10/11/2008 lepan.be  7 min #22367

Riccardo Petrella

Profession : Economiste émérite (UCL), membre de l'Institut européen de recherche sur la politique de l'eau

Age : 67 ans

Signes particuliers : « Petrella » voit au moins une raison de se réjouir de la crise financière : le monde va être obligé de vivre une révolution rouge et verte. C'est sûr, il ne partira pas en vacances avec Didier bling-bling.

« Nous ne sommes pas en démocratie »

Serez-vous sincère pendant cette interview ?

Pourquoi devrais-je être mensonger ? Je suis de ceux qui croient que la parole a une force considérable, et qu'elle doit donc être véritière. Et si je peux parler contre le capitalisme, je suis un homme heureux !

Pourquoi ça ?

Pour deux raisons : d'abord, parce que je suis profondément convaincu que le système capitaliste, de marché mondialisé en tant que tel, est un système qui ne contribue pas au bien-être de tout le monde, qui nie le vivre-ensemble, qui ne donne le droit de vivre qu'aux meilleurs, aux plus compétitifs. C'est une narration du monde qui marchandise tout, par définition, qui considère que tout a valeur à la création de richesse pour le capital financier et qui considère que le reste est de l'ordre du déchet - même l'air est marchandisé, puisqu'il existe un cours mondial du CO² ! Tout est réduit à l'état de marchandise, et si vous êtes pauvre, non-qualifié et non-recyclable, vous êtes un déchet. Puisque tout homme, dans le capitalisme, n'est qu'une marchandise vouée à générer de la valeur pour les détenteurs de capitaux - pas pour le bien commun. La deuxième raison, c'est parce qu'à l'heure actuelle, les dominants essayent d'échapper aux gros problèmes créés par le système capitaliste : ils veulent essayer de distinguer « bon » et « mauvais » capitalismes. Ils disent qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain et que malgré la gravité de la crise, les fondements sont bons.

Des exemples ?

Le plus avancé, c'est Sarkozy. Qui, de manière très intelligente, est en train de récupérer respect et crédibilité politique sur le dos de la crise, en fustigeant ce qu'il appelle le « capitalisme agressif ». Il alimente l'antiaméricanisme au nom de l'Europe tout en gonflant le nationalisme français. OK, il s'agit d'abord du capitalisme pratiqué aux Etats-Unis, mais pratiqué avec plaisir par tous les autres, Sarkozy le premier, qui allait en vacances chez les capitalistes américains. Et les autres dirigeants sont bien contents de se cacher derrière le décisionnisme de Sarkozy : au cas où ça marche bien, ils pourront dire qu'ils l'ont appuyé, et au cas où ça marche mal, ils pourront dire que ce n'était pas eux.

On voit aujourd'hui la gauche se ragaillardir. Mais la crise n'est quand même pas la faute de Didier Reynders...

Il est vrai qu'il ne faut pas lui attribuer des pouvoirs qu'il n'a pas. Mais ce qu'on peut lui attribuer, c'est d'avoir fait partie de tous ceux qui ont pris des mesures législatives et ont adopté des mesures politiques et économiques qui ont créé le système qui s'est écroulé. Il fait partie de ceux qui n'ont pas contribué à réduire la pauvreté, ni à développer une économie respectueuse de la nature... Je n'aimerais pas être à sa place aujourd'hui.

Ce qu'on vit aujourd'hui, c'est la mort du capitalisme ?

Je n'oserais pas, même si je le souhaite énormément, programmer la mort du capitalisme. D'un point de vue scientifique, analytique, ce n'est pas possible. Mais souvent, l'écroulement d'une chose, la faillite ou une maladie mortelle, ça prend du temps, comme les empires... Pour moi, l'écroulement du système est bien là, puisqu'il a montré qu'il était incapable de donner structurellement des règles maintenant un développement équilibré de la vie. Mais on ne peut déclarer la mort d'un système qu'à partir du moment où il y a de nouvelles règles, de nouvelles structures de pouvoir, de nouvelles bases sociales... qui ont pris la relève. Tant qu'il n'y a pas ça, la mort du capitalisme n'est pas encore consommée.

Mais depuis un mois, les Etats européens n'ont-ils pas changé les règles ?

