par Karine Bechet-Golovko
Le front s'étant stabilisé en Ukraine, l'armée russe arrivant à bloquer toutes les tentatives de percée de l'armée atlantico-ukrainienne et elle-même avançant lentement, certes, mais sûrement, les pays de l'Axe sont face à un choix : soit renforcer leur présence militaire dans le conflit ukrainien au risque d'entrer directement en guerre contre la Russie ; soit ouvrir de nouveaux fronts, afin de conduire la Russie à disperser ses forces. La seconde solution est moins dangereuse politiquement, elle semble avoir été choisie. Si la Moldavie est une plateforme possible à terme, mais qu'il faut encore travailler, car la présence militaire de Casques bleus russes en Transnistrie complique la situation, la Géorgie semble être à point et la tentation d'une nouvelle guerre du Causase vers l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie entre dans le discours médiatico-politique, sous couvert de lutte contre « l'occupation » russe de ces territoires, qui ont pourtant déclaré leur indépendance dans les années 91-92, à la chute de l'Union soviétique et suite à une agression militaire de la Géorgie à l'encontre. Des territoires, que la Russie est juridiquement chargée de protéger depuis les Accords de Sotchi de 1992, conclus suite à la première défaite géorgienne.
Le risque d'un Maïdan ukrainien en Géorgie
Comme nous l'avons écrit hier, la Géorgie, qui s'est rêvée indépendante, s'est réveillée hier prisonnière ( voir notre article ici) et aujourd'hui au bord d'une nouvelle révolution de couleur, comme elle en a déjà connue.
Il existe à cela deux fondements. L'un de politique intérieure, car la Géorgie est actuellement dans un système juridique transitionnel, qui doit conduire le pays ces prochaines années, à la fin de ce mandat présidentiel, à une République parlementaire, dans lequel le pouvoir est concentré entre les mains du Parlement et du Gouvernement, le Président n'étant que décoratif. Or, par ironie du sort, et ce malgré l'occupation américaine directe du pays, si la Présidente franco-géorgienne est fanatiquement atlantiste, le gouvernement issu de la majorité parlementaire est très modéré et tente même d'être « pro-géorgien », ce qui lui vaut des accusations « pro-russes ». Car dans ces pays de l'espace post-soviétique, il n'est pas question de défendre l'intérêt national, soit l'on est avec les États-Unis, soit l'on est contre... Il faut donc mettre de l'ordre dans ces institutions, afin que le Gouvernement, qui prendra les rênes du pouvoir, soit du « bon » côté, c'est-à-dire radicalement atlantiste.
L'autre est géopolitique. Rappelons que la Géorgie a refusé d'adopter des sanctions contre la Russie, malgré de lourdes insistances. Il est fondamental que dans cette région importante, le Gouvernement soit prêt, comme le fait l'Ukraine, à sacrifier son pays s'il le faut, afin de servir les intérêts supérieurs et seuls légitimes du maître. Or, la réouverture du conflit en Ossétie du Sud et en Abkhazie serait de bonne augure pour l'Axe atlantiste, qui hésite encore à une confrontation directe avec la Russie. Alors, la mécanique bien rôdée du Maïdan se met en route. Un officiel américain débarque la veille des manifestations et donne le signal - soulignons qu'il était au Venezuela lors de la tentative de coup d'État.
Ici, il ne s'agit pas de faire semblant d'être national, la méthode est beaucoup plus radicale : on revendique le modèle ukrainien, le plus sanglant et le plus destructeur de ceux, qui se sont déroulés dans l'espace post-soviétique. Drapeaux et hymnes ukrainiens sont brandis, suivis des symboles européens. L'Ukraine est bien l'avenir de l'UE - qui n'est pas l'Europe.
Le retrait du projet de loi fut une erreur, car il a été pris comme un signe de faiblesse du pouvoir en place. C'est la même erreur, que celle faite par les autorités ukrainiennes lors du Maïdan : à chaque concession, la situation s'est radicalisée. Et désormais ouvertement, les manifestants continuent à être sortis dans les rues et appellent au départ de ce Gouvernement, sur fond de « Vive l'Ukraine ».
