09/04/2023 les-crises.fr  10min #226829

 L'Irak 20 ans plus tard. Les mensonges de Bush n'étaient pas le problème

Guerre en Irak : retour sur l'assaut brutal contre Falloujah

On se souviendra de feu Jim Molan pour de nombreuses raisons. Peu se souviendront de lui pour les violences à grande échelle commises par les troupes de la coalition sous son commandement lors de l'assaut brutal contre Falloujah et d'autres villes sunnites pendant l'occupation illégale de l'Irak à la fin de l'année 2004.

Source :  John Menadue
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Les médias australiens continuent de nous décevoir gravement quant à leur couverture des guerres au Moyen-Orient, du terrorisme et du désastre persistant que représente l'EI. Cet échec a commencé avec l'invasion de l'Irak. Contrairement à d'importants médias étrangers, aucun média australien n'a admis son échec ou ne s'en est excusé concernant la couverture de la guerre d'Irak et de ses conséquences. Comme c'est souvent le cas, nos médias étaient associés aux Forces armées australiennes pour soutenir la politique de la Coalition. La classe politique se serre les coudes.

Les médias dépendant de News Corp sont les plus fautifs. [News Corp Australia est un conglomérat médiatique australien et une filiale à 100 % de l'entreprise américaine News Corp, il emploie plus de 8 000 personnes dans le pays et environ 3 000 journalistes, NdT].

Une reprise de Pearls and irritations du 14 février 2018

Il n'y a probablement pas d'exemple plus évident du fonctionnement de News Corp que la façon dont l'invasion de l'Irak par George Bush, avec l'aide de l'Australie a été soutenue. Avant l'invasion, pendant celle-ci et dans les années qui ont suivi, ni News Corp ni aucun autre média australien n'a jamais avoué son erreur, ni son manque de professionnalisme. Des organisations médiatiques telles que le Washington Post, le New York Times et The Economist ont toutes présenté leurs excuses pour leurs évaluations erronées et leur approbation de l'invasion de l'Irak, ainsi que de ses terribles conséquences, en particulier pour le peuple irakien, la région et même la vie des attaquants. Si nous sommes moins en sécurité en Australie c'est parce que nos troupes sont là-bas.

Pensez simplement à ce que News Corp nous a dit à propos de la guerre en Irak, et il vaut mieux commencer par le pompon qui en revient à Rupert Murdoch. Il a déclaré en 2003 : « Nous ne pouvons pas reculer maintenant en remettant l'ensemble du Moyen-Orient à Saddam.... Je pense que Bush agit de manière très morale et très correcte.... La meilleure chose qui puisse en résulter pour l'économie mondiale, si l'on peut s'exprimer ainsi, serait un baril de pétrole à 20 dollars. » (le Bulletin, 12 février 2003).

Quelques semaines plus tard, il ajoutait : « Nous nous inquiétons trop de ce que les gens pensent de nous dans ce pays [les États-Unis]. Il semble que nous ayons un complexe d'infériorité. Je pense que ce qui est important, c'est que le monde nous respecte.... Les troupes américaines seraient alors bien vite accueillies comme des libératrices. » (Associated Press, 3 avril 2003).

Lorsque le chaos s'est installé, Murdoch a déclaré : « L'Australie n'avait pas d'autre choix que de mener l'opération à son terme. La situation en Irak a été faussement décrite.... Les progrès sont immenses en Irak. Tous les enfants sont retournés à l'école, soit 10 % de plus qu'à l'époque de Saddam Hussein. Il y a 100 % d'eau potable en plus.... La majeure partie de l'Irak se porte extrêmement bien. » (ABC radio Sydney, 7 avril 2004).

