14/02/2023 reseauinternational.net  10 min #224115

Seymour Hersh : Nord Stream a été détruit par les Usa et la Norvège

Interview avec l'Ambassadeur Peter Ford

Peter Ford a été ambassadeur britannique en Syrie (2003-6) et à Bahreïn (1999-2003) avant de travailler à l'UNRWA, l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, dont le siège est à Amman (2006-2015). À l'Université d'Oxford il a étudié le français et l'espagnol, et la langue arabe à Beirut.

Interviewé par Mendelssohn Moses

1. Peut-on évaluer l'étendue des dégâts du tremblement de terre en Syrie ?

PF - Ce n'est pas chose aisée : en raison de la guerre, l'accès est aux régions concernées reste hasardeux.

Il semblerait que le nombre de victimes soit moindre qu'en Turquie ; cependant, la Syrie dispose de bien moins de ressources actuellement, entraînant des conséquences au moins aussi sévères que pour les Turcs.

Les mass-média conformes ne vous le diront jamais, mais les dégâts sont aussi terribles dans les régions sous le contrôle du gouvernement, que sous le contrôle des forces dites d'opposition.

Ainsi, les média conformes ne vous montreront que des opérations de prétendu sauvetage conduits par les Casques Blancs, entreprise experte avant tout en communication et fondée par un ancien militaire anglais ; on voit des clichés d'enfants radieux, tirés tout propres des décombres...

2. La Syrie bénéficie-t-elle de l'aide turque, russe, chinoise ?

PF - La Turquie prodigue des secours dans les zones que contrôlent les groupes armés d'opposition dont le sponsor est la Turquie.

D'emblée, c'est la Russie qui s'avère être la principale source d'aide dans les régions sinistrées et sous contrôle du Gouvernement.

Quand à la Chine, elle a promis son aide.

3. Le porte-parole du gouvernement chinois Mlle Mao Wing, vient d'exprimer en des termes cinglants l'hostilité de son pays aux sanctions pesant sur la Syrie, et observe que 30% du pays est sous occupation US illégale.

PF - Les déclarations de Mlle Mao Wing sont d'autant plus frappantes, que la Chine tend à être très réservée en de circonstances semblables.

Or, en raison des rodomontades américaines allant crescendo contre la Chine, celle-ci tend désormais à se montrer d'autant plus affirmative en soutien d'autres nations se trouvant dans la ligne de mire des USA.

Autrement dit, c'est l'agressivité même des USA qui oblige la Chine de réagir en affirmant son propre rayonnement impérial.

4. Le 9 février 2023, l'Office of Foreign Assets Controls (bureau US de surveillance sur les actifs étrangers déclare lever les sanctions sur la Syrie pendant six mois - quoiqu'avec des restrictions notables.

Derechef s'élèvent des hurlements de politiciens tel le Sénateur Risch de la Commission des AE des USA :

 Senate Foreign Relations Committee Ranking Member

 @SenateForeign

« Il est essentiel de soutenir les humanitaires (sic) qui fournissent de l'aide à une population déjà dévastée (sic) par Assad. Les appels à lever les sanctions ne servent qu'à une seule chose : éviter que le régime n'en porte la responsabilité. »

Entretemps, les USA maintiennent en toute illégalité des milliers d'hommes sous leurs armes en Syrie et campés sur les puits de pétrole, tout en leur acheminant sans doute en quantité suffisante des biens de première nécessité tels le Popcorn et le beurre d'arachide.

En termes concrets, que signifie la levée des sanctions par les USA ( Syria General Licence 23) ?

PF - Sous pression internationale, les USA prétendent lever les sanctions pour les « secours en raison du tremblement de terre » (earthquake relief).

À 99%, c'est de la poudre aux yeux.

Restent bien clouées en place les sanctions les plus préjudiciables - celles qui entravent l'accès aux combustibles, à l'électricité, aux éléments qui seraient au coeur d'un éventuel dispositif de secours dans ce genre de situation.

Un tel niveau de tromperie donne la nausée. Tandis que des politicards s'amusent, les gens crèvent.

Par ailleurs, les sanctions de l'UE et du Royaume-Uni sont tout aussi nocives.

