ce qui est en faveur de la Russie c'est qu'ils ont demandé le paiement de pétrole en roubles et que des pays comme la Chine et l'Iran ont suivi cette directive. Donc le pétrodollar est remis en cause complètement et à priori c'est plutôt l'objectif des BRICS. Il va falloir voir comment les États-Unis vont essayer de les convaincre de continuer à payer en dollars et aller à l'encontre de la Russie.

 Daniela Asaro Romanoff

 reseauinternational.net

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