Dans un éditorial, The Australian s'est moqué des détracteurs de la guerre, qu'il a qualifiés de « coalition des geignards ». Il ajoute : « Ne sous-estimez jamais le pouvoir de l'idéologie et du mythe - dans ce cas, l'anti-américanisme - pour l'emporter sur la réalité. » En raillant les critiques, comme le parti travailliste, le rédacteur en chef des affaires étrangères de The Australian, Greg Sheridan, a déclaré que « George W. Bush était réellement le Winston Churchill du monde moderne. » (The Australian, 15 août 2002). Il a ajouté plus tard que « le cabinet Blair devrait revoir sa copie concernant la menace irakienne. Soit Tony Blair est un menteur pathologique, soit c'est Saddam Hussein qui l'est. À vous de choisir ». Dans The Australian du 26 avril 2003, Sheridan s'est vraiment laissé aller. L'aigle s'élève. Le rapace de la puissance américaine plane dans les airs, bien au-dessus de notre modeste terre, et tout ce qu'il voit est splendide. En effet, en s'élevant et en planant, il voit la victoire, la puissance et les perspectives. » Plus de trois mois après l'invasion, Sheridan continuait de penser que « douter de l'existence des Armes de Destruction Massives est tout simplement grotesque ». Il a déclaré que l'américain John Bolton « lui avait fourni, quasiment a posteriori, les preuves spectaculaires de l'existence des armes de destruction massive de Saddam Hussein. »

Le 9 septembre 2002, Andrew Bolt a écrit : « Permettez-moi d'épeler les choses lentement pour [les politiciens travaillistes], (Crean et Rudd). Saddam ne laissera jamais entrer les inspecteurs. » Deux semaines plus tard, lorsque les inspecteurs ont été admis, Bolt n'a pas jugé utile de s'excuser. Il pensait réellement que les opposants à la guerre étaient « en fait des pro-terroristes ». Après les élections irakiennes de 2005, Bolt a déclaré : « La démocratie est enfin arrivée en Irak. Et pourtant, nos élites méprisantes insistent sur le fait qu'il aurait mieux valu laisser tranquille Saddam, ce meurtrier. Et voilà qu'aarive ce dont nous, qui avons soutenu la libération de l'Irak, rêvions. » Une sacrée victoire !

Dans son livre, Rod Tiffen décrit très succinctement la prestation de News Corps en Irak. Le résultat en a été que les États-Unis et leurs alliés ont monté une guerre préventive contre l'Irak et que les raisons qu'ils ont invoquées pour le faire se sont révélées être une fiction. La gravité de cette situation a rarement été mise en évidence dans la presse du groupe Murdoch. (Tiffen, page 148)

Le rôle du général australien Jim Molan en Irak a également fait l'objet de rapports et de débats récents au Sénat. Il a été détaché en 2004 des Forces australiennes et a servi en tant que chef des opérations de la coalition pendant un an. Il a commandé les attaques contre Falloujah (opération Fury), Najaf et Samara.

Alors que nos grands médias dormaient ou fermaient délibérément les yeux, encouragés par les relations publiques des Forces australiennes, sur ce qui se passait en Irak et à Falloujah, les médias étrangers ont fait de nombreux reportages.

Le 16 octobre 2004, le Washington Post a rapporté que « l'électricité et l'eau ont été coupées dans la ville juste au moment où une nouvelle vague de frappes [de bombardements] a commencé jeudi soir, une mesure que les forces américaines ont également prise au début des assauts sur Nadjaf et Samarra ». La Croix-Rouge et d'autres organisations humanitaires se sont également vu refuser l'accès à la population civile pour lui apporter l'aide humanitaire la plus élémentaire, à savoir l'eau, la nourriture et les fournitures médicales d'urgence.

Le 7 novembre, un article en première page du New York Times détaillait comment la campagne terrestre de la Coalition avait été lancée en s'emparant du seul hôpital de Falloujah : « Les patients et les employés de l'hôpital ont été évacués des chambres par des soldats armés et on leur a ordonné de s'asseoir ou de s'allonger sur le sol pendant que les troupes leur attachaient les mains dans le dos. » L'article révèle également le motif de l'attaque de l'hôpital : « L'offensive a également mis fin à ce que les officiers considèrent comme une arme de propagande pour les terroristes : l'hôpital général de Falloujah et son torrent de déclarations concernant les victimes civiles. » Les deux cliniques médicales de la ville ont également été bombardées et détruites.