5. Quid des relations entre la Syrie et les États du Golfe ?

PF - La normalisation des relations entre la Syrie et les Etats du Golf était bien lancée avant le présent désastre. Désormais la solidarité inter-arabe et inter-musulmane va sûrement encore accélérer les choses.

On peut parier que ce soit ce « risque » qui a amené les USA à déclarer qu'elle levait les sanctions, en un geste trompeur et vide de contenu réel, sorti tel un lapin du chapeau. Cela se résume à une tentative d'amadouer la colère qui gronde dans le monde arabe par rapport aux sanctions, et d'étouffer tout rapprochement avec la Syrie.

6. Le pianiste-cascadeur Vladimir Zelensky était en tournée de représentation à Londres la semaine dernière. Même Charles a dû lui accorder une audience.

Le garde-manger du RU tant civil que militaire étant vide, que faut-il attendre de la tournée ?

PF - Le séjour de V. Zelensky à Londres a été l'occasion d'un avilissement de toute notre élite - y compris de la Maison royale.

Contrairement à l'Allemagne, où des voix s'élèvent contre ce soutien sans bornes à l'Ukraine, au RU un seul son de cloche est admis. Lorsque V. Zelensky exigea des chasseurs-bombardiers, les Anglais lui ont fait des courbettes dans le genre « combien en veux-tu ? ».

Eu égard au laps de temps requis pour que les pilotes ukrainiens deviennent opérationnels et aux performances de la défense aérienne russe, ces avions représentent la dernière chose susceptible d'être de quelque utilité à l'Ukraine ; or cet état de fait indiffère l'élite anglaise. Leur préoccupation majeure est de proclamer sa vertu tous azimuts, de se faire voir comme étant politiquement correct à 100%.

6. L'enquête de Seymour Hersh sur le sabotage de Nord Stream est, pour ainsi dire, un geyser qui fait éruption en pleine guerre d'Ukraine.

Pourquoi est-ce que cela sort maintenant ?

L'Allemagne est-elle le véritable cible ? Ou serait-ce la tempête parfaite qui coche toutes les cases de la stratégie US ?

PF - Seymour Hersh nous raconte ce que tout le monde savait déjà - et ce que l'Administration US n'a jamais essayé de dissimuler.

Pour ma part, je n'écarterais pas la possibilité que ces révélations sortent à dessin. Après tout, Joe Biden s'y pavane dans le rôle d'un dur : il vit son instant de gloire style Obama/Bin Laden, Biden veut s'en attribuer le mérite - et il l'a obtenu.

Rien dans tout ça n'est pour gêner l'Administration ! Au contraire, ce que nous explique Seymour Hersh sert à gonfler à bloc l'image de forces armées US, en clamant au monde entier que rien, surtout pas le droit international ou une quelconque réticence face au risque d'une guerre où l'adversaire désigné dispose d'un arsenal nucléaire, ne saurait empêcher les USA de faire usage de la force au service de leur Volonté.

Le plus frappant quand même : aucune réaction de la part de l'Allemagne, alors que plutôt que le seul Nord Stream, c'est toute son économie qui est sabordée.

Pour ceux qui ne l'auraient pas encore pigé, cette affaire démontre une fois de plus à quel point l'Allemagne s'humilie en se courbant devant les souhaits US, selon le vieux dicton « L'OTAN existe pour écarter la Russie, faire entrer les USA dans la bergerie, et écraser l'Allemagne ».

En fin de compte, le conflit en Ukraine se résume vraisemblablement à cela.

7. Autrefois, il existait un tronc d'arbre appelé Relations internationales (IR) dont la branche centrale était la Diplomatie et les brindilles et rameaux, les Négociations. Les USA ont remplacé IR par la guerre permanente ou dans les mots du Col. MacGregor, répondre à tout évènement international par l'usage de la force armée.