L'opposition atlantiste radicale demande un cours « irréversible » vers un mythique Occident, dont en fait elle s'éloigne ainsi :
« Plusieurs partis d'opposition avaient appelé à de nouveaux rassemblements jeudi soir et à la libération de dizaines de protestataires placés en détention. La mobilisation « ne s'arrêtera pas tant qu'il n'y aura pas de garantie que la Géorgie est résolument engagée sur une voie pro-occidentale », ont-ils affirmé dans une déclaration commune. »
Les « experts » s'emballent face à un possible nouveau Maïdan :
En réalité, le discours va beaucoup plus loin que de simples manifestations, c'est la question d'un conflit armé contre l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie, qui se joue réellement. Ce qui provoquerait l'embrasement - et la disparition - du pays, en effet selon le modèle ukrainien.
Le mythe globaliste de l'occupation russe de la Géorgie
Pour légitimer tout cela, on retrouve toujours le même narratif - il s'agit de libérer le pays de l'occupation russe, ou de l'influence russe. Ainsi, le projet de loi devant introduire un peu de transparence dans le financement étranger des toutes ces organisations en Géorgie est qualifié d'influence russe, alors qu'il s'agit du copier-coller de la loi américaine FARA, qui ne semble pas poser de problèmes aux États-Unis chez eux. Passons... L'on parle aussi de la soit-disant « occupation » par la Russie d'une partie du territoire géorgien, à savoir l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie, qui sont pourtant indépendantes depuis la chute de l'Union soviétique, malgré les deux guerres déjà tentées par la Géorgie en 1992 et en 2008 contre ces territoires. Revenons rapidement sur leur histoire politique récente, pour comprendre l'absurdité de l'accusation.
Tout d'abord, précisons que l'Ossétie est coupée en deux, le Sud se trouvait dans la République soviétique fédérée de Géorgie et le Nord dans la République soviétique fédérée de Russie, les deux étant les composantes alors d'un seul pays - l'URSS, sachant que la Géorgie est entrée dans l'Empire russe en 1801, ce qui lui a permis de se protéger des nombreuses et récurrentes agressions étrangères, notamment de la Turquie. Ces deux régions d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie ont des traditions culturelles propres très fortes, qui n'ont que très peu à voir avec la Géorgie. Ainsi, lorsqu'en 1988, encore sous l'URSS, la Géorgie lance une politique de renforcement de la langue géorgienne (tout parallèle avec l'Ukraine post-soviétique a sa place, l'idée ayant déjà été testée), un conflit s'ouvre avec ces régions.
La situation en Abkhazie a été violente. Après le début d'un conflit politique en 1988, une confrontation débute 1989 et l'Abkhazie déclare son indépendance en 1990. Le 14 août 1992, l'armée géorgienne entre en Abkhazie, le jour où le Parlement abkhaze voulait proposer une union fédérale avec Tbilissi, qui n'en voulait pas (toute ressemblance avec l'Ukraine a sa place). La guerre va durer jusqu'en 1993, avec l'aide de volontaires d'Ossétie et du Caucase, l'Abkhazie repoussera l'armée géorgienne. Le 26 novembre 1994, le Parlement abkhaze adopte sa Constitution, qui sera confirmée plus tard par référendum en 1999.
