par Thierry Decruzy
Les démêlés de FranceSoir avec la CPPAP ne sont qu'un des aspects de l'état de la liberté d'expression dans l'Occident, où elle est déjà amplement mise à mal par le cas de Julian Assange, celui de Edward Snowden, l'affaire des Twitter Files et les censures des médias russes RT et Sputnik. En France, si la Révolution adopte la Déclaration des Droits de l'Homme en 1789, dès 1794 elle guillotine le journaliste Camille Desmoulins et veut brûler ses écrits.
CPPAP, acronyme obscur résumé ordinairement par « Commission paritaire », explique la dépendance de la presse au ministère de la Culture. Mis en place en 1945, c'est l'organe de contrôle des médias. Cette accréditation est indispensable aux agences de presse. C'est une question d'argent, agréé par le ministère, le titre bénéficie d'une TVA à 2%, du tarif postal réservé à la presse et de la possibilité de défiscaliser les dons. Un exemple pour saisir le mode opératoire : en pointe pendant la pandémie avec les Pr Perronne et Raoult, le site d'actualités en ligne FranceSoir perd son agrément ministériel le 5 décembre 2022, peu de temps après la mise en ligne d'un dossier sur l'arrière-cour du Fact-Checking (vérification des faits, surtout en charge de dénoncer les « complotistes ») [1]. La décision est d'autant plus curieuse que le site Fact&Furious, dont l'amateurisme est révélé par FranceSoir, avait obtenu un agrément de la CPPAP, augmenté d'un contrat avec l'AFP, de référencements par les grands médias nationaux (Libération, Le Monde, L'Obs, France Info, BFM...) et relayé à l'international (Microsoft, Poynter Institut [2]). Confirmant la solidité du dossier, et donc le professionnalisme des enquêteurs, le site Fact&Furious est déréférencé par ses administrateurs. Le problème est global puisque les censures de comptes ont été utilisées contre FranceSoir par Google, Facebook et YouTube, tous les dissidents finissent par les connaître. Cette décision de la CPPAP remettait donc en cause l'existence de FranceSoir, agence entièrement financée par des dons. Le 13 janvier contestant donc la légalité de la décision ministérielle, le tribunal des référés la suspend « jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de cette décision» [3]. Le 24 janvier renonçant à l'appel, le ministère rétablit la CPPAP de FranceSoir pour un an.
Une liberté sous contrôle d'État
Même les journalistes de Mediapart sont obligés de reconnaître qu'il y a un problème avec la gestion du secteur de la presse par le ministère de la Culture : « Depuis des mois, le ministère de la culture et de la communication, en charge du secteur de la presse, est aux abonnés absents. Officiellement, il préparerait de nébuleux États généraux sur le droit à l'information » [4]. Ils en profitent pour dénoncer CNews avec leurs éléments de langage corporatistes, « média de la haine », bornant leur revendication. Néanmoins, leurs critiques rejoignent celles d'Arnaud Deméglio, avocat de FranceSoir, demandant comment la CPPAP, administration rattachée au ministère de la Culture donc au Gouvernement, peut défendre le pluralisme des médias, car « la CPPAP n'est pas libre, indépendante, impartiale, et ne peut ainsi remplir sa tâche qui est d'assurer, au travers de ces aides, le pluralisme des médias. L'affaire FranceSoir pose donc la question de la licéité, de l'existence même de la CPPAP ». Ce dispositif fonctionne avec le consensus de la profession. Le SNJ (Syndicat National des Journalistes), qui se présente comme la « première organisation de la profession », s'était « réjoui » de la décision du ministère supprimant la CPPAP de FranceSoir. Dans son communiqué du 1er décembre, il allait jusqu'à s'étonner « qu'un site diffusant de fausses informations et des thèses complotistes puisse continuer à bénéficier de sa qualité de Service de presse en ligne et du statut de site "d'information politique et générale" » [5]. Prompts à dénoncer les atteintes à la liberté d'expression en Iran, au Bélarus ou en Tunisie, on voit moins les journalistes « représentatifs » s'indigner quand elle est attaquée en France. Dans ce contexte critique, le SNJ n'avait délégué aucun représentant pour soutenir FranceSoir lors de la manifestation organisée dans l'urgence le samedi 7 janvier et ils n'étaient pas plus nombreux à la manifestation pour la libération d'Assange le samedi 8 octobre, et pas d'élus non plus pour défendre la liberté d'expression, pourtant un principe constitutionnel.
