26/04/2023 dedefensa.org  5min #227647

 Les Brics sur le fil (rouge)

Les Brics, ou l'impossible neutralité

Andrew Korybko

Le contexte plus large dans lequel l'Afrique du Sud vient de faire volte-face sur ses engagements vis-à-vis de la "Cour pénale internationale" est d'une importance capitale non seulement pour l'avenir des BRICS, mais aussi, par extrapolation, pour l'ordre mondial multipolaire émergent, en raison de la fonction de ce groupe en tant que moteur de la multipolarité financière.

La récente volte-face de l'Afrique du Sud sur son adhésion à la "Cour Pénale Internationale"; (CPI) prouve que  sa neutralité dans la nouvelle guerre froide est menacée par les pressions occidentales. Le président Ramaphosa  a annoncé mardi que "le parti au pouvoir a pris la décision qu'il est prudent que l'Afrique du Sud se retire de la CPI"; en raison du "traitement injuste"; fait à certains pays. Peu après, cependant, son cabinet a affirmé qu'il s'était  mal exprimé et a réaffirmé l'engagement de l'Afrique du Sud à l'égard de la CPI.

Néanmoins, il y a des raisons de penser que ce n'est pas le cas, d'autant plus que Ramaphosa a fait preuve d'une confiance suprême en partageant l'annonce de mardi concernant les projets de son pays de se retirer de cet organe mondial. Il est donc peu probable qu'il se soit simplement mal exprimé et beaucoup plus probable que les diplomates occidentaux soient immédiatement intervenus en coulisses pour faire pression sur lui afin qu'il revienne sur sa politique. Ils ont probablement agi si rapidement en raison de l'importance stratégique de tout ce qui est en jeu en ce moment.

L'Afrique du Sud accueillera le sommet des BRICS de cette année à la fin du mois d'août, mais le mandat d'arrêt délivré par la CPI  à l'encontre du président Poutine complique sa participation en personne. Si M. Ramaphosa avait entamé le processus de retrait de son pays de cette organisation sous le prétexte légitime qu'il avait affirmé précédemment, il n'y aurait eu aucune ambiguïté quant à la sécurité du dirigeant russe s'il s'y rendait. Toutefois, comme cette politique vient d'être annulée, il y a des raisons de soupçonner une provocation occidentale s'il se présente.

Même si l'Afrique du Sud a refusé d'arrêter l'ancien dirigeant soudanais Bashir alors que la CPI avait déjà exigé que tous les membres le fassent s'il mettait le pied sur leur territoire, la sécurité du président Poutine ne peut en toute bonne conscience supposer qu'ils feront une exception pour lui aussi. La décision la plus responsable, compte tenu de la dernière volte-face de l'hôte du sommet, pourrait donc être qu'il y participe virtuellement afin de ne pas prendre le risque que quelque chose de terrible ne se produise.

Bien que les procédures organisationnelles se dérouleraient probablement comme prévu dans ce scénario avec seulement quelques modifications, des dommages très graves, voire irréparables, pourraient être infligés aux BRICS en conséquence. La Chine et l'Inde pourraient conclure que l'Afrique du Sud n'est pas un partenaire fiable, étant donné qu'elle aurait capitulé devant les pressions occidentales, tandis qu'elles s'attendraient à ce que le Brésil fasse de même, étant donné qu'il est également partie à la CPI et que son principal diplomate a  laissé entendre que son pays pourrait arrêter le président Poutine en cas de visite.

Les BRICS, dans leur forme actuelle, peuvent théoriquement continuer à fonctionner comme le moteur de la multipolarité financière malgré l'impossibilité pour le dirigeant russe de se rendre dans l'un de ces deux États membres pour ses sommets, mais l'organisation pourrait avoir du mal à attirer de nouveaux membres dont les pays ne font pas partie de la CPI. Après tout, les dirigeants de l'Iran, de l'Arabie saoudite et de la Turquie pourraient un jour se voir signifier des mandats politisés similaires qui les empêcheraient de participer aux sommets des BRICS organisés par des États membres de la CPI.

Les États-Unis ont un intérêt évident à dissuader ces pays et d'autres de rejoindre les BRICS en tant que membres officiels, et les pressions spéculatives qu'ils exercent en coulisses sur l'Afrique du Sud pour qu'elle maintienne son engagement à exécuter le mandat d'arrêt de la CPI contre le président Poutine pourraient avoir un puissant effet dissuasif sur les pays candidats. Le sommet de cette année est censé permettre aux membres en place de parvenir à  un consensus sur l'élargissement de leur organisation, ce qui est extrêmement urgent si l'on considère qu'au moins  19 États sont en lice pour adhérer à l'organisation.

Le contexte plus large dans lequel l'Afrique du Sud vient de faire volte-face sur ses engagements vis-à-vis de la CPI est donc d'une importance capitale non seulement pour l'avenir des BRICS, mais aussi, par extrapolation, pour l'ordre mondial  multipolaire émergent, en raison de la fonction de ce groupe en tant que moteur de la multipolarité financière. En gardant cela à l'esprit, on peut conclure que la campagne de pression clandestine des États-Unis est un jeu de pouvoir majeur dans la nouvelle guerre froide visant à entraver la capacité des BRICS à  défier collectivement le dollar dans un avenir proche.

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