21/01/2023 lesakerfrancophone.fr  6 min #222762

Quand les médias font des « analyses »

Par  Moon of Alabama - Le 20 janvier 2023

Il fut un temps où les infos et les articles d'opinion étaient tout ce qui comptait dans un journal. Les publicités habituelles et les mots croisés n'étaient que des suppléments de soutien. Mais depuis une vingtaine d'années, une nouvelle forme de « nouvelles » est venue s'ajouter au contenu. Elles se font appeler « analyses » et prétendent être une forme neutre de discussion sur tel ou tel sujet. Rédigées par des journalistes, et non par des rédacteurs d'opinion, elles sont censées être basées sur des faits.

Mais après avoir lu un grand nombre de ces « analyses«, j'ai découvert qu'elles étaient surtout utilisées à des fins de propagande. Leurs conclusions sont manifestement élaborées avant que le journaliste ou le « chroniqueur » n'aille collecter tout ce qui peut les étayer.

Nous trouvons un exemple d'une telle « analyse » dans le Washington Post d'aujourd'hui.

Rédigée par Ishaan Tharoor, elle commence par cette affirmation.

 Donnez-leur les chars ! Les élites de Davos se rallient à l'Ukraine

DAVOS, Suisse - Lors de cette réunion annuelle où les élites mondiales sont invitées à collaborer, à coopérer et à s'entendre, ce message a résonné le plus fort : envoyez des armes. Comme lors de la précédente session du Forum économique mondial en mai, la guerre en Ukraine a occupé une place importante dans les discussions. Et si les dirigeants politiques ont exprimé leur soutien indéfectible à Kiev, il en a été de même pour un grand nombre de grandes entreprises.

La première question qui se pose est bien sûr de savoir pourquoi les personnes qui se rendent à Davos dans leur jet privé ou gouvernemental pour discuter des problèmes climatiques qu'elles provoquent sont censées être des « élites ».

Mais laissons cela de côté pour l'instant. Ce que je conteste vraiment, c'est la sélection des personnes mentionnées dans l'article, qui veulent toutes envoyer encore plus d'armes en Ukraine.

Il y a l'oligarque ukrainien Victor Pinchuk, le président ukrainien Volodymyr Zelensky et l'éternel bouche-trou de CNN, Fareed Zakaria.

A côté de Zelensky se trouvait

l'ancien premier ministre britannique Boris Johnson - qui, malgré son éviction controversée dans son pays, reste une figure populaire parmi les Ukrainiens.

On peut se demander avec combien d'Ukrainiens Thardoor a parlé avant de faire cette affirmation de « personnalité populaire«. Rappelons que c'est Johnson qui, début avril 2022, a empêché Zelensky de signer un accord de paix avec la Russie et  l'a incité à aggraver cette guerre :

Selon les sources d'Ukrainska Pravda proches de Zelenskyy, le Premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson, qui est apparu dans la capitale [Kiev, NdT] presque sans prévenir, a apporté deux messages simples.

Le premier est que Poutine est un criminel de guerre, il faut faire pression sur lui, pas négocier avec lui.

Et le second est que même si l'Ukraine est prête à signer des accords de garanties avec Poutine, ils ne le sont pas.

La position de Johnson est que l'Occident collectif, qui en février avait suggéré que Zelensky se rende ou s'enfuie, sent maintenant que Poutine n'est pas vraiment aussi puissant qu'ils l'avaient imaginé, et que c'était une chance de « faire pression sur lui. »

Après cela, selon les sources de l'Ukrainska Pravda, le processus de négociation bilatérale [avec la Russie] a été mis en pause.

Depuis lors, quelque 300 000 Ukrainiens ont été blessés et environ 150 000 soldats ukrainiens sont morts. Que pensent-ils, eux ou leurs proches, de l'intervention de Johnson ? Est-il « populaire » pour ces gens là ?

Tharoor  poursuit :

A Davos, le sentiment était écrasant. « Donnez-leur des chars ! Il n'y a absolument rien à perdre », a insisté Johnson, ajoutant que le monde devait faire davantage confiance au courage et à la combativité des Ukrainiens. « Nous avons continuellement sous-estimé la volonté et la capacité des Ukrainiens à se battre et à défendre leur patrie. Ils ont prouvé au monde entier que nous avions complètement tort. Ils vont gagner. Nous devons les aider à gagner aussi vite que possible. »

Ces propos de l'éternel menteur Boris Johnson constituent-ils celle de « l'élite » ? Reflète-t-elle vraiment l'opinion de ceux qui sont à Davos ?

Tharoor a plus de sources.

Dans son pavillon, la société technologique américaine Palantir a accueilli le vice-premier ministre ukrainien Mykhailo Fedorov, qui a célébré l'utilisation par son pays du logiciel de Palantir, basé sur les données, dans la poursuite de la guerre contre la Russie.

Au cours du même petit-déjeuner, Larry Fink, PDG de BlackRock, le plus grand gestionnaire d'actifs au monde, a parlé de son intention de contribuer à la coordination des milliards de dollars de financement pour la reconstruction de l'Ukraine, en disant qu'il espérait que cette initiative transformerait également le pays en un « phare du capitalisme«. David Solomon, PDG de Goldman Sachs, a parlé avec optimisme de l'avenir de l'Ukraine après la guerre. « Il ne fait aucun doute qu'au fur et à mesure que vous reconstruirez, il y aura de bonnes incitations économiques pour un rendement réel et un investissement réel«, a-t-il déclaré.

Rien de ce qui précède n'est une opinion réelle. Ce sont des gens qui vantent les mérites de leurs entreprises qui, espèrent-ils, profiteront de la guerre.

Une succession de dirigeants européens, comme le Premier ministre finlandais Sanna Marin, ont insisté sur le fait que leurs gouvernements maintiendraient un soutien total à l'Ukraine « aussi longtemps qu'il le faudra«. Les membres d'une délégation bipartisane du Congrès américain ont fait écho à ce sentiment. Cette rhétorique dément les inquiétudes exprimées en privé par de nombreux responsables : Comme mes collègues l'ont rapporté jeudi soir, le directeur de la CIA, William J. Burns, s'est récemment rendu à Kiev pour rencontrer Zelensky afin de l'informer des attentes des États-Unis concernant les prochaines campagnes militaires de la Russie et de lui faire comprendre qu'à un moment donné, l'ampleur de l'aide actuelle à l'Ukraine pourrait être plus difficile à obtenir.

Les partisans de l'Ukraine soutiennent qu'il est préférable d'accélérer l'aide maintenant et d'aider l'Ukraine à faire des progrès plus rapides. « Chaque fois que l'Ukraine entame des négociations, elle doit y aller dans une position aussi forte que possible«, m'a dit le ministre finlandais des Affaires étrangères, Pekka Haavisto.

C'est tout pour les « faits » qui sous-tendent l' »analyse » inexistante de cette colonne.

Le seul qui parle de chars d'assaut est l'ancien premier ministre britannique Boris Johnson. Rien ne vient étayer l'affirmation selon laquelle il s'agit du « sentiment dominant«.

Tharoor ne fournit rien d'autre qu'une collection de blabla standard de politiciens « occidentaux » et de discours marketing de certains hommes d'affaires qui espèrent recevoir de gros paiements.

Son « analyse » est un article d'opinion belliqueux. Sa conclusion est préconçue.

Cela n'a rien « d'élite«.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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