Un climat totalitaire
Les journalistes travaillent en meute. Financés par l'État ou des commanditaires qui exploitent leur support, protégés par un statut privilégié, ils défendent jalousement leur rente de situation contre ceux qui ne demandent que la liberté. Cette liberté de l'information n'est plus qu'une incantation pour ceux font profession d'y croire, ils défendent d'abord les intérêts ceux qui les financent. Mise au pas depuis longtemps, la presse papier est moribonde. La presse d'opposition a quasiment disparu : Minute, National-Hebdo et Le Choc du mois n'existent plus, l'hebdomadaire Rivarol a perdu son agrément le 22 mai dernier et Présent, le dernier quotidien dissident, a cessé sa parution en juin sans que la profession ne s'en émeuve. Il faut dire qu'il était systématiquement écarté des revues de presse. Dommage collatéral en vue, de nombreuses autres publications associatives agréées sont concernées (politiques, religieuses, culturelles...) par les nouvelles mesures envisagées par la CPPAP, puisque le ministère veut imposer d'avoir un journaliste dans la rédaction pour bénéficier de l'agrément.
Ce n'est pas une question de moyens, car le ministère est très généreux, mais sélectivement [6] et la clé de répartition entre les titres de cette manne ministérielle n'a jamais été rendue publique et excite les appétits [7]. Il n'y a pas que les subventions directes aux titres, mais aussi des tarifs postaux spéciaux et France Messagerie (ex-Presstalis, ex-NMPP), en charge de la distribution dans les kiosques et en déficit systémique, régulièrement renflouée par l'État. Ces financements considérables maintiennent sous perfusion des titres condamnés à disparaître dans un environnement ordinaire. L'Humanité, quotidien du Parti Communiste (2,28% à la présidentielle et 12 députés) est largement pourvu en subventions pour maintenir la fiction de la pluralité.
Même Hanouna dénonce l'emprise financière de l'État dans les médias : « on donne 4 milliards d'euros par an à France Télévisions et Radio France. On pourrait refaire des hôpitaux ou acheter des autos pour la police avec tout cet argent ». Il en rajoute chez Morandini : « vous savez combien gagne Sybile Veil ? » et de balancer le salaire de la présidente de France Télévisions. En réponse à Cyril Hanouna (C8) et Pascal Praud (CNews), la ministre est menaçante : « Lorsqu'on arrivera, en 2025, au moment de l'analyse de leur bilan pour la reconduction de leurs autorisations de diffusion, l'Arcom saura regarder comment elles ont respecté ces obligations ». Car la situation est similaire dans l'audiovisuel avec l'Arcom [8], son organisme de contrôle étatique. Dans ce climat totalitaire, quand les journalistes de Médiapart font appel à la ministre après la censure préalable d'un site qui publiait des informations sur Patrick Drahi et son groupe Altice [9], c'est quasiment un appel à raccourcir la laisse.
L'anticomplotisme ridiculisé
La situation est grave pour la liberté de l'information. Julian Assange est emprisonné en attendant son extradition vers les États-Unis (privé de liberté depuis 11 ans), Edward Snowden est réfugié en Russie et on sait maintenant que le FBI donnait des instructions à Twitter pour influencer les élections aux États-Unis. A côté de ces atteintes, les persécutions contre les agences d'information russes RT France et Sputnik (sites censurés et comptes bloqués) apparaissent presque ordinaires.