Que se passe-t-il dans le corps diplomatique US ? Un exemple notoire : Paul Massaro, âgé de 31 ans, conseiller « senior » (sic) du U.S. Helsinki Commission [1] qui écrit ce Tweet :

 Paul Massaro

 @apmassaro3

« Effroyable, cette décision de lever les sanctions sur Assad. Cela n'aidera pas une seule victime du tremblement de terre, mais ENRICHERA le régime malveillant de Assad »

Paul Massaro, un doctorant de l'Université de Maryland qui se prend en selfie tout sourire en arborant le drapeau de la Brigade Azov, sous la légende «   Merci à vous les gars, les héros » est un fonctionnaire du gouvernement US. Ses missions sont  manifestement diplomatiques alors qu'il déclare « travailler avec des membres du Congrès US pour que l'Ukraine puisse vaincre ».

Comment se fait-il que des individus de la sorte soient fabriqués par les Écoles de gouvernement et de relations internationales aux USA ?

PF - Les gens n'ont rien compris. La politique étrangère US n'est pas le fait d'élus, mais de l'État profond qui a mis le grappin sur les universités, les forces armées, l'appareil de sécurité, et dont les tentacules s'étendent sur le Congrès, le Département d'État et naturellement, sur toute la presse conforme - le tout étant servi par les industriels de la défense.

Prenez le cas d'un universitaire comme Henry Kissinger - voir ce type d'individu arriver tout en haut jusqu'à l'Exécutif n'arrive qu'aux USA, car ils ne prennent pas des élus comme Ministres. Ils nomment leurs Ministres ! C'est un système grand ouvert aux manœuvres d'idéologues, tous du même acabit.

Les héritiers spirituels de Kissinger sont les Néo-Cons, aux manettes depuis au moins trois décennies ; que le Président soit Républicain ou Démocrate n'y change rien.

8. The Postil et Réseau International viennent de publier sur le  Plan de Guerre pour l'Ukraine de Barry R. Posen War Plan, qui dès 1994 déroulait étape par étape le scénario pour une guerre telle qu'elle se présente en ce moment.

Ainsi, le Plan de Guerre antédate, et de loin, les distributions de bonbons par Vikki Nuland en 2014 sur le Maidan.

PF - depuis l'époque de Hans Morgenthau, les Relations internationales n'ont jamais fait l'objet d'un programme d'études digne de ce nom aux USA. Ce qu'ils nomment « RI » n'est que le véhicule d'une idéologie : l'exceptionnalisme américain, agrémenté de Russophobie furibonde - et désormais de Sinophobie.

Le décor étant ainsi posé, il n'est pas le moindrement étonnant que les travaux du Professeur Posen aient tracé le cadre à l'intérieur duquel les USA avancent depuis 30 ans.

9. Qu'est ce qui a fait de Boris Johnson, dont on attendait mieux - après tout, c'est un helléniste - un furibond fauteur de guerre ? Vu le nombre  d'ex-épouses et d'enfants pour lesquels il doit subvenir sans parler de sa nouvelle et très coûteuse épouse et ses deux nouveaux enfants [2] on peut supposer qu'il a besoin de beaucoup, beaucoup d'argent frais. Ou aurait-il d'autres cadavres encore au placard ?

PF - Boris Johnson essaie de se placer comme Sauveur des Tories, pour le moment où réaliseront d'ici quelques mois que le tiède Rishi Sunak les emmène direct dans le mur électoral pour 2024. Pour atteindre ses fins, Johnson se démène pour apparaître en Homme du Moment sur l'Ukraine, et il est soutenu par des faiseurs de roi comme le Daily Mail - tandis que Rishi Sunak en face ne compte pour rien.

Le calcul de Johnson est le suivant : en désespoir de cause, les Tories se jetteront dans les bras de celui qui se voit en nouveau Churchill.

Que ce soit clair : Johnson est un égomaniaque sans le moindre sens de responsabilité. Que son attitude va-t-en-guerre pousse le RU vers l'abîme en titubant - l'abîme que serait une guerre contre la Russie - ne lui fait ni chaud ni froid, pourvu que lui revienne au pouvoir.

 Mendelssohn Moses

  1.  csce.gov,   rfg.org
  2.  theguardian.com et  https://www.standard.co.uk/boris-johnson-carrie-johnson-downing-street-the-independent-prime-minister

 reseauinternational.net

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