Mais non ! Ils sont en train d'opérer sur la base d'un triptyque qui est : un peu plus de régulation, un peu plus de contrôle et un peu plus d'information, de transparence. Mais les règles de la propriété, on n'y touche pas. Les règles des mouvements de capitaux, on n'y touche pas. Les règles des taux de change variables, on n'y touche pas. Et ainsi de suite... Ils ne veulent pas éliminer les paradis fiscaux ! Quand Sarkozy dit qu'il veut s'y attaquer, c'est uniquement parce qu'ils défavorisent l'économie française ; si la France pouvait en être un, il ne bougerait pas !

Mais quelle que soit la motivation, au final, on va quand même toucher aux paradis fiscaux...

Le mal est en amont : c'est le secret bancaire. Qui garde intact le capitalisme financier. On va aussi garder l'autocertification : dans le système capitaliste, les sociétés de notation et les organisations de certification, tout comme les réviseurs de comptes, sont payées par les entreprises qu'elles notent, certifient ou dont elles vérifient les comptes. Comment voulez-vous dès lors obtenir des informations objectives ?

La crise actuelle serait une bonne occasion de changer de système économique ?

Oui, mais il ne suffit pas de refondre le système d'antan, ce serait de la prothèsisation. Il faut envisager un tout nouveau système économique et sociétal.

Qui serait ?

Avant tout, il faut redéfinir les valeurs, ce qu'est être, avoir... Parce que le capitalisme est fait de définitions fortes, un peu comme l'Eglise - mais je ne pense pas qu'on puisse prédire la mort de l'Eglise, elle est encore plus vieille que le capitalisme ! Donc, il faudra rappeler que tout - les gestes, les humains, les plantes... - a valeur dans la vie, et contribue au bien collectif. Partant de là, on peut se dire, par exemple et très concrètement, qu'à partir du moment où un pays dépense plus de 2% de sa richesse dans son budget militaire, c'est de trop, ça revient à créer les conditions pour que tout le monde n'ait pas le droit à la vie. Ensuite, supprimer les taxes indirectes comme celles à la consommation (TVA...) et ne garder que des taxes directes (impôts), puisqu'on sait que les taxes indirectes induisent de l'injustice sociale. Aussi, taxer la pollution ! Générer de la pollution pour produire des marchandises qui engendreront des bénéfices, ça ne va pas !

Plus globalement ?

Economie, ça vient du grec et ça signifie « les règles de la maison », sous-entendu qu'on ne tient pas cette maison en ayant des différences entre la cave et le grenier. Le but de l'économie, c'est de permettre à tous de vivre décemment. Le capitalisme engendre l'appauvrissement. Donc, ce nouveau système doit viser un seul but : éradiquer la misère. La fonction de l'Etat, c'est donner la priorité à la production des biens communs et des services publics essentiels à la vie. Pas de privatisation de ces biens et services comme l'eau, les transports publics, l'enseignement... Aussi, ces biens et services doivent être produits à une distance 0. Tout cela signifie que les banques centrales doivent dépendre du politique, des parlements. A l'heure actuelle, nous ne sommes pas en démocratie ! La crise actuelle a démontré que la démocratie représentative n'existe pas. On se moque des représentants ! La décision rapide à 4h du matin, ce ne sont pas nos représentants qui l'ont prise, pas les parlements, mais les gouvernements ! Donc, quand il y a une décision grave à prendre, la démocratie parlementaire serait inutile ! Donc, le peuple souverain ne décide pas, en situation de crise ? Les marchés n'ont pas besoin de la démocratie !

Quelle solution ?

Il faut renforcer le parlementarisme et faire exploser la démocratie directe, participative. Mais on ne peut pas la faire exister si on n'est même pas capable de faire fonctionner la démocratie représentative. En Italie, le peuple a, moyennant certaines conditions, la possibilité de créer des lois d'initiative populaire, qui font leur chemin parlementaire comme les autres lois. Eh bien, la proposition de loi sur l'eau que j'ai lancée avec d'autres, malgré qu'on ait respecté toutes les conditions reprises dans la constitution, n'a toujours pas été mise à l'ordre du jour du Parlement italien !

Vous avez bon espoir de voir un changement de système ?

Les financiers eux-mêmes disent que les arbres ne peuvent pas grimper jusqu'au ciel. L'incohérence humaine, et avec elle les systèmes inhumains, ne peuvent pas durer à l'infini. C'est ça qui est réjouissant.

Cet article a été publié le Lundi 10 novembre 2008 à 9:05et est classé dans  Interview Joker. Vous pouvez suivre les réponses reçues par cet article grâce au fil  RSS 2.0. Vous pouvez laisser un commentaire, ou faire un  trackback depuis votre site.

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