Dans un éditorial de novembre 2005 dénonçant son utilisation, le New York Times décrivait le phosphore blanc comme suit : « Intégré à un obus d'artillerie, il explose au-dessus d'un champ de bataille dans un éclair blanc qui peut éclairer les positions ennemies. Il fait également pleuvoir des boules de produits chimiques enflammés qui s'accrochent à tout ce qu'elles touchent et brûlent jusqu'à ce que leur alimentation en oxygène soit coupée. Elles peuvent brûler pendant des heures, même à l'intérieur d'un corps humain. » News Corp s'est indigné lorsque Saddam Hussein a utilisé du phosphore contre les Kurdes, mais est resté silencieux lorsque les États-Unis ont fait la même chose à Falloujah.

Début novembre 2004, parallèlement aux informations du New York Times indiquant que le principal hôpital de Falloujah avait été attaqué, le magazine Nation a fait référence à des « informations selon lesquelles les forces armées américaines ont tué des dizaines de patients lors d'une attaque contre un centre de santé de Falloujah et ont privé les civils de soins médicaux, de nourriture et d'eau. »

La BBC a rapporté le 11 novembre 2004 : « Sans eau ni électricité, nous nous sentons complètement coupés de tout le monde... des femmes et des enfants morts gisent dans les rues. Les gens sont affaiblis par la faim. Beaucoup meurent de leurs blessures parce qu'il n'y a plus aucune aide médicale sur place. »

Le 14 novembre 2004, le Guardian a rapporté que « les conditions terribles dans lesquelles vivent ceux qui sont restés en ville sont devenues visibles au cours des dernières 24 heures, alors qu'il devient clair que les affirmations de l'armée américaine qui voudraient que les positions des insurgés avaient été ciblées avec une grande précision étaient fausses.... La ville est privée d'électricité et d'eau depuis des jours. »

Une autre affirmation, étayée par des images de la BBC du 14 novembre 2004, montre que les forces de la coalition ont empêché tout apport d'aide aux civils.

The Independent a fait référence à un documentaire italien affirmant que des civils irakiens, dont des femmes et des enfants, étaient morts suite aux brûlures causées par le phosphore blanc lors de l'assaut contre Falloujah.

Selon Ali Fadhil, qui écrit dans le Guardian du 12 janvier 2005, « l'armée américaine a détruit Falloujah mais n'a fait que disperser les combattants partout dans le pays. Ils ont également accru les risques de déclencher une guerre civile en Irak en se servant de leur nouvelle garde nationale composée de chiites pour réprimer les sunnites. »

Les médias australiens comptent parmi les institutions les moins dignes de confiance du pays. Ce n'est pas là quelque chose de surprenant et les soi-disant experts en affaires étrangères de nos médias expliquent ce manque de confiance.

Tony Abbott a créé une commission royale pour poursuivre Kevin Rudd dans l'affaire des pink batts. [Programme national d'isolation des logements rapidement abandonné suite au décès de quatre ouvriers, d'incendies et de malfaçons, NdT] Une commission royale est-elle encore plus indispensable pour examiner notre invasion de l'Irak sur la base d'informations erronées ? Celle-ci devrait alors également se pencher sur le comportement de nos médias lors de la couverture des événements qui ont conduit à l'envoi de nos troupes en Irak ainsi qu'aux désastres qui s'en sont suivi, notamment à Falloujah.

Vous trouverez ci-dessous le lien vers un article de Chris Doran. Si elles sont exactes, ces affirmations constituent un acte d'accusation à l'encontre de la présence militaire australienne à Falloujah à l'époque. Aujourd'hui, comment peut-on considérer qu'une action militaire est légitime lorsque des civils sont ainsi exposés ?

Publié pour la première fois dans Pearls and Irritations le 14 février 2018.

John Menadue est le fondateur et le rédacteur en chef de Pearls and Irritations. Il a été secrétaire du cabinet du Premier ministre du temps de Gough Whitlam et Malcolm Fraser, puis ambassadeur au Japon, secrétaire du ministère de l'Immigration et PDG de Qantas.

Source :  John Menadue, 19-01-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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