Le 20 septembre 1990, l'Ossétie du Sud déclare sa souveraineté, comme République indépendante au sein de l'URSS, ce que la Géorgie refuse de ratifier et un long conflit politico-juridique s'engage. Le 1er septembre 1991, le Conseil des députés du peuple de l'Ossétie du Sud demande à la RSFSR (République soviétique de Russie) d'intégrer l'Ossétie du Sud - ce qui aurait logiquement permis de réunir ce peuple coupé en deux. Le 21 décembre 1991, l'Ossétie déclare son indépendance et la population à 99% soutient par référendum le 3 janvier 1992 cette décision, en vue d'une intégration consécutive dans la Russie. Ce que la Géorgie, qui elle-même a pris son indépendance, n'a pas accepté. La Géorgie a alors lancé un conflit armé contre l'Ossétie du Sud, qui a débouché après 18 mois de guerre sur les Accords de Sotchi du 24 juin 1992, signés entre la Géorgie, l'Ossétie du Sud et la Russie. Il prévoit dans les grandes lignes :
« Une commission mixte de contrôle (CCM) est en cours de création, composée de représentants de la Fédération de Russie, de la Géorgie, de l'Ossétie du Nord et de l'Ossétie du Sud, qui exercera ses fonctions en coopération avec un groupe d'observateurs militaires ;
Une force mixte est créée pour établir la paix et maintenir la loi et l'ordre par accord des parties. »
Finalement, c'est la Russie qui de commun accord a été désignée comme principale force de maintien de la paix dans la région en 1994 :
« La décision de la CCM du 6 décembre 1994 sur la Force conjointe de maintien de la paix a reconnu « des lacunes importantes dans la structure organisationnelle et en personnel, dans l'armement et les activités des bataillons géorgiens et ossètes des forces de maintien de la paix » et le bataillon russe des forces de maintien de la paix a été qualifié de « garant de stabilité relative dans la zone de conflit. »
Après la révolution de couleur géorgienne de 2003 et l'arrivée ensuite de Saakachvilli au pouvoir, la Géorgie lance une opération militaire en 2008 contre l'Ossétie du Sud. Le 8 août 2008, au début de la nuit, en violation des Accords de Sotchi, l'armée géorgienne agresse l'Ossétie du Sud et envahie sa capitale Tskhinvali sous prétexte de rétablissement de l'ordre constitutionnel :
« Mamuka Kurashvili, commandant des Casques bleus géorgiens, a qualifié l'opération militaire dans la zone du conflit géorgien-ossète « d'établissement de l'ordre constitutionnel en Ossétie du Sud ». Il a également appelé les casques bleus russes, stationnés dans la zone de conflit, à ne pas s'immiscer dans la situation. »
La capitale est bombardée sans discernement par l'armée géorgienne, les tanks sont envoyés avec l'infanterie. Dans la nuit, la Russie demande la réunion en urgence du Conseil de sécurité de l'ONU et une aide militaire est apportée aux combattants et à la population d'Ossetie du Sud évidemment par l'Ossétie du Nord et par l'Abkhazie. En début de matinée, l'armée géorgienne tire sur les Casques bleus russes et le Parlement d'Ossétie du Nord (région russe) appelle la Russie à aider l'Ossétie du Sud. La Russie envoie son armée en fin de journée. Le 11, des militaires russes entrent également en Abkhazie pour y éviter une nouvelle agression de la Géorgie de ce côté. le 11 août à 13h35, Saakachvilli signe un cessez-le-feu, préparé par la France et la Finlande. Le 12 août à 13h, le Président russe Medvedev a déclaré la fin de l'intervention militaire.
Juridiquement, la Russie est entrée dans le conflit sur la base des Accords de Sotchi de 1992.
C'est cela, que les médias atlantistes qualifient « d'occupation » de la Géorgie par la Russie, sans oublier qu'ils font porter la responsabilité de la guerre de 2008 à la Russie, quand c'est la Géorgie qui a lancé son armée. Nous sommes face à la même construction politico-médiatique qu'avec l'Ukraine, « agressée » par la Russie, quand c'est elle qui a lancé son armée. Désormais, ayant gommé l'histoire de la mémoire d'une partie de la population, la Géorgie peut être utilisée pour ouvrir un nouveau front, ce que craignent aujourd'hui ces deux Républiques. Même si désormais beaucoup de soldats américains sont présents dans le pays (il est d'ailleurs impossible d'en trouver les chiffres exacts, pourtant vous pouvez, comme moi, le constater en marchant simplement dans les rues de Tbilissi et en comptant les avions militaires US à l'aéroport), ces régions sont fondamentalement anti-géorgiennes, elles ont payé déjà très cher leur voisinage. La Géorgie risque ainsi de recevoir un deuxième Donbass, sur le modèle ukrainien qu'elle vénère, avec une perte directe de territoires, qui pour l'instant hésitent encore à entrer en Russie et que la Russie hésite à intégrer, alors qu'elle a reconnu leur indépendance en 2008.
source : Russie Politics