On sait maintenant que les sites anti-complotistes sont tenus par des incompétents, pilotés par les autorités et relayés par les médias officiels. Ils servent à discréditer toute opinion divergente de celle du Gouvernement. Sauf que ces méthodes n'ont plus court à l'ère d'internet, où il devient compliqué d'afficher des principes pour mieux les contourner. Ainsi les médias « citoyens » nécessitent des « montagnes de pognon » difficiles à justifier en période de restrictions et les journalistes institutionnels apparaissent pour ce qu'ils sont devenus, les agents de com de la politique gouvernementale. Sauf que maintenant les artifices du montage administratif sont contestés de l'intérieur et que les financements deviennent inutiles avec l'évaporation du lectorat papier. La concurrence du numérique avec ses coûts moindres oblige le ministère à revoir sa stratégie, mais l'affaire de la CPPAP de FranceSoir montre qu'il navigue à vue. Le président montre l'exemple, comme le révèle la lettre confidentielle Politico, il en est réduit à convoquer dix journalistes parisiens « des titres les plus influents » (Le Figaro, France Inter, Les Echos, Le Monde, France Télévisions, BFMTV, RTL), en urgence - 24 heures avant la manifestation contre la réforme des retraites - pour leur donner les éléments de langage en leur demandant de ne pas le citer. Comme le signale France 5, ces professionnels vertueux ont relayé dès le lendemain sans problèmes déontologiques [10], [11].
Un totalitarisme dépassé par la technologie
La presse quotidienne papier est supplantée par les sites d'information en ligne. Elle est portée à bout de bras, de subventions, par le ministère de la Culture. Administrations gargantuesques, les ministères peinent à suivre l'évolution de la technologie, au point que la présidence a fait appel à des cabinets de conseil dispendieux lors de la pandémie. Mais une réforme n'est envisageable que si elle est portée par des élus. Or les élus sont restés bien silencieux lors de ces atteintes à la liberté d'expression, et ils sont rarement dans la réinfosphère, préférant les médias officiels. L'absence des élus, le silence de l'opposition parlementaire cautionne la censure. Si le problème est mis à jour par des professionnels engagés sur le terrain, l'absence unanime de réaction des politiques signifie qu'ils approuvent l'attitude du gouvernement, ce qui est encore plus grave pour une atteinte à un principe constitutionnel.
Les contrôles étatiques en place sont manifestement difficiles à changer sans dévoiler la manipulation. Comme dans l'URSS avant la chute du Mur, les administrations sont dépassées par l'évolution de la technologie. En janvier 2009, la publication sur Twitter par un internaute de la photo d'un avion se posant sur l'Hudson marque le début d'une révolution médiatique. Ce n'était pas la presse traditionnelle qui signalait l'événement, mais un simple citoyen équipé d'un smartphone. L'un des fondateurs de Twitter, Biz Stone, raconte dans un article du Monde : « Ce moment a tout changé, soudain, le monde a commencé à nous prêter attention, parce qu'on était la source d'une info - et ce n'était pas nous, c'était l'utilisateur sur le bateau » [12]. Dix ans plus tard en mai 2019, Macron reçoit Zuckerberg (président de Facebook) à l'Élysée pour « coréguler » internet et « combattre les contenus haineux en ligne ». Les pouvoirs et leurs administrations visent toujours à augmenter leur emprise. Sauf que leur inertie et leur incapacité à s'adapter ouvrent des opportunités. Si internet n'a pas été la libération espérée, la technologie a tout de même permis des initiatives desserrant l'étau des mensonges. FranceSoir en est un exemple, SudRadio, TVLibertés, CNews, Radio Courtoisie et tous les sites de la « réinfosphère » sont des initiatives pour présenter une information libre. Reste à s'affranchir du totalitarisme étatique actuel, mais le combat pour la liberté de l'information ne date par d'hier.
source : Polemia
envoyé par Vladimir Tchernine
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- lemonde.fr, 15 janvier 2019.