16/03/2023 euro-synergies.hautetfort.com  4 min #225601

Choc des civilisations ?

Compte rendu de Oriente contra occidente, par Denis Collin. Letras inquietas. Cenicero, 2022, 57 p.

Par Genís Plana

Sources : El Viejo Topo &  rebelion.org

Denis Collin est l'un de ces penseurs inconfortables du spectre politique homologué : c'est-à-dire de cette actualisation de l'axe gauche-droite selon laquelle la gauche se ferait la championne du multiculturalisme cosmopolite, tandis que la droite revendiquerait la défense folklorique de la tradition nationale ; mais dans les deux cas, les intérêts économiques des classes populaires seraient absents. Ce n'est pas le système de coordonnées politiques sur lequel évolue Collin. Maître de conférences à l'université de Rouen jusqu'à sa retraite en 2018, ce philosophe français "s'efforce de réconcilier socialisme et républicanisme" tout en "défendant l'État-nation contre les tendances dissolvantes, mondialistes et globalisantes de notre temps". Et cette audace, aujourd'hui stigmatisée par le stigmate du "rouge-brunisme", caractérise plusieurs de ses écrits, dans lesquels il se penche sur ce que certains ont considéré comme l'angle mort du marxisme : la nation.

Selon lui, le marxisme standardisé commettrait une erreur d'analyse s'il considérait que les conflits nationaux ne sont que l'expression de conflits entre groupes capitalistes. Collin considère que les nations ont une densité culturelle et religieuse propre, et que celle-ci n'est pas un simple épiphénomène de la sphère économique. Certes, dans le mode de production capitaliste, l'économie prend une dimension prépondérante dans la vie sociale, mais elle le fait sur la base idéologique de chaque pays ou région, qui doit aussi être prise en compte comme un facteur actif dans les processus historiques. Sur la base de ces hypothèses, quelle est l'approche centrale du livre ? L'approche est la suivante :

Face à l'unipolarité qui a émergé après la disparition de l'Union soviétique, on pourrait supposer que la lutte des classes s'exprimerait à travers une lutte des peuples opprimés par l'impérialisme américain. C'est pourquoi de nombreux gauchistes verraient dans l'islamisme une sorte de mouvement anti-impérialiste capable d'exprimer la voix des opprimés. Cependant, c'est une thèse que Collin nie : ces autres peuples ou nations non occidentaux ne constituent pas, dans l'ensemble, une alternative au capitalisme, car dans leur propre réalité, la logique du capital a déjà pénétré. En effet, le développement du capitalisme dans le monde implique l'absorption de la culture et de la religion de chaque pays ou région, ce qui rend viable la pleine compatibilité du capitalisme avec les différentes formes d'État, des théocraties comme celles des pays arabes aux systèmes parlementaires des républiques consolidées. Ainsi, "les contradictions et les conflits entre les différentes parties du système capitaliste mondial" ne doivent pas être compris comme une prétendue lutte entre le capitalisme impérialiste américain d'une part et l'anti-impérialisme des peuples opprimés d'autre part. Il faut plutôt examiner "l'articulation entre le mode de production capitaliste et l'héritage historique propre à chaque pays".

En fait, l'auteur nie l'existence d'un conflit entre l'Occident chrétien et l'Orient musulman, thèse avancée par des auteurs tels que Samuel P. Huntington qui cherchent à légitimer le nouvel ordre mondial américain face à la menace que représente le fondamentalisme islamique. Collin affirme que l'Est et l'Ouest sont des catégories qui fonctionnent idéologiquement pour dissimuler l'influence du pouvoir américain sur le wahhabisme, qui a été instrumentalisé à de multiples reprises par l'impérialisme américain. Et bien que le fondamentalisme islamique ait été présenté comme l'ennemi juré du monde anglo-saxon à la suite de l'attaque des tours jumelles, tous deux sont dans la même tranchée contre un ennemi commun : le communisme. L'auteur ne mâche pas ses mots : "Le fondamentalisme islamique est un ennemi mortel de la démocratie, du mouvement ouvrier et de l'émancipation de l'humanité. Et il doit être traité comme tel par tous les défenseurs du socialisme, du communisme ou même du simple idéal républicain".

La lecture de ce très court essai permet de montrer que l'opposition simpliste entre l'Occident et l'Orient masque les aspects réellement à l'œuvre dans les conflits actuels, où s'entremêlent logiques culturelles et, bien sûr, intérêts économiques. Letras Inquietas a raison d'oser publier en espagnol un auteur qui, bien que méconnu, est largement intéressant.

Rebelión a publié cet article avec l'autorisation de l'auteur sous une licence Creative Commons, en respectant sa liberté de le publier dans d'autres sources.

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