De l'Onu aux grandes ONG de défense des droits humains, les institutions internationales s'inquiètent des abus des forces de l'ordre face au mouvement contre la réforme des retraites et des dangers pour les libertés fondamentales.
« Je suis de très près les manifestations en cours et rappelle que les manifestations pacifiques sont un droit fondamental que les autorités doivent garantir et protéger. Les agents des forces de l'ordre doivent les faciliter et éviter tout usage excessif de la force ». La phrase concerne la situation en France, alors que les mobilisations contre la réforme des retraites se poursuivent fin mars.
Elle n'a pas été écrite par un·e élu·e de la France insoumise, mais 𝕏 par le rapporteur spécial des Nations unies pour la liberté d'association, Clément Voule.
De manifestation en manifestation, la réponse de la police française inquiète aussi hors de nos frontières les institutions et ONG internationales de protections des droits humains. « Dans le contexte du mouvement social contre la réforme des retraites en France, les libertés d'expression et de réunion s'exercent dans des conditions préoccupantes, a déclaré le 24 mars la Commissaire aux droits humains du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatovi?. Il est de la responsabilité des autorités de permettre la pleine jouissance de ces libertés, en protégeant les manifestants pacifiques et les journalistes qui couvrent ces manifestations contre les violences policières et contre les individus violents opérant au sein des manifestations ou en marge de celles-ci. »
« Pas nouveau en France »
La commissaire constate aussi que « des incidents violents ont eu lieu, dont certains ont visé les forces de l'ordre ». Mais elle ajoute que « la violence sporadique de certains manifestants ne peut justifier l'usage excessif de la force par des agents de l'État ». Dunja Mijatovi? rappelle encore que « la première obligation de tous les États membres est de protéger les personnes sous leur juridiction et leurs droits humains ».
« L'usage excessif de la force par la police lors de manifestations n'est pas nouveau en France », note la chercheuse à l'ONG Human Rights Watch Eva Cossé. En décembre 2018 déjà, cette ONG avait documenté des blessures causées par des armes de la police lors des mobilisations des Gilets jaunes et de manifestations étudiantes, « notamment des personnes dont les membres ont été brûlés ou mutilés par l'utilisation présumée de grenades lacrymogènes instantanées »
« Nous avions également recensé les cas de personnes blessées par des balles en caoutchouc, ainsi qu'une utilisation disproportionnée de gaz lacrymogène et de grenades de désencerclement », ajoute la responsable de l'ONG.
Respecter les droits des manifestants
Pour Human Rights Watch, « les autorités françaises doivent respecter les droits des manifestants, vérifier que les tactiques policières sont nécessaires et proportionnées, enquêter sur les allégations d'usage excessif de la force et demander des comptes aux agents de police responsables d'abus. Elles doivent s'assurer que, lors des manifestations, les forces de l'ordre ne recourent à la force qu'en cas de stricte nécessité, conformément aux normes internationales. »
Les Principes de base sur le recours à la force par les responsables de l'application des lois des Nations unies indiquent notamment que « les responsables de l'application des lois doivent s'efforcer de disperser les rassemblements illégaux, mais non violents, sans recourir à la force et, lorsque cela n'est pas possible, limiter l'emploi de la force au minimum nécessaire ».
L'ONG Amnesty International alerte depuis le début du mouvement en janvier sur « le recours excessif à la force ». Parmi les abus, l'ONG a notamment recensé le cas d'un manifestant qui a dû être amputé d'un testicule après avoir reçu un coup de matraque à l'entrejambe lors de la mobilisation du 19 janvier. Le 23 mars, c'est un cheminot manifestant qui a été éborgné dans la manifestation par l'éclat d'une grenade de désencerclement.
« De façon proportionnée »
L'ONG note aussi que le 16 mars, 292 personnes ont été interpellées et mises en garde à vue durant la manifestation place de la concorde, mais 283 d'entre elles sont ressorties libres. « Les arrestations et gardes à vue abusives sont des atteintes sérieuses au droit de manifester », rappelle Amnesty.
Face à la situation en France, la Fédération internationale des droits humains (FIDH) a aussi tenu à rappeler que les États « sont tenus à s'abstenir du recours arbitraire à la force dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre. Ils ne peuvent y avoir recours qu'en dernier ressort. Et même dans ce cas, cela doit être fait de façon proportionnée, dans un objectif de maintien de l'ordre public et de sécurité. »
Alice Mogwe, présidente de la FIDH en appelle aux dirigeants français : « Le gouvernement français, qui ne perd que trop rarement une occasion de donner des leçons de démocratie et de respect des droits au reste du monde, devrait penser à être irréprochable sur ce point, comme sur celui des violences policières, parfaitement scandaleuses. »
Photo : A Paris, en mars 2023/©Serge D